La Chronique Agora

La fin du capitalisme à la chinoise

Chine

« S’enrichir est glorieux », disait Deng Xiaoping en 1978. D’accord… mais pas trop non plus : désormais, la Chine semble vouloir couper tout ce qui dépasse, histoire que personne ne fasse trop d’ombre au régime en place.

« Je t’aime, moi non plus » : c’est la chanson que Xi Jinping pourrait chanter au capitalisme chinois.

Depuis le revirement idéologique fracassant de Deng Xiaoping qui, en 1978, surprenait la planète en clamant que « s’enrichir est glorieux », la relation entre Pékin et le capitalisme a été des plus mouvementées.

Ces dernières années, une sorte d’équilibre semblait avoir été trouvé. La croissance chinoise, tirée par ses usines au service du monde entier, rejaillissait sur la société pour faire naître la plus grande classe moyenne du monde.  Avec plus de 400 millions de citoyens autour du revenu médian et une cohorte de plus de cinq millions de millionnaires (autant que les effectifs français et allemands cumulés), le succès de la stratégie était flagrant.

Aucune raison, a priori, de revenir sur cette organisation qui a fait la fortune de l’empire du Milieu. Pourtant, et de manière inattendue, Pékin s’est illustré ces dernières semaines en attaquant ses propres fleurons industriels.

Mettant à bas l’unité nationale de façade pourtant si chère à la culture chinoise, Pékin n’a pas hésité à clouer au pilori ses champions, causant un désarroi bien compréhensible chez les investisseurs.

Pourquoi attaquer une recette qui fonctionne ?

Usine du monde, mais…

Le capitalisme chinois semblait pourtant une idée de génie.

Dans un premier temps, l’empire du Milieu a accepté de devenir l’usine du monde. Mettant à disposition de la planète entière sa main d’œuvre bon marché et abondante, le pays a proposé aux industriels occidentaux une production à « coût zéro ». Alors que, dans nos contrées, le coût horaire des employés est le poste de dépense prépondérant, il était négligeable dans le cas du Made in China.

De longue date, nous avons attiré l’attention dans ces colonnes sur le fait que ce mode de fonctionnement n’était pas que du dumping profitant à la Chine. Du fait de l’excédent commercial qu’il a causé, ce système n’a pas réellement enrichi le pays. Au niveau macro-économique, la Chine a échangé du temps de travail de ses citoyens contre du papier-monnaie et des emprunts d’Etat occidentaux dont la valeur intrinsèque est nulle.

Ce n’est pas en échangeant du travail bien réel contre de la monnaie fiduciaire que la Chine s’est enrichie. La contrepartie de ce travail fourni par ces millions de salariés sous-payés n’était pas pécuniaire : il s’agissait des transferts technologiques auxquelles les entreprises occidentales devaient consentir avant de pouvoir opter pour le Made in China.

La suite, vous la connaissez. En quelques décennies, la Chine a rattrapé son retard sur l’industrie occidentale. Sur de nombreux sujets, les industries chinoises font aussi bien que leurs grands frères occidentaux.

Les fusées chinoises n’ont rien à envier au lanceur Ariane (et soulignent cruellement l’absence de capacité de mise en orbite de la NASA) ; les automobiles électriques sont à un niveau équivalent aux Tesla tout en étant bien moins chères ; et son TGV est tout aussi rapide, plus silencieux, et moins cher que le nôtre.

Dans d’autres secteurs, l’empire du Milieu se paye le luxe de nous avoir dépassés : informatique quantique, satellites militaires, et bientôt centrales nucléaires sont plus avancés en Asie qu’en Occident.

Conséquence directe, la classe moyenne chinoise s’est enrichie plus vite que n’importe quel groupe dans l’histoire de l’humanité, et son niveau de vie n’a rien à envier à celui des Occidentaux.

Ces succès en série rendent encore plus incompréhensibles les attaques de l’Etat contre ce système de capitalisme dirigé qui a si bien fonctionné jusqu’ici. Il n’empêche que les anciennes recettes ne sont plus acceptables pour Pékin.

Des escarmouches qui deviennent systématiques

Il est de notoriété publique que les milliardaires ne sont pas nécessairement les bienvenus en Chine. S’enrichir est peut-être glorieux, mais pas au point d’avoir un poids qui pourrait faire de l’ombre à la planification centrale.

Voir émerger des Jeff Bezos et des Elon Musk qui, sur leurs propres deniers, mènent des programmes d’une ampleur historiquement réservée aux nations est inenvisageable dans l’empire du Milieu.

C’est ainsi que nous avons vu les profils un peu trop voyants être remis (plus ou moins délicatement) dans le rang. Fin 2020, alors que tous les pays se recroquevillaient sur eux-mêmes pour cause de Covid et que les frontières internationales restaient fermées, le sort de Jack Ma a inquiété les observateurs internationaux.

Le fondateur d’Alibaba et propriétaire du journal hongkongais South China Morning Post, pas toujours favorable à la propagande de Pékin, a disparu du jour au lendemain.

Il a fallu attendre trois mois pour qu’il donne de nouveau signe de vie, reprenant comme si de rien n’était sa présence médiatique. Quelques semaines avant ce troublant hiatus, Pékin portait un coup de semonce à la tech chinoise en annulant au dernier moment l’IPO d’Ant Group, une fintech spécialisée dans le paiement mobile… et ancienne propriété d’Alibaba.

Toute relation de cause à effet serait bien évidemment fortuite.

Cet été, Xi Jinping a remis le couvert. Après avoir laissé Didi Chuxing, le Uber chinois, s’introduire en double-cotation à New York, le pouvoir central a frappé du poing sur la table.

Visiblement échaudé par cette IPO qui avait été faite dans l’urgence avant que les instances financières locales aient approuvé les modalités, Pékin a décidé de suspendre purement et simplement l’application mobile des App Stores.

Pour ce fleuron technologique, qui était il y a quelques semaines encore le symbole que la Chine pouvait avoir des géants du numériques à même de concurrencer les Californiens, c’était une sanction de mort. Comment imaginer qu’une application de taxis puisse survivre si elle n’est plus téléchargeable ?

La symbolique était double. En interne, Pékin a prouvé qu’il n’hésiterait pas à remettre dans le rang ses entrepreneurs, quitte à saborder leur activité. Le too big too fail n’a pas lieu d’être dans ses frontières, et il est hors de question de voir apparaître des géants dont le poids social devient trop important.

A l’international, le pouvoir prouve qu’il n’hésitera pas à faire perdre de l’argent aux investisseurs étrangers qui ont financé ses entreprises – même si les mesures de rétorsion leur nuisent au point de mettre la survie de celles-ci en danger.

Le message est clair : entrepreneurs comme investisseurs doivent se sentir, à tout moment, tout petits devant le pouvoir central. Leur essor, leurs gains et même leur existence est soumise au bon vouloir des autorités – et non l’inverse, comme aux USA où les grandes entreprises participent à l’élection des dirigeants.

Un message à garder en tête pour tous ceux qui voudraient investir aux côtés de la Chine.

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