▪ Vous avez déjà dû lire bien des commentaires sur la décision de la Banque nationale suisse (BNS) annoncée jeudi dernier vers 11h50. Pour résumer la teneur des avis collectés auprès des économistes et spécialistes du Forex, la Banque centrale helvétique vient de prendre une décision scélérate.
Inéluctable, inévitable… mais scélérate.
Vous l’avez compris, le noeud du problème se situe au niveau du timing. Je ne sais pas si nos amis suisses ont opté pour une nouvelle génération d’horloge quantique qui distord l’espace-temps… mais la date et l’heure de l’annonce de l’abandon de la parité plancher 1,20 euro/franc suisse (CHF) ne coïncidait manifestement pas avec l’agenda des marchés.
En plus des repères temporels classiques, la BNS avait semble-t-il perdu le numéro de téléphone de Christine Lagarde. Cette dernière certifie n’avoir reçu aucun appel provenant de Berne ou du bord du Lac des Quatre Cantons.
J’entends souvent dire que la Suisse est le pays des trains qui partent à l’heure et qui doivent parfois freiner prématurément pour ne pas arriver en avance. Une stratégie que la BNS vient d’appliquer avec une sidérante brutalité à son programme de gel de la parité euro-CHF au-dessus du cours plancher de 1,20.
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C’est comme si quelqu’un avait tiré le signal d’alarme au moment où le train atteignait sa vitesse de croisière |
Au lieu d’annoncer qu’elle commencerait à décélérer tranquillement — après que la BCE ait détaillé les contours de son futur QE (il devrait être annoncé sous 48H) — comme elle semblait s’y être engagé fin décembre… c’est comme si quelqu’un avait tiré le signal d’alarme au moment où le train atteignait sa vitesse de croisière.
Un freinage d’urgence que personne n’avait vu venir. Il a précipité tous les passagers du Forex (le marché des changes) le nez dans le fauteuil qui leur faisait face… Quant à ceux qui se tenaient debout sans méfiance (« le maintien de la parité plancher sera poursuivi pour encore de longs mois », avait déclaré le vice-président de la BNS mi-décembre), ils se sont retrouvés écrasés les uns sur les autres au fond des wagons, hurlant de douleur, les membres poly-fracturés.
▪ Pourquoi une telle urgence ?
Le conducteur du train BNS a-t-il aperçu au loin une locomotive qui roulait en sens inverse sur la même voie ? A-t-il vu une avalanche déferler des hauteurs et menacer de tout emporter sur son passage ?
Peut-être les deux à la fois : une locomotive nommée BCE arrivant à contre-sens et dont la sirène aurait déclenché une avalanche de liquidités… justifiant un freinage en catastrophe.
Mais comme l’ont fort justement observé de nombreux spécialistes du Forex, cela fait des mois que la BCE prépare la mise en oeuvre de son quantitative easing, petite phrase après petite phrase, tacle après tacle à l’encontre de la Bundesbank — patiemment marginalisée par Mario Draghi et de nombreux alliés objectifs à Bruxelles (dont la France et l’Italie) au nom de l’impératif catégorique de la lutte contre la déflation.
Pour résumer, cela fait des semaines que le QE de la BCE est annoncé dans tous les journaux… depuis bien avant le dernier engagement formel de la BNS à défendre la parité plancher des 1,20 aussi longtemps qu’il sera nécessaire.
Avec un « bilan » (un encours d’actifs) de 540 milliards de francs suisses proportionnellement le plus élevé de la planète — avec le Japon — puisqu’il représente 80% du PIB helvétique, la BNS filait tout droit vers les 100% d’ici fin janvier en cas de démarrage en trombe du QE de la BCE.
Mais un économiste d’UBS n’avait-il pas affirmé que les excédents de sa balance des capitaux permettaient à la Suisse de porter ses réserves de change jusqu’à 200% du PIB ? Une véritable folie des grandeurs non ?
Quelle aubaine pour la France que de disposer d’un acheteur inconditionnel d’OAT (187 milliards d’euros émises par an) et d’autres dettes souveraines libellées en euro (à hauteur de 250 milliards d’euros selon plusieurs estimations concordantes).
D’une minute à l’autre le jeudi 15 janvier, ce sont pas moins de 75 milliards de francs suisses du bilan de la BNS qui se sont volatilisés |
Le bilan de la BNS comporte également au moins 130 milliards de dollars d’actifs libellés en billet vert. D’une minute à l’autre le jeudi 15 janvier, ce sont pas moins de 75 milliards de francs suisses du bilan de la BNS qui se sont volatilisés avec la dépréciation de 20% de l’euro et du dollar face au CHF.
