La Chronique Agora

Gordon Brown avait lâché un Madoff en 2008… en voici 2,5 de plus !

** L’occasion de procéder à une vague de rachats à bon compte semblait belle en Europe : vendredi matin, le Dow Jones venait de rebondir jeudi soir sur les 8 000 points, imité quelques heures plus tard par l’indice Nikkei (+2,5%) et la quasi-totalité des places asiatiques, tandis que le CAC 40 venait de tester le seuil tout aussi symbolique des 3 000 points.

Oui vraiment, les principaux indices boursiers semblaient s’être donné rendez-vous à proximité de leurs planchers de début décembre ou de la fin octobre. Cependant, le feu d’artifices de hausses observé vendredi matin s’est retrouvé éteint par une pluie de mauvaises nouvelles en provenance des Etats-Unis (statistiques et publications de trimestriels) ou d’Europe (l’Espagne pourrait subir une contraction de 1,6% de son PIB en 2009).

Dans ce contexte, les espoirs de voir le marché parisien effacer ses pertes de jeudi (-1,8%) n’ont pas perduré au-delà de l’entame de la dernière demi-heure de cotations… Pourtant, le CAC 40 disposait encore d’une belle marge lors de l’ouverture des marchés américains à 15h30 : Paris gagnait encore 2,5% à 2,8%.

Malheureusement, l’avance du marché parisien a fondu à toute vitesse entre 17h et 17h35 (passant de +1,85% à +0,7%) dans le sillage de Wall Street. L’écart de performance par rapport aux plus hauts du jour a été assez spectaculaire… le CAC 40 étant retombé de 3 107 vers 3 009 points, soit pratiquement 100 points reperdus (plus de 3%).

La perte hebdomadaire du CAC 40 ressortait donc à 8,6%, soit la pire contre-performance depuis la semaine du 5 décembre (-8,4%) et surtout du 21 novembre (-12,45%).

Les Bourses européennes ont également vu fondre leur avance de +3,5% à +1% après les publications des résultats (désastreux) de Citigroup et de Bank of America. Cette dernière a dévissé de -15% supplémentaires, plombant un Dow Jones en recul de 1,1% à la mi-séance.

** Bank of America a obtenu 20 milliards de dollars de soutien de la part du gouvernement américain (c’est plus que le coût de sauvetage du Crédit Lyonnais). C’était urgentissime car le groupe a dévoilé vendredi une perte nette de 1,8 milliard de dollars au titre de son quatrième trimestre, ainsi qu’un déficit de 15,3 milliards de dollars pour Merrill Lynch sur la même période.

Dans le même registre, Citigroup — qui a déjà absorbé 45 milliards de dollars d’aide fédérale, soit plus de deux Crédit Lyonnais — a conclu un accord précisant les modalités du programme de partages de pertes avec le département du Trésor US, la Réserve fédérale de New York et la FDIC, annoncé le 23 novembre dernier. Une structure de defeasance (l’équivalent du CDR) va être créée pour y cantonner les actifs pourris ou invendables du numéro un américain.

** Côté conjoncture, les dernières statistiques américaines de la semaine, publiées par le Département du Travail et la Fed, ont été décevantes : les prix à la consommation aux Etats-Unis ont subi en décembre une baisse de 0,7% sous l’effet de la forte baisse des coûts de l’énergie et du ralentissement économique (+0,4% en rythme annuel, +1,8% en core rate, hors énergie).

La production industrielle des Etats-Unis a encore chuté de 2% au mois de décembre, selon les chiffres publiés vendredi par la Réserve fédérale (c’est la septième baisse consécutive).

Le chiffre de novembre a par ailleurs été fortement revu à la baisse à -1,3%, contre une première estimation de -0,6%. Tous les symptômes d’une déflation sont donc bien en place ; le baril de pétrole a d’ailleurs replongé vers ses prix planchers de 2008, aux environs de 34,70 $.

Les investisseurs ont opéré de lourds dégagement parmi les valeurs cycliques qui leur apparaissaient les plus exposées : les industrielles, les spécialistes des matériaux de construction et le BTP, puis les parapétrolières (dans le sillage du baril).

