La Chronique Agora

L’instabilité financière se propage

Bourse, investissement, marchés, krach

Le marché boursier a réagi la semaine dernière avant tout à son propre stress accru, à l’illiquidité et au risque de perturbation grave du crédit aux entreprises.

L’instabilité financière sectorielle peut déboucher sur l’instabilité généralisée. En particulier si le mouvement en cours de réduction de l’endettement global s’amplifie.

Un accident de marché n’est plus exclu ; il est même peut-être en cours.

Tout indique une semaine particulièrement coûteuse pour la communauté mondiale des spéculateurs à effet de levier. Au fur et à mesure que les pertes augmentent, les mains s’affaiblissent, les value at risk s’envolent, les bilans perdent leur capacité à encaisser/supporter les risques et à tenir les positions. En clair, avec la baisse, les capacités bilancielles du système mondial se contractent.

Les phases de la baisse

Au début de la phase initiale de désendettement, les acteurs ont tendance à liquider les positions marginales, en espérant qu’un rally du marché rendra inutile la réduction des positions centrales qui constituent le cœur des bilans.

Au fur et à mesure que l’espoir d’un rally s’éloigne et que les pertes s’accumulent, la nécessité s’impose et il faut trancher. « Il n’y a plus nulle part où se cacher » (no place to hide) : cela signifie qu’il n’y pas d’autre choix que de réduire les positions, même celles que l’on considère comme centrales.

Le deleveraging, c’est un processus, ce n’est pas un événement unique – un coup et c’est fini. Non : c’est un processus qui s’étale et remonte pour toucher le cœur des bilans.

Ce cheminement, que l’on peut assimiler à un engrenage, a d’énormes ramifications systémiques, en particulier en matière de crédit. Le marché du crédit aux entreprises s’est rapidement rapproché du point de dislocation majeur. La structure du marché, affirment les professionnels, commence à mal fonctionner alors que les rendements constatés sur le marché augmentent, parallèlement à l’élargissement des écarts de crédit et à la flambée des prix des CDS.

Les ETF sont particulièrement vulnérables. Les décotes apparaissent, la liquidité disparaît.

Les réactions s’accumulent

Bloomberg en parlait notamment le 14 juin :

« De rares tensions de marché émergent dans le monde des ETF obligataires alors que la volatilité s’empare de Wall Street avant la réunion cruciale de la Réserve fédérale.

Les prix au comptant de deux des plus grands fonds à haut rendement négociés en Bourse ont clôturé lundi avec de fortes décotes par rapport à la valeur de leurs actifs sous-jacents, alors que les obligations ont enregistré des pertes historiques à la suite du choc de l’inflation de la semaine dernière.

L’ETF iShares iBoxx High Yield Corporate Bond ETF (ticker HYG) de 13,4 Mds$ a clôturé lundi à 1,2% en dessous de sa valeur liquidative – la plus grande dislocation depuis mars 2020.

L’ETF SPDR Bloomberg High Yield Bond ETF (JNK) de 6,8 milliards de dollars a clôturé avec une décote de 1,8%, dans la plus grande divergence depuis 2016. »

Les marchés financiers ont la capacité de réagir plusieurs fois au même stimulus, que ce soit à la hausse ou à la baisse.

Je m’explique : ils peuvent réagir aux anticipations, puis aux annonces, puis aux modifications de la réalité que cela entraîne, mais aussi aux mouvements internes que cela crée sur les marchés !

C’est pour cela que j’ai toujours dit que c’était une erreur colossale de mettre le crédit en bourse, sur les marchés ; c’était le livrer aux mouvements irrationnels des esprits animaux.

Je dirais que le marché boursier a réagi cette semaine avant tout à son propre stress, à un stress accru, à l’illiquidité et au risque de perturbation grave du crédit aux entreprises. Transitivité, réflexivité.

Le marché du crédit se disloque

Comment une économie comme celle des Etats-Unis passe-t-elle d’un taux de chômage de 3,6% et de 11 millions d’emplois disponibles à la récession ? La réponse est simple : par la dislocation du marché du crédit.

Le retournement de la finance spéculative m’apparaît inaltérable. Je m’étonne que les zozos des banques centrales n’en aient pas une conscience plus aiguë. Ils jouent avec le feu. Et je choisis mon image en toute connaissance de cause, car le feu se propage seul, dans une dynamique interne.

La dynamique de réduction des risques et de désendettement a atteint un puissant élan qui, s’il n’est pas stoppé rapidement peut déborder sur la partie systémique, sur les « too big to fail » (TBTF).

Les prix des CDS sur les obligations à haut rendement ont bondi de 44 points de base cette semaine à 576 points de base (plus haut depuis mai 2020), avec une hausse étonnante de 103 points de base en deux semaines. C’est le plus grand gain sur 2 semaines depuis avril 2020.

Peut-être encore plus remarquable, les CDS de qualité investissement ont augmenté de huit points de base cette semaine pour s’échanger au-dessus des 100 points de base pour la première fois depuis avril 2020 – avec une hausse de 18 points de base sur deux semaines, la plus importante depuis mars 2020.

Les CDS bancaires ont aussi grimpé en flèche, avec des hausses à deux chiffres – et des sommets depuis mars 2020 – même pour les institutions financières américaines les plus puissantes (JPMorgan, Goldman, Morgan Stanley, Citigroup et Bank of America).

L’inquiétude partagée

C’est le signe que mes inquiétudes sur le systémique et les TBTF sont partagées par certains.

Bloomberg le précisait le 17 juin :

« Après avoir atteint près de 5 % cette semaine – un niveau jamais vu depuis la crise financière mondiale – le Bloomberg US Agg Corporate YTW éclipse le coupon moyen de 3,60 % de l’indice US IG Corporate Investment Grade.

Les investisseurs deviennent plus sélectifs…

Les fonds obligataires américains de qualité supérieure ont maintenant connu 12 semaines consécutives de retraits d’espèces, la plus longue séquence de sorties jamais enregistrée… avec une sortie massive de 8,7 Mds$ pour la semaine terminée le 15 juin. »

Et dans un autre article :

« La partie la plus sûre du marché des obligations de prêt garanti de 1 000 Mds$ se rapproche de ses homologues des produits structurés à mesure que les écarts s’élargissent, ce qui oblige les gestionnaires de fonds à changer de position.

Les obligations, qui sont adossées à des ensembles de prêts aux entreprises, ont résisté alors que le reste du marché tenait compte des risques de récession imminente et de la volatilité généralisée.

Alors que la plupart des produits structurés se sont dépréciés en l’espace de quelques semaines, les prix des CLO sont restés serrés, car leurs coupons à taux variable ont protégé les investisseurs de la campagne de hausse des taux d’intérêt de la Réserve fédérale. Mais ce n’est plus le cas. »

Powell est inquiet, on le sent : il a fait de son mieux pour calmer les marchés, suite à la hausse des taux de 75 points de base de la Fed.  Regardez la dénégation ci-dessous: « Je n’ai aucune raison de penser que cela conduira à l’illiquidité et à des problèmes »… Hmm !

 « Concernant le resserrement quantitatif, nous avons communiqué très clairement aux marchés sur ce que nous allons faire. Les marchés semblent être d’accord avec cela. Nous l’introduisons progressivement. Les émissions du Trésor ont beaucoup diminué, cela devrait faciliter les choses. Donc, je n’ai aucune raison de penser – les marchés sont tournés vers l’avenir et ils anticipent – je n’ai aucune raison de penser que cela conduira à l’illiquidité et des problèmes. Cela semble être en quelque sorte compris et accepté à ce stade. »

[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]

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