La Chronique Agora

Hausse des taux : tout le monde souffre, mais qui gagne ?

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Avec la fin des valorisations infinies, quelques principes d’investissement de base sont à appliquer pour sortir gagnant de la période.

Nous avons vu il y a deux jours que la nouvelle stratégie anti-inflation de la BCE est un contre-sens économique basé sur l’impression fallacieuse que le « quoi qu’il en coûte » d’il y a dix ans a sauvé l’Europe. Déplorant les conséquences de ses propres actions passées, la Banque centrale européenne s’enferre dans sa volonté de piloter l’économie et d’écraser une inflation qu’elle a elle-même créée.

Mais contrairement au débat qui agite la sphère médiatico-financière, les taux directeurs ne sont pas la cause ou la conséquence de l’inflation des prix à la consommation. Leur évolution est en fait liée à la baisse de la valeur de la monnaie qui est, elle-même, un retour à la réalité.

Quand l’inflation s’emballe, le temps coûte. Les investisseurs en veulent pour leur argent, et les obligations voient leur rendement augmenter, ce qui tire mécaniquement les prix de tous les actifs à la baisse. Les banques centrales ne peuvent que suivre le mouvement. Leur seule marge de manœuvre, totalement politique, consiste à décider de suivre la tendance, l’anticiper, ou maintenir un prudent retard.

Dans tous les cas, la période d’exubérance des années 2010-2020 est terminée. L’argent n’est plus gratuit et la quasi-totalité des acteurs économiques souffriront lors de la grande remise à zéro. Ce changement de paradigme financier est crucial pour les investisseurs car seule une infime minorité pourra en profiter. Les stratégies qui ont bien fonctionné durant les dix dernières années vont maintenant devenir perdantes… et même les investisseurs prudents doivent se préparer à des vents contraires.

Quand les placements refuges disparaissent

Les investisseurs avertis qui anticipaient l’érosion de la valeur de l’euro ont pu, de bonne foi, faire le plein d’actifs plus tangibles que la monnaie fiduciaire. Ils ont privilégié les actions, l’immobilier, ou encore les cryptomonnaies.

Si prudente qu’elle soit, cette stratégie de diversification connaîtra tout autant de soubresauts dans les prochains mois et années. Sur les actions et les cryptomonnaies, la chute a déjà commencée. Elle est brutale sur les dossiers les plus spéculatifs, mais ne vous méprenez pas : même les lignes les plus sures seront emportées par la baisse.

Et il en sera de même pour l’immobilier.

Tous les secteurs doivent payer le prix d’une hausse des taux d’intérêts. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, en terme financier, quatre murs en pierre et un toit ne sont pas plus solides que du Bitcoin.

La raison est simple : le prix de ces actifs avait été poussé à la hausse par les taux zéro.

Lorsqu’emprunter de l’argent ne coûte rien, la valeur du moindre actif possédant du rendement est infini. Si vous êtes convaincu qu’un euro conservé sur votre compte sera toujours là dans un an, deux ans, ou dix ans, acheter n’importe quel actif tangible est économiquement viable.

Le retour de taux nominaux positifs vient rappeler aux investisseurs la notion de prix du temps. Parce que l’inflation existe, parce que nul n’est éternel, un euro dans votre poche aujourd’hui vaut plus qu’un euro dans un an, et beaucoup plus qu’un euro dans dix ans.

Le rapport bénéfice/prix d’un investissement, qui était infini avec un prix nul, a de nouveau un sens, et les investisseurs peuvent comparer les différentes options qui s’offrent à eux. L’alternative n’est plus « du rendement sinon rien », mais « quel rendement puis-je obtenir ? ».

Or, la rémunération des emprunts d’Etat dits « sans risque » est désormais clairement positive. Plus de 2,2% pour les emprunts français à 10 ans, 3,25% outre-Atlantique et même 1,70% en Allemagne : bien peu d’actions pouvaient en dire autant fin 2021. Ceci explique pourquoi la valeur des actions s’effondre.

La baisse ne fait que commencer

Les investisseurs qui cherchent désormais du rendement ne sont plus prêts à payer les actions n’importe quel prix. Et, pour qu’une action qui sert un dividende de 1% rémunère ses actionnaires 4%, il faut, toutes choses égales par ailleurs, que son prix chute de 75%. La baisse des indices boursiers ne fait que commencer.

L’immobilier souffre aussi de la comparaison. Détenir un bien surtaxé, au rendement locatif parfois bien maigre, qui représente un risque légal et vous rend sujet à toutes les taxations arbitraires est moins tentant quand laisser l’argent sur un compte bancaire vous rapporte plus. Là encore, les prix risquent de souffrir dans les prochains mois lorsque les acheteurs exigeront un rendement net positif.

Même les cryptomonnaies, plébiscitées par les jeunes investisseurs, font les frais du retour à la réalité. Placer son argent en Bitcoin, Ethereum ou Celsius avait du sens en l’absence d’alternatives rémunératrices. Même en l’absence d’utilité réelle des cryptos, les néo-investisseurs ne payaient pas bien cher pour attendre dans la mesure où leurs économies ne leur auraient, de toutes façons, rien rapporté si elles avaient dormi sur des comptes bancaires. Avec des taux nominaux désormais positifs, le coût d’opportunité des placements spéculatifs se fait cruellement sentir. Parquer son argent dans du Bitcoin en attendant qu’il devienne la monnaie numérique du futur est une chose… dire adieu à des intérêts sans risque en est une autre.

Les jeunes générations étaient adeptes du buy and hold lorsque le Bitcoin montait et que les placements bancaires ne rapportaient rien. Aujourd’hui, la valeur de la crypto s’effondre et le moindre livret A rapporte déjà 1% par an net d’impôts (et une nouvelle hausse de ce taux devrait suivre en août). Le rapport de force s’inverse, et le Bitcoin n’est plus perçu comme un réservoir de valeur fiable.

N’attendez rien de l’inflation

Notez que l’inflation n’apparaît pas dans la démonstration, quel que soit l’actif concerné. C’est d’ailleurs là où le contresens des banquiers centraux et de certains analystes est mis au grand jour : de la même manière qu’ils justifiaient l’aberration des taux nominaux négatifs par la pirouette du calcul des taux corrigés de l’inflation, ils viennent aujourd’hui prétendre que l’inflation montant plus vite que les taux directeurs des banques centrales, les taux réels restent constants et la situation n’a pas changé depuis les années 2010.

C’est factuellement vrai, mais économiquement hors-sujet. Cela signifie simplement que les banques centrales sont en retard sur l’évolution de l’inflation, ce qui est un simple choix politique. En tout état de cause, l’inflation s’applique à tous les investissements et ne change pas le calcul de rendement fait par les investisseurs.

Vous subissez l’inflation que votre argent soit placé sous votre matelas, dans une assurance-vie, en actions ou en cryptomonnaies. Et cette inflation est la même. Individuellement, vous avez donc intérêt à maximiser le rendement facial de vos investissements – et ce quel que soit le niveau d’inflation qui vient ronger la valeur de votre épargne.

Les arbitrages économiques entre différents véhicules d’investissement à un instant T ne dépendent donc pas de l’inflation mais du rapport rendement/risque immédiat de chaque compartiment. Celui-ci a changé avec la disparition des taux zéro, et nous devons revenir à une valorisation économiquement saine de nos placements.

Cela signifie, pour les actions, les crypto et l’immobilier, de probables baisses dans les mois à venir.

Que faire en période de hausse de taux ?

Les stratégies d’investissement en période de hausse des taux sont vieilles comme le monde, même si bien peu d’investisseurs ont pu les mettre en œuvre de leur vivant vu le grand cycle baissier dont nous sortons à peine.

Avec la fin des valorisations infinies, quelques principes de base sont à appliquer.

Premièrement, souvenez-vous du conseil de Warren Buffett : n’achetez que des actifs que vous seriez prêt à garder dix ans en cas de fermeture des marchés financiers. C’est vrai pour vos actions dites de croissance, pour votre immobilier au rendement annuel réel négatif, et pour vos cryptomonnaies à usage purement spéculatif.

Posez-vous en toute objectivité la question : toutes choses égales par ailleurs, seriez-vous heureux de garder cet actif dix ans, durant le prochain cycle haussier des taux ? Si la réponse est oui parce que l’actif se paye lui-même, conservez-le. Il vous offrira un rempart contre l’inflation que vous subirez de toutes façons. Si la réponse est non, séparez-vous-en. Trouver « plus bête que soi » pour acheter plus cher des actifs inutiles est un jeu qui rapporte durant les phases d’euphorie économique, pas durant les phases de contraction.

Des actifs rentables seront un allié de choix pour éviter de subir trop fortement les effets de l’inflation. La seule manière d’en profiter réellement sera d’être de l’autre côté de la balance : en étant emprunteur net. Si vous avez des emprunts dont le taux d’intérêt est inférieur à l’inflation et que ceux-ci ont servi à financer des actifs tangibles, conservez-les précieusement sans vous endetter plus. Contrairement à l’Etat qui est condamné à la fuite en avant et doit réemprunter en permanence aux taux du jour, vous pouvez geler votre dette aux taux anciens… et rembourser en toute légalité, à terme, vos créanciers en monnaie de singe.

Voilà bien l’un des rares domaines où les investisseurs particuliers s’avèrent plus agiles que les mastodontes étatiques, et la seule manière de bénéficier de l’érosion de la valeur de la monnaie.

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