On relevait ainsi des pertes hebdomadaires de -21,2% sur Rhodia, -20,3% sur Valeo, -19,9% sur Renault, -17,1% sur Lafarge, -16,2% sur St Gobain, -15,5% sur Alstom (-18,3% depuis le 1er janvier), -15% sur CGG Veritas (-13% sur Vallourec), -14,7% sur Schneider et -14,5% sur Bouygues.

** La baisse de taux orchestrée jeudi par la BCE demeure donc lettre morte, mais les commentaires pessimistes de J.-C. Trichet, qui a longtemps minimisé l’ampleur de la crise pour justifier sa frilosité en matière de politique monétaire, sont encore dans les mémoires.

La sinistrose a également ressurgi outre-Atlantique. Le bel élan haussier de la fin de journée de jeudi à Wall Street s’est enrayé après des débuts prometteurs : Lawrence Summers, le conseiller économique de Barack Obama, avait pourtant annoncé la veille le déblocage de 50 à 100 milliards de dollars au profit des emprunteurs en difficulté, afin d’endiguer la vague de saisies/ventes aux enchères de biens immobiliers.

Avec le recul, chacun mesure que l’effondrement du château de carte des subprime aurait pu être évité si le gouvernement américain avait eu l’inspiration de mettre l’équivalent d’un TARP à la disposition des municipalités américaines et des banques. Les premières auraient ainsi pu venir en aide aux acquéreurs menacés d’expulsion, tandis que les secondes auraient pu rééchelonner les remboursements des prêts à géométrie variable. Le Trésor et la Fed auraient fait d’une pierre deux coups : sauvegarder la valeur des "bons municipaux", éviter un krach systémique… et partant de là, l’effondrement de Wall Street.

Mais mettre de l’argent public au service du public, c’est quasiment du communisme. Il vaut cent fois mieux inonder de liquidités les brasseurs d’argent qui les font transiter par des paradis fiscaux et se défaussent du risque qu’ils prennent sur les marchés dérivés, avec des effets de levier colossaux… sur ces mêmes contribuables qu’ils étranglent avec leurs crédits à géométrie variable (et pertes démultipliées en cas de défaut).

** Parmi les motifs de pessimisme récurrents au cours des prochains mois, il ne fait aucun doute que les pertes des banques anglo-saxonnes vont continuer de hanter les pires cauchemars des investisseurs et des gouvernements.

Outre-Manche se prépare la mise en oeuvre d’un nouveau plan sauvetage du système financier britannique, 10 semaines seulement après celui lancé fin octobre. Il pourrait être d’un montant de 100 milliards de livres (110 milliards d’euros ou deux Madoff et demi), selon le Sunday Times.

Cela fait beaucoup d’argent… mais cela ne représente pourtant que la moitié des actifs à risque qui plombent encore les comptes des banques selon la plupart des experts.

Toutes ces créances potentiellement irrécouvrables et autres dérivés de crédit seront assurés avec de l’argent public, c’est-à-dire celui des impôts. Le Trésor britannique a déjà englouti 37 milliards de livres (soit un Madoff) pour "recapitaliser" les banques à l’automne dernier — mais il est rapidement apparu qu’il s’agissait d’une nationalisation partielle de RBS et Lloyds TSB/HBOS après celle, totale, de Northern Rock.

Comme nous le pressentions depuis l’été 2007, le piège se referme. Ni l’Angleterre ni les Etats-Unis n’ont plus d’autre choix que de se jeter à corps perdu dans la spirale de la dette et de la création monétaire. Impossible de s’arrêter au milieu du gué en sauvant une banque ou en condamnant une autre (la faillite de Lehman relevait d’avantage d’un acte de vengeance que de la dure loi du capitalisme, sinon Merrill Lynch ou Wachovia devraient déjà avoir déposé le bilan).

Mais à force de gaspiller de l’argent pour renflouer ceux qui se sont fourvoyés — plutôt que les "victimes civiles" de l’éclatement d’une bulle qu’elles n’ont pas créée — en espérant vaincre l’inflation, les Etats-Unis et le Royaume-Uni pourraient bien parvenir à vaincre le dollar et la livre sterling.

Philippe Béchade,
Paris

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