La Chronique Agora

L’irrationalité des marchés rejoindra-t-elle celle de Trump ?

Detail of the New York Stock Exchange building at Wall Street in New York City

Après une année 2024 marquée par des excès boursiers, 2025 pourrait voir les tensions géopolitiques redessiner l’équilibre mondial…

L’année 2025 verra-t-elle s’estomper le contraste USA/Europe ? L’année 2024 fut folle à Wall Street, par opposition à l’année molle sur les places européennes. Sera-t-elle folle sur le plan géopolitique ?

Alors que les investisseurs les plus chevronnés ont préféré sauter en marche avant que le manège boursier ne s’emballe, les « trend followers » s’en sont donné à coeur joie, exploitant des « momentum » comme les marchés n’en n’avaient plus proposés depuis 1999/2000. Une stratégie que certains qualifient de « bourrinage », mais qui a donné d’excellents résultats dans un contexte technique hors norme.

Le ratio de Sharpe fut l’un des plus linéaire du XXIe siècle : des tendances en ligne (hausses funiculaires) interminables, pratiquement aucun retracement au cours des douze derniers mois (sauf début août au Japon avec -8%, se soldant par un simple « bruit » à Wall Street), une concentration des achats comme il ne s’en produit qu’une fois ou deux par siècle.

Selon Thomas Peterffy, le fondateur d’Interactive Broker, 70% des flux de liquidités (particuliers ou fonds institutionnels) ont été alloués aux Sept, puis aux « Huit Fantastiques » au quatrième trimestre 2024 ; les 30% restants se sont répartis sur les 492 autres titres du S&P 500. Les vingt premières capitalisations ont même capté 80% des flux – soit 20% sur les 480 valeurs restantes. BlackRock a parfaitement cerné cette logique en proposant un ETF qui n’est investi que sur les vingt titans du marché américain.

Et parmi les 480 actions restantes, on observe des distorsions de valorisation sur une poignée de titres estampillés « IA », avec des ratios cours/bénéfices qui pulvérisent tout ce qui fut considéré comme le plus irrationnel au paroxysme de la bulle des dot.com. Palantir affiche par exemple, selon différentes méthodes de calcul, un PE de 180 à 400.

Nombre de valeurs se payent plus de vingt fois leur chiffre d’affaires (ratio « price to book »), et ça monte même à cinquante, dans certains cas.

Mais fin 2024 et début 2025 s’est formée une bulle plus folle encore : les investisseurs ont fait « all-in » sur ce qu’ils pensent être la prochaine révolution technologique avec les ordinateurs quantiques.

Tout comme pour les dot.com, dont certaines n’avaient ni locaux, ni brevets, ni activité, le seul fait d’afficher le préfixe « quant » a suffi à multiplier les cours par 25 en une semaine, avec zéro vente et zéro chiffre d’affaires, parce qu’aucun « super-computer » n’est opérationnel ni le sera avant 15 ou 20 ans, selon Jensen Huang, le patron de Nvidia, qui s’est un peu penché sur ce domaine.

Avec l’élection de Trump, l’irrationnel devient une « nouvelle normalité ». Personne ne prend ses déclarations au premier degré, parce que ses gesticulations verbales ressemblent aux « battle » d’avant-match dans les tournois de catch (un spectacle qu’il affectionne) : une débauche de grandiloquence qui part dans tous les sens, en contraste total avec des combats dont les séquences sont scénarisées et exécutées au cordeau. Le but est de distraire le public, pas de se faire une entorse ou de se déchirer un ligament croisé. Il y a un autre spectacle à assurer le week-end prochain, et des pubs à tourner entre deux étapes de championnat.

Mais ceci posé, les « délires » de Trump sont bel et bien régis par une logique économique qu’il serait imprudent d’ignorer : quand il exige que les pays européens investissent 5% de leur PIB dans la défense (alors que pour les Etats-Unis, c’est 8%, et les ventes d’armes US ont progressé de +18% en 2024, un record), c’est qu’il espère les faire monter à 3% en 2025 (contre 2% avant la guerre en Ukraine), puis à 4% en 2026.

Quand il menace de s’emparer du canal de Panama « par la force », il ne faut pas oublier que l’ordre avait déjà été donné par George Bush Senior fin 1989 (l’opération s’était déroulée du 20 décembre 1989 au 31 janvier 1990). Le but ne serait pas de renverser un vilain général Noriega – antiaméricain et soupçonné de remettre en cause la neutralité du canal –, ou de renverser un régime prétendument corrompu, se livrant au narcotrafic, mais de contenir l’influence de sociétés hong-kongaises qui gèrent certains ports du pays, et de s’assurer un meilleur contrôle des produits chinois transitant par l’installation dont les écluses ont été récemment agrandie, avec l’appui de capitaux américains.

En ce qui concerne le Groenland, devenu un territoire d’outre-mer associé à l’Union européenne et toujours sous le contrôle de la couronne danoise, Trump – après toute une série de consultations relatives à la faisabilité – avait proposé un rachat au Danemark le 21 août 2019, sans chiffrer publiquement son offre. La valeur de l’île serait estimée entre 1 500 et 2 000 Mds$ : outre ses richesses minières (or, terres rares, uranium, cuivre, zinc…), elle présente un intérêt stratégique pour le contrôle des routes circumpolaires, largement monopolisées par la Russie.

Alors que le Danemark avait opposé un refus catégorique à toute perte de souveraineté il y a cinq ans, Copenhague se dit aujourd’hui ouvert à la discussion, sachant très bien que si les Etats-Unis « envahissaient » le Groenland (ce serait plié militairement en une demi-heure, le temps d’aller déployer le drapeau US sur le Parlement de Nuuk, il n’y a même pas d’armée sur place), la Chine investirait Taïwan le jour suivant et la Russie se moquerait bien des critiques occidentales concernant l’annexion de la Crimée, qui elle au moins est habitée par 90% de russophones.

En revanche, si les Etats-Unis veulent faire pleuvoir les dollars pour y développer des projets miniers – le Danemark n’en n’a pas les moyens – et y implanter de nouvelles bases « d’observation » des régions arctiques, dans le respect de l’écosystème local (on peut rêver), pourquoi se priver d’une manne financière que jamais l’Europe ne lui offrira (surtout après s’être ruinée pour l’Ukraine) ?

Tout ce dont nous pouvons être certains, c’est que les lignes vont bouger à Panama, au Canada et au Groenland en 2025… Et la question est : cela va-t-il s’inscrire dans un processus coopératif ou conflictuel ?

Dans ce cas, les marchés pourraient devenir nerveux, si le niveau actuel des taux ne suffit pas à leur donner le vertige !

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