On met le terme « financiarisation » à toutes les sauces, pour agiter diverses causes… mais très peu comprennent le concept – et surtout pourquoi il est responsable du plus grand transfert de richesse de tous les temps.
Le mot « financiarisation », comme le mot « néo-libéralisme », est à la mode ; il est mis à toutes les sauces.
Quasi personne ne prend la peine de voir ce qu’il recouvre. C’est d’ailleurs la même chose pour le néo-libéralisme.
On nous vend pour du libéralisme ce qui n’est que la liberté pour les firmes et le capital de surexploiter les salariés grâce au soutien actif et cynique des gouvernements et des banques centrales.
Je soutiens que la financiarisation est une béquille du capital.
Les banques centrales, par la financiarisation qu’elles entretiennent, sont les agents du plus grand transfert silencieux de richesses – revenus et patrimoines – de tous les temps.
Elles jonglent avec des milliers de milliards alors que les moyens traditionnels d’exploitation ne déplacent que des milliards.
Un fourre-tout qu’il est important de définir
La financiarisation est partout ; pourtant, elle est mal connue, méconnue et surtout opaque.
Le mot – ou le concept – est utilisé pour expliquer les crises, l’augmentation des inégalités dans les économies modernes depuis 40 ans, et on s’en sert aussi comme fourre-tout responsable de l’instabilité.
Bien entendu, personne ne prend la peine de préciser ce qu’il entend par « financiarisation » et encore moins de montrer par quels mécanismes organiques la financiarisation serait responsable des dérèglements.
Il suffit de l’affirmer d’un air docte et sentencieux et la cause est entendue.
La cause est entendue d’autant plus facilement que dans « financiarisation » il y a finance, que la finance, la chose d’argent, a mauvaise presse avec des connotations sordides sinon racistes.
Que signifie le terme « financiarisation » ? Ajoute-t-il quelque chose à notre compréhension des problèmes que rencontre le capitalisme moderne ? Et surtout, peut-on se passer de la financiarisation, peut-on revenir en arrière ?
Ce terme est utilisé si largement qu’il fournit peu d’informations supplémentaires sur le système et sa situation.
La définition la plus intéressante a été proposée par le professeur d’économie Gerald Epstein. Elle se formule comme suit :
« La financiarisation pointe le rôle croissant des motivations financières, des marchés financiers, des acteurs financiers et des institutions financières dans le fonctionnement des économies nationales et internationales ».
Une évidence actuellement
Sous cet aspect, la financiarisation est l’évidence qui s’impose quand on observe le développement/déploiement du capitalisme moderne. La finance, le pognon sont omniprésent, tout ruisselle de finance.
Mais comme le dit Epstein :
« Certains auteurs utilisent le terme ‘financiarisation’ pour désigner l’ascendant de la ‘valeur actionnariale’ en tant que mode de gouvernance d’entreprise ;
– certains l’utilisent pour faire référence à la domination croissante des systèmes financiers du marché des capitaux sur les systèmes financiers bancaires ;
– certains suivent l’exemple de [Rudolf] Hilferding [théoricien et économiste autrichien, NDLR] et utilisent le terme ‘financiarisation’ pour désigner le pouvoir politique et économique croissant d’un groupe de classe particulier : la classe rentière ;
– pour certains, la financiarisation représente l’explosion du commerce financier avec une myriade de nouveaux instruments financiers ;
– enfin, pour [Greta] Krippner [sociologue spécialisée notamment en économie et politique, NDLR] le terme fait référence à un ‘modèle d’accumulation dans lequel la réalisation de bénéfices se fait de plus en plus par les canaux financiers plutôt que par la production et la circulation des marchandises’. »
Dans mes textes, j’utilise le terme de financiarisation alternativement sous les différents aspects énoncés par Epstein, sans préciser, puisque c’est le contexte qui indique ce que je vise.
Je précise que j’utilise également abusivement le sens de Krippner pour les besoins de la simplicité. Toutefois, je ne me rallie absolument pas à sa conception selon laquelle il y aurait d’autres sources de bénéfices dans le système que la production de biens et de services : pour moi, le bénéfice qui apparaît dans la finance est un prélèvement sur le bénéfice/la plus-value extorquée aux salariés de la production ; il ne prend pas naissance dans la finance elle-même.
Pour autant, cela ne veut pas dire que la finance et la monnaie ne produisent pas des valeurs, des bénéfices et des plus-values fictives.
Cette production de valeurs fictives correspond à un transfert de richesses : on prend dans la poche des uns pour mettre dans la poche des autres, puisqu’on accroît le pouvoir de prélèvement des déjà-riches sur les biens réels en gonflant leur fortune boursière par l’alchimie, par exemple.
A suivre…
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]