Ces 75 milliards, c’était l’estimation que j’avançais dès jeudi dernier en début d’après-midi… et c’est exactement le chiffre calculé trois jours plus tard par Liliane Held-Khawam, grande connaisseuse du système bancaire helvétique.
Mais la BNS venait d’annoncer qu’elle avait engrangé 38 milliards de francs suisses (ou d’euros, maintenant c’est la même chose) de bénéfices sur son portefeuille de dettes souveraines en euro et en dollar en 2014… C’est parfaitement crédible vu l’ascension stratosphérique de la valeur des OAT depuis le 6 septembre 2011 (date de mise en place d’un plancher de 1,20 pour l’euro face au CHF).
Autrement dit, la BNS aurait perdu « seulement » 37 milliards — ce qui à mon humble avis donne une juste idée des pertes subies symétriquement par tous ceux qui étaient également engagés dans des stratégies long euro/short CHF.
Parce que sur le Forex, vu les écarts minimes auxquels les spéculateurs s’étaient habitués sur les paires de devises incluant le franc suisse, ceux qui opéraient le faisaient avec des leviers astronomiques. Ils étaient en effet convaincus d’être parfaitement en sécurité, étant donné la confiance aveugle qu’ils avaient placée dans l’inflexibilité — et la crédibilité aussi réputée que le Cervin — de la BNS.
▪ Qu’entendons-nous par « levier » ?
Un levier de 100 sur des prises de position sur le Forex est monnaie courante. Mieux, c’est devenu depuis longtemps un plancher qui fait franchement « petit joueur », même pour un particulier inexpérimenté.
Des leviers de 200 sont chose fréquente… mais chez certains courtiers, la barre a été placée à 500. Oui vous lisez bien : 500 fois la mise initiale.
Déposez 2 000 euros et vous voilà à la tête d’une position d’un million d’euros.
Perdez 20% en quelques fractions de secondes — comme jeudi dernier à 10h50 — et vous voilà à la tête d’une perte de 200 000 euros.
Soit votre maison de campagne ou tout votre Livret A (177 000 euros) y passe… soit vous laissez une ardoise de 198 000 euros à votre courtier qui ne vous dit pas merci.
Toutefois, les courtiers spécialisés sur le Forex s’adressent à une clientèle de particuliers qui ne sont que du menu fretin. Il y a bien quelques institutionnels qui font un peu de chiffre… mais les « gros bras » ne passent pas par ce genre d’intermédiaires.
Ils opèrent au travers de hedge funds qui pèsent des centaines de millions d’euros… et qui prennent des leviers de 200 ou plus avec le soutien financier de grandes banques ayant pignon sur rue et appartenant à la catégorie « systémique ».
Combien de dizaines de milliards d’euros (ou de francs suisses, c’est égal) les hedge funds dédiés au Forex ont-ils perdu sur leurs positions short sur le FCH en quelques secondes ? |
Autrement dit, les 225 millions d’euros de pertes annoncées chez FXCM (vite étanchées par une injection de 300 millions de dollars de Leucadia/Jefferies) ne sont probablement que l’écume des choses. Combien de dizaines de milliards d’euros (ou de francs suisses, c’est égal) les hedge funds dédiés au Forex ont-ils perdu sur leurs positions short sur le FCH en quelques secondes ? Et quel impact cela va-t-il avoir sur les banques qui leur prêtaient les liquidités leur permettant de faire face aux appels de marge ?
Enfin, que se passera-t-il si les banques et les hedge funds se retrouvent contraints de réduire les leviers ? Cela réduira drastiquement la liquidité du Forex, contraignant des opérateurs à dégonfler leurs positions devenues trop massives dans un contexte de profondeur de marché insuffisante pour l’exécution des stratégies de couverture ou de liquidation en urgence.
Commencez-vous à toucher du doigt le fait que les faillites dès vendredi matin des courtiers britannique Alpari ou néo-zélandais Excel Capital ne sont que la partie émergée de l’iceberg ?
Un iceberg de 400 000 milliards de dollars d’encours sur les dérivés de devises… à côté duquel le petit cube de glace helvétique de 400 milliards d’euros de T-Bonds et de dettes libellées en euro représente juste un millième.
Oui mais un millième de chaos dans un ensemble aussi hypertrophié qu’instable, qui peut en prévoir les conséquences ultimes ?
Personne n’avait d’ailleurs prévu que la BNS lâcherait un « cygne noir » sur le Lac des Quatre Cantons le 15 janvier.