La Chronique Agora

Guerre commerciale, jusqu’où ? (2/2)

Dans la guerre commerciale entre Etats-Unis et la Chine, de quelles armes dispose l’Empire du Milieu et sont-elles efficaces ?

Nous avons vu hier que la guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine était partie pour durer… mais les marchés semblent n’être pas au courant : ils se sont envolés sur chaque rumeur d’accord en cours, puis ont chuté lorsqu’elles se sont révélées inexactes.

Après six mois d’impasse et d’échec des négociations, entre fin 2018 et avril 2019, la guerre commerciale s’est nettement emballée en mai 2019. Les événements se sont rapidement enchaînés (tels que compilés par le Cowen Washington Research Group) :

Une nouvelle norme ?

Le mois de mai 2019 a marqué une phase particulièrement active, sur le front de la guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine mais, à mesure que la guerre progressera, cela se rapprochera peut-être plus de la norme que de l’exception.

L’un des points saillants est le suivant : l’asymétrie entre la capacité respective des Etats-Unis et de la Chine à infliger des tarifs douaniers. Les Etats-Unis importent environ 500 Mds$ de produits chinois chaque année. La Chine importe environ 150 Mds$ de produits américains chaque année. Il en résulte un excédent commercial net de 350 Mds$ en faveur de la Chine.

C’est cet excédent que Trump tente d’éliminer, ou du moins de réduire énormément. Pour y remédier, Trump n’envisage pas que les Etats-Unis achètent moins, mais que la Chine achète plus. Cependant, à court terme, le commerce se contracte au lieu de se développer.

Le problème de la Chine est évident, si l’on considère ces chiffres. Au départ, la Chine a pu instaurer des tarifs douaniers ripostant « œil pour œil, dent pour dent » à ceux de Trump.

Mais une fois que la Chine aura appliqué des droits de douane sur 150 Mds$ de produits américains (un stade dont elle se rapproche désormais), elle n’aura plus de droits de douane à appliquer sur quoi que ce soit.

Parallèlement, Trump peut continuer à infliger des tarifs douaniers jusqu’à hauteur de 500 Mds$ de produits (et il avance rapidement dans cette direction). La Chine ne peut riposter à l’identique.

Cela force la Chine à envisager des barrières non douanières afin de contrer les mesures prises par Trump. Toutefois, la plupart de ces barrières non douanières sont moins efficaces que ne le pensent les analystes.

La mesure la plus populaire consisterait à se « débarrasser » des 1 400 Mds$ de bons du Trésor américain que possède la Chine. Théoriquement, cela pourrait faire augmenter les taux d’intérêt américains, freiner le marché de l’immobilier et peut-être pousser les Etats-Unis vers la récession, et ce juste avant les élections de 2020.

La Chine face à un dilemme

Il n’y a pratiquement rien de juste, en ce qui concerne cette menace. Le plus grand perdant, si la Chine se débarrassait de ses bons du Trésor américain, ce serait la Chine. Elle en détient tellement que même si elle le faisait dans une moindre mesure, cela dévaluerait tous ceux qu’elle détiendrait encore.

Les banques américaines (peut-être sur instruction du Trésor) pourraient par ailleurs facilement absorber les titres vendus par la Chine, pour maintenir la stabilité du marché. Et si les ventes devenaient chaotiques, les Etats-Unis gèleraient les comptes chinois (qui sont enregistrés informatiquement sur des systèmes contrôlés par le Trésor et la Fed). La Chine se retrouve avec ses bons sur les bras.

L’une des solutions à long terme consiste à acheter de moins en moins de bons du Trésor américain à l’avenir, mais cela n’a que très peu d’impact, voire aucun, à court terme.

La Chine impose certaines restrictions aux investissements américains sur son territoire, et à certaines exportations technologiques chinoises vers les Etats-Unis. Si cela peut affecter certaines entreprises telles que FedEx, Google et Apple, les conséquences sur l’économie américaine restent moindre.

Plus exactement, la Chine a plus besoin des investissements américains que les Etats-Unis n’ont besoin du marché chinois, alors ces tactiques ne sont bonnes qu’à faire les gros titres. Elles n’aident en rien l’économie chinoise.

Et les terres rares ?

Une autre tactique a attiré énormément d’attention : l’arrêt des exportations de terres rares vers les Etats-Unis et le Japon. Les terres rares (qui ne sont pas si rares, d’ailleurs) sont un ensemble de 17 éléments – pour la plupart des métaux – utilisés dans la fabrication de batteries de pointe, de composants électroniques sophistiqués et dans un certain nombre d’autres processus très spécialisés. La Chine est de loin le plus grand exportateur mondial de terres rares.

Le problème de la Chine, avec cette tactique, c’est que beaucoup d’autres fournisseurs de terres rares attendent en coulisse. Avec un peu de temps et de développement, le Vietnam, le Brésil, l’Inde et l’Australie pourraient tous venir à la rescousse et remplacer les exportations chinoises, si nécessaire.

La possibilité de « sourcer » ces terres rares dans d’autres pays que la Chine, met encore plus le doigt sur la faiblesse de ses projets de riposte commerciale autres que via les barrières douanières. Presque tout ce que vend la Chine aux Etats-Unis, actuellement, pourrait provenir d’autres pays, et ce relativement vite.

Certaines sociétés commencent déjà à déplacer les chaînes d’approvisionnement en construisant de nouvelles usines ou en externalisant vers d’autres fournisseurs en Asie du sud ou Amérique latine, dans la perspective d’une lutte prolongée entre les Etats-Unis et la Chine. Une fois que ces décisions sont prises, on ne fait pas facilement marche arrière.

La Chine s’expose non seulement à de grandes perturbations temporaires mais également à une perte [d’activités] permanente si elle ne règle pas rapidement son conflit commercial avec les Etats-Unis.

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