La Chronique Agora

La force de la chute

krach, obligations, taux d’intérêt

Bienvenue dans le premier marché baissier des obligations depuis une génération. Jusqu’où nous mènera-t-il ?

L’actualité la plus importante du secteur de la finance a à peine été mentionnée dans la presse populaire. Mais Bloomberg s’en est chargé :

« Les obligations mondiales s’enfoncent dans leur premier marché baissier en une génération.

Sous la pression des banquiers centraux déterminés à juguler l’inflation, même au prix d’une récession, les obligations mondiales ont plongé pour la première fois depuis une génération dans un marché baissier.

L’indice Bloomberg Global Aggregate Total Return, qui regroupe les obligations d’Etat et les obligations d’entreprises de qualité investissement, a chuté de plus de 20% par rapport à son pic de 2021, ce qui représente la plus forte baisse depuis sa création en 1990…

L’inflation galopante et les fortes hausses de taux d’intérêt mises en place par les décideurs politiques ont mis fin à quatre décennies de marché haussier pour les obligations. Cela crée un environnement particulièrement difficile pour les investisseurs cette année, avec à la fois des obligations et des actions en baisse.

… L’indice obligataire de Bloomberg a perdu 16% en 2022, tandis que l’indice MSCI Inc. des actions mondiales a connu une baisse encore plus importante. »

Deux sommets

Nous rappelons à nos chers lecteurs que nous misons sur le long terme. Nous n’avons aucune idée de la façon dont vont évoluer les actions demain… et nous ne pouvons pas non plus nous fier à nos estimations de l’inflation.

Nous essayons simplement de « relier les points entre eux » afin de comprendre ce qui se passe. Nous cherchons à identifier la tendance principale… la marée profonde sous les vagues… celle qui va faire avancer nos bateaux pendant de nombreuses années – ou bien les faire couler.

Voici ce que nous voyons :

Le marché boursier a atteint son sommet en décembre 2021, avec le Dow Jones à plus de 36 000 points.

Le marché obligataire a atteint son sommet durant l’été 2020, avec un rendement des bons du Trésor à 10 ans bien inférieur à 1%.

Il ne s’agit pas seulement d’une pause pour un marché qui a été haussier ces quatre dernières décennies. C’est bien d’une nouvelle tendance primaire.

Les obligations – et les taux d’intérêt qu’elles révèlent – nous indiquent la direction que prennent les forts courants sous-jacents. Elles mesurent (indirectement) la quantité de capital disponible et (directement) son coût. Un pays comme la Suisse, où l’épargne est abondante et les emprunteurs fiables, bénéficie généralement de taux d’intérêt bas.

700 ans de baisse

Dans un quartier de Baltimore où l’on pratique le « prêt sur salaire », ou bien dans un pays pauvre comme Haïti ou le Burkina Faso, les taux sont beaucoup plus élevés, car le capital disponible est moindre… et les emprunteurs risquent de ne pas le rembourser. Généralement, plus le monde s’enrichit, plus les taux d’intérêt baissent.

Paul Schmelzing, de la Banque d’Angleterre, montre qu’ils ont baissé au cours des 700 dernières années. Mais la Fed a fait des siennes il y a 20 ans, en abaissant son taux directeur de plus de 6% à moins de 1%. Le pays était-il soudainement plus riche ? L’épargne était-elle plus abondante ?

Bien sûr que non. La Fed a raconté un mensonge. L’important en matière de taux d’intérêt n’est pas qu’ils soient élevés ou bas, mais qu’ils soient justes. Et la Fed manipulait les prix du crédit afin de donner l’impression que nous étions plus riches que nous ne l’étions réellement. L’idée était de faire grimper le cours des actions, d’augmenter les dépenses et de stimuler l’économie. Puis, en 2008, elle a répété l’arnaque, en ramenant cette fois les taux à zéro. En termes réels, corrigés de l’inflation, le taux des fed funds est resté en dessous de zéro pendant plus d’une décennie – où il est toujours situé.

Il n’est donc pas étonnant que les spéculateurs aient agi comme si l’argent n’avait aucune valeur, faisant grimper les prix des actions de pacotille et des cryptomonnaies à des niveaux grotesques. Pas étonnant que les entreprises aient emprunté pour racheter leurs actions surévaluées. Et il n’est pas étonnant que le gouvernement américain ait dépensé des milliers de milliards de dollars pour des guerres interminables à l’étranger, et du gâchis dans ses budgets successifs.

Le pays a accumulé 90 000 Mds$ de dettes – en cumulant celles publiques et privées… Une quantité telle que la douleur nécessaire pour réduire de l’inflation sera probablement plus grande que ce que l’élite peut supporter. Afin de stopper l’inflation, la Fed doit augmenter les taux d’intérêt. Chaque augmentation de 1% – si elle est appliquée à l’ensemble de la dette – ajouterait 900 Mds$ de dépenses supplémentaires par an, juste pour rembourser.

Le Dow Jones sous les 20 000 ?

Les lecteurs avertis se demanderont : où va l’argent ? Si les débiteurs déboursent 900 Mds$ supplémentaires. Les créanciers doivent encaisser 900 Mds$ supplémentaires. L’économie n’a pas perdu un seul centime, n’est-ce pas ?

Pas exactement. Lorsque les taux d’intérêt augmentent, moins de personnes empruntent et plus de crédits existants sont annulés. Notre système monétaire est basé sur le crédit ; une baisse de l’encours du crédit équivaut à une contraction de la masse monétaire…

… donc, un déclin du marché obligataire nous indique que la marée du crédit, sur laquelle flotte toute l’économie – réelle et fausse – est en train de disparaître.

Déjà, les bateaux du Dow sont en baisse de 15%. Le rendement des obligations du Trésor à 10 ans a plus que quadruplé depuis son plus bas niveau de 2020. Et les taux hypothécaires ont doublé.

Mais ce ne sont, jusqu’à présent, que de légères corrections. S’il s’agit de la tendance primaire à laquelle nous pensons, elle pourrait nous ramener à l’endroit où la dernière a commencé, en 1980. Si c’est le cas…

Le Dow Jones va continuer à chuter… jusqu’à moins de 20 000 points.

Les obligations seront écrasées. Les obligations disposant de faibles coupons seront à nouveau considérées comme des « certificats de confiscation garantie » comme dans les années 1970.

Les taux hypothécaires vont grimper de plus de 18%.

Et les Etats-Unis – économiquement et politiquement – se transformeront en une gelée frémissante de confusion et de désespoir.

L’un de nos dictons est « la force d’une correction est égale et opposée aux bêtises qui l’ont précédée ». Rien que pour cela, la tendance primaire qui se dessine devrait figurer dans le livre des records.

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