La Chronique Agora

Il n’y a plus de bulle

Dans les faits, les actifs financiers sont devenus de la monnaie, contrôlée – comme toute monnaie – par les banques centrales. Désormais, ce sont elles qui ont la main sur la valeur des actions…

Au sujet de la situation des marchés, je ne partage ni les analyses de Jeremy Grantham ni celles de John Hussman que nous avons vues hier car j’ai un cadre analytique très différent.

Je lis l’Histoire et que dit-elle ? Elle dit qu’une révolution copernicienne est intervenue en 1971 et 1973 quand on a désancré les monnaies et qu’on les a libérées de leur lien au réel. On les a fait flotter dans l’air.

Les auteurs qui prétendent être value ou fondamentalistes sont des auteurs qui considèrent que la valeur des actifs financiers est ancrée, qu’elle est le reflet de la réalité économique.

Moi, j’ai abandonné cette conception depuis 1971, date à laquelle on a libéré la monnaie de son ancrage réel. Quand on a libéré la monnaie on a, du même coup, libéré tout ce dont la valeur s’exprime en monnaie.

C’est pour cela que je dis souvent que les actifs financiers sont des formes, des manières d’être, des avatars de la monnaie.

Quand on a libéré la monnaie et supprimé sa finitude ou son poids, on a libéré tout ce dont la valeur est exprimée en monnaie. La monnaie étant le sous-jacent de tous les actifs financiers, libérer la monnaie, c’est libérer le sous-jacent, c’est changer sa nature, c’est en faire quelque chose d’abstrait.

Les actifs, la nouvelle monnaie

Pour pousser à l’extrême je soutiens que de la même façon que l’on a transformé la monnaie en jetons, les actifs financiers étant de la quasi-monnaie sont eux aussi devenus des jetons.

A ce titre, ils n’ont pour ainsi dire plus de vraie valeur fondamentale ; ils n’ont de valeur qu’en fonction de la quantité émise, de ce qui est écrit dessus, en fonction des signes qui leur sont accolés, et en fonction de la mode et des engouements.

Je soutiens que les valeurs mobilières sont devenues frivoles.

Vous noterez que dans frivole, il y a « vole » : voler comme les voleurs et voler comme les oiseaux. Avec les valeurs mobilières frivoles, on vole free, librement, dans tous les sens du terme.

On a selon moi désancré les actifs financiers du réel pour leur faire intégrer un champ d’ordre monétaire et non plus un champ de variables de l’économie réelle.

Les actifs financiers sont de moins en moins des reflets de la sphère réelle et de plus en plus une mise en ordre du champ des monnaies et quasi-monnaies unifiées par les actions des banques centrales.

Autrement dit, les banques centrales ont pris le contrôle des taux courts par les politiques monétaires non-conventionnelles ; ensuite, elles ont pris le contrôle des taux longs par le QE. Désormais, elles ont également pris le contrôle de la variable « risque », c’est-à-dire le contrôle de la valeur et de la volatilité sous-jacentes aux actifs à risque.

Les banques centrales fixent la valeur de votre portefeuille

Ce que les financiers n’ont pas compris, c’est le fait que les banques centrales non seulement contrôlent les taux courts et les taux longs, mais en plus, elles contrôlent le risque et sa hiérarchie. Elles contrôlent la perception du risque par leurs interventions, leurs promesses, leurs guidances et leurs puts.

Si on me suit, il n’y a plus de bulle, car le réel, on s’en fiche : il y a un champ unifié de bestioles monétaires et quasi-monétaires dont l’ordre interne, l’arrangement relatif, est dicté par l’action des banques centrales sur les taux courts, les taux longs, les QE, le risque, la volatilité.

Je ne suis pas loin de soutenir qu’au stade où nous en sommes, les banques centrales fixent plus ou moins directement la valeur du portefeuille mondial et sa répartition en grandes masses entre actions, obligations, haut rendement, etc. C’est audacieux mais cohérent.

La réconciliation dont parlent les partisans de la value et les fondamentalistes interviendra certes un jour, mais pas comme ils le pensent parce que l’on sera trop cher et trop écarté du réel. Non, elle interviendra parce que les banques centrales auront perdu le contrôle du champ monétaire.

[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]

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