La Chronique Agora

J.C. Trichet crache-t-il dans la soupe ?

** Nous avions fait appel aux métaphores culinaires hier pour décrire un changement de recette monétaire aux Etats-Unis, Ben Bernanke coiffant la toque d’Henry Paulson pour nous mitonner un plaidoyer en faveur de la remontée du dollar. Les places européennes n’ont pas su en profiter : elles ont été assommées par une vague de dégagements qui a déferlé mercredi matin dans le sillage — pensait-on — d’une indigestion de rumeurs alarmantes concernant la santé de banques très exposées sur les dérivés de crédit et menacées d’un abaissement de notation par les agences de notation.

Quelques heures plus tard, le couperet tombait effectivement pour les réassureurs MBIA et Ambac, lesquels se retrouvaient privés, non pas de dessert, mais de leur indispensable triple A. Ces deux titres ont alors plongé respectivement de 15,8% et 17,00%.

Le compartiment des financières inspire de nouveau beaucoup d’interrogations ; cela peut suffire à plomber l’ambiance — toutes choses étant égales par ailleurs — mais rétrospectivement, nous sommes beaucoup moins convaincu aujourd’hui de la pertinence de cette explication pour justifier la chute du CAC 40 jusque vers 4 870 points mercredi après-midi.

** Nous n’avions pas manqué de souligner à quel point Wall Street semblait apprécier d’entendre la Fed se préoccuper du pouvoir d’achat du billet vert — synonyme d’essence moins chère comme le martèlent les membres de la BCE chaque fois que l’occasion se présente. Cependant, J.C. Trichet s’est empressé de torpiller la remontée du billet dès la conférence de presse qui a suivi le maintien du taux repo à 4%.

Il a évoqué de la manière la plus abrupte — et sans recourir aux subtilités sémantiques habituelles — l’imminence d’un tour de vis monétaire d’ici le mois de juillet. Son bras droit, Axel Weber, patron de la Bundesbank et faucon parmi les faucons de la BCE n’a pas tardé à déclarer à la presse allemande que « l’état d’alerte » devrait entraîner des mesures concrètes — une hausse de taux de 25 points de base avant la première vague de transhumance estivale ?

Le résultat ne s’est pas fait attendre : le joli soufflé concocté par Ben Bernanke mardi est retombé en laissant s’échapper un pauvre panache de vapeur tiède, préfigurant l’inexorable avachissement de la valeur du dollar. Il retombait en effet hier soir sous les 1,5575/euro — soit une rechute 1,1% en moins de trois heures de cotation — après avoir culminé vers 1,5370/euro vers 14h30.

Cette remontée de l’euro a coûté cher aux places européennes. Elles perdaient en moyenne 0,45%, ce qui apparaît anachronique puisqu’au même moment, le Dow Jones rebondissait de 170 points (à 12 560) et que le Nasdaq s’envolait de 1,6% pour tutoyer la résistance des 2 540 points.

** Les détenteurs de valeurs exportatrices américaines pavoisaient hier soir du côté de Wall Street et les économistes y allaient de leurs commentaires réjouis après avoir pris connaissance du rapport hebdomadaire concernant les inscriptions hebdomadaires au chômage. Selon le département américain du Travail, les demandes d’indemnité ont reculé de 18 000 pour atteindre 357 000 la semaine dernière.

Les ventes mensuelles des distributeurs américains apparaissaient également soutenues par les chèques du Trésor américain (800 $ au maximum) envoyés à 140 millions de contribuables. Ils pourraient différer de quelques semaines la chute de la consommation anticipée depuis que le baril de pétrole a passé la barre des 100 $ — soit son niveau le plus élevé en dollars constants.

** La grande question qui nous taraude aujourd’hui est donc la suivante : J.C. Trichet vient-il de pousser un nouveau pion de manière particulièrement offensive, confirmant ainsi une stratégie de longue haleine visant à renforcer la suprématie de l’euro sur le dollar ?

Nous avions déjà évoqué cette thèse à de nombreuses reprises, notamment le lendemain même de la divulgation de l’affaire Kerviel. Il ressortait que la BCE n’avait pas jugé utile de prévenir la Fed des turpitudes de la Société Générale, laissant Ben Bernanke abaisser son prime rate de 50 points à l’aveugle et dans l’urgence, alors que le contexte macroéconomique ne justifiait nullement une telle mesure : une précieuse munition venait d’être gaspillée du point de vue de Wall Street, mais les cambistes n’en avaient pas perdu une miette.

Il y a une contradiction évidente et totale entre le discours des autorités monétaires européennes, qui fustige la faiblesse du dollar, et une stratégie consistant à ruiner les efforts de la Fed au lendemain même d’une initiative qualifiée d’historique par de nombreux cambistes.

Si nous étions convaincu qu’il n’y avait pas de coopération entre les deux grands argentiers de la planète, nous soupçonnons à présent, de la part de l’un d’entre eux, une volonté délibérée de nuire à l’autre. Qui peut décemment croire que l’Europe a besoin d’une hausse de taux d’ici le 3 juillet prochain ?

En quoi une telle mesure pourrait-elle faire reculer le prix des matières premières ? Et puis surtout, en affaiblissant le dollar, la BCE fait le jeu de ceux qui spéculent sur le pétrole pour maintenir le niveau de leurs revenus exprimés en livres sterling, en yens ou en euros.

Alors à quel jeu joue donc J.C. Trichet depuis le début de l’éclatement de la bulle du crédit ?

** Au coup de cloche final, le CAC 40 affichait un repli de 0,16% à 4 907 points. Le nombre de titres en hausse excédait légèrement celui des baisses, mais la chute verticale du Crédit Agricole et le faux pas de France Télécom (-5%) ont longtemps fait pencher la balance sous les 4 900 points.

Le Crédit Agricole signait la plus forte baisse des valeurs du CAC 40 avec un repli de 8% à 15,34 euros. La banque verte a annoncé le lancement de son augmentation de capital d’un montant de près de six milliards d’euros à 10,6 euros par titre, soit un prix inférieur au prix d’introduction en bourse il y a sept ans — le cours d’AK retenu représentait une décote de l’ordre de 37% par rapport à la clôture de mercredi. Le nombre de titres en circulation va être accru d’un tiers — 33%… et autant de dilution pour les actionnaires actuels.

Philippe Béchade,
Paris

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile