Avec toutes les centrales nucléaires françaises à l’arrêt, le déficit d’électricité atteint des sommets, et risque de durer au moins jusqu’à l’an prochain…
A l’instant où je rédige cette chronique, 31 des 56 réacteurs nucléaires dont la France est équipée sont à l’arrêt.
Il y en avait 29 sur 56 « hors-service » à la mi-mai et deux de plus depuis le 24 juin : ceux de la centrale nucléaire de Golfech (Tarn-et-Garonne) ont été mis à l’arrêt car la température des eaux de la Garonne est désormais trop élevée pour refroidir correctement les systèmes à vapeur sous pression de la centrale.
Comme cela ne va pas s’arranger avec les 12 jours de beau temps chaud et sec qui s’annoncent d’ici la mi-juillet, combien d’autres centrales vont devoir réduire ou stopper leur production parce qu’il ne manque plus que les bulles pour que l’eau de nos rivières fassent office de jacuzzi ?
Une longue liste de problèmes
La plupart des centrales à l’arrêt sont touchées par un problème de corrosion, ce qui est un phénomène normal passé 40 ans d’exploitation… mais ce qui l’est moins, c’est que ce sont les centrales les plus récentes qui se retrouvent le plus mal en point !
Certaines mises à l’arrêt étaient prévues de longue date, notamment pour effectuer les visites décennales ou les remises en état nécessaires à la prolongation de la durée de vie des réacteurs les plus anciens au-delà de cinquante ans.
Ceci ne pose pas de problème technique majeur : une centrale nucléaire, ce n’est pas un véhicule d’occasion qu’on envoie à la casse parce que les réparations à venir (boîte de vitesse, bloc moteur, électronique…) finissent par revenir plus cher que l’achat d’un véhicule neuf.
Pour filer la métaphore, il s’agit de remplacer les durites, la chaîne de distribution, les filtres et les plaquettes de frein (le « consommable ») … pas question d’effectuer l’échange standard du moteur.
Pourtant, EDF, qui a confié la maintenance de nos centrales à General Electric, invoque « un phénomène inattendu et encore largement inexpliqué de corrosion sur des soