▪ Selon un article publié dans le New York Times et rédigé par Obihiro Kato, les Japonais sont devenus doués dans l’art de se débarrasser des contingences matérielles. Le Japon n’est plus la deuxième économie au monde ; il a été éclipsé par la Chine cet été. Mais les Japonais sont habitués aux glissements. Nous connaissons tous l’histoire de leur déclin économique de 20 ans ; le PIB du Japon a en fait atteint son sommet il y a une quinzaine d’années. Depuis, il glisse. Et ce n’est qu’une partie de l’histoire. En termes de production de riz, les Japonais réduisent leur production depuis plus de 40 ans. Même chose du point de la démographie : la population japonaise a grimpé de 1% par an entre 1917 et 1977. A partir de 2005, elle a décliné. On trouve moins de Japonais aujourd’hui qu’il n’y en avait il y a cinq ans. Si cette tendance se poursuit, ils finiront par disparaître.
Notre dicton : les gens en viennent à penser ce qu’ils doivent penser quand ils doivent le penser. Que pensent des gens en voie d’extinction ? Demandez aux Japonais. Selon Kato, ils sont moins dans la compétition et plus dans la réflexion, presque zen, tournant leur regard vers l’intérieur, loin du travail, de la lutte, de la bousculade et des coups… acceptant gracieusement ce que les dieux économiques leur envoient. En attendant, ils restent chez eux et épargnent leur argent ; comme une strip-teaseuse qui vient de prendre sa retraite, ils savent qu’à partir de là, les choses partent à vau-l’eau.
En Occident, en revanche, on n’en est pas encore à la résignation et à la capitulation. Les gens n’entrent pas sans violence dans la bonne nuit de la Bulle Epoque ; ils comptent sur l’assouplissement quantitatif pour redémarrer le générateur.
Un demi-million d’Américains a demandé des allocations chômage il y a une dizaine de jours – le chiffre le plus élevé de ces neuf derniers mois. A ce stade d’une reprise normale, la croissance de l’emploi devrait être vigoureuse. Au lieu de cela, elle est incroyablement faible. Quant aux ventes de maisons, on a enregistré en juillet le plus grand déclin mensuel depuis 1968. A nouveau, la direction est tout à fait fausse. Dans sept cas sur huit, c’est l’immobilier qui a tiré les Etats-Unis hors de la récession. Plus d’un million de maisons devraient être saisies cette année en Amérique — un nouveau record.
Posons-nous une question sérieuse. Si une économie ne peut se sortir facilement de la récession, que devient-elle ? Japon ou pas Japon ? Tant d’économistes se prononcent sur le sujet que si l’on passait cinq minutes à écouter chacun d’entre eux, ce serait parfaitement idiot. Il y a ceux qui pensent que l’Europe et les Etats-Unis suivront les traces du Japon. Et ceux qui pensent que ce ne sera pas le cas. Afin de ne pas prendre de risque, dans ces colonnes, nous avons cru avec beaucoup de conviction à chacune de ces hypothèses alternativement.
Les Etats-Unis ne sont pas le Japon, disent de nombreuses personnes. Le ralentissement de 20 ans au Japon a été favorisé par trois facteurs uniques : la déflation importée de Chine, la chute des prix des matières premières et un surplus de la balance courante. Les Etats-Unis sont confrontés à la situation opposée : les prix des matières premières sont forts, le pays est déficitaire et la Chine augmente ses prix. Ces différences provoqueront une crise que le Japon n’a jamais eu à affronter. Les taux d’intérêt grimperont. Le dollar chutera. Incapables de financer leurs déficits à un taux favorables, les Etats-Unis ne pourront pas rester sur le chemin de Tokyo. Ils seront plutôt déviés du côté de Buenos Aires. Ou de Harare. La panique qui en résultera n’aura rien de commun avec la ruine ordonnée du Japon.
Ceux qui pensent que les Etats-Unis et l’Europe suivent les traces du Japon ont au moins les actualités de leur côté. Le Japon est en récession. Plutôt que de laisser les marchés s’éclaircir, son gouvernement a soutenu les banques et les entreprises zombies avec de l’argent emprunté au public. Concrètement, cela a transféré le fardeau de la dette du secteur privé vers le secteur public, tout en maintenant l’économie en vie durant deux décennies. Parallèlement, la population japonaise devenait plus vieille… plus prudente… et plus résignée face au glissement.
C’est ce qui semble se passer aux Etats-Unis également. Le secteur privé est en train de se désendetter. Les derniers chiffres montrent que les dettes de cartes de crédit sont à un plancher de huit ans. La dette hypothécaire chute elle aussi rapidement – grâce aux défauts de paiement et aux saisies. Les banques et les entreprises privées entassent des liquidités en prévision d’un hiver froid. Les ménages calment eux aussi leurs ardeurs consommatrices.
Ben Bernanke a dû recevoir le message entre le 4 juillet et l’Assomption. Le 11 août, la Fed a annoncé une nouvelle tournée d’assouplissement quantitatif conçue pour lutter contre le déclin. Bien entendu, le Japon a lui aussi essayé l’assouplissement quantitatif. Cela a échoué, tout comme les mesures de relance fiscales et monétaires avaient échoué.
Mais qui sait ? Peut-être que les Japonais sont juste des perdants. Après tout, le Japon est le seul pays au monde ayant subi une bombe atomique. D’un autre côté, cela n’a semblé que les encourager. Après 1945, les Japonais et les Allemands se sont remis debout et sont passés de la ruine absolue au statut d’économies les plus admirées au monde. Espérons que les autorités n’en tirent pas la leçon évidente : si l’on en croit les preuves, les bombardiers ont plus d’effet que l’assouplissement quantitatif.
[NDLR : Ce texte est extrait du magazine MoneyWeek : pour retrouver les éditoriaux de Bill, mais aussi des conseils, des recommandations et des stratégies d’investissements exclusifs, continuez votre lecture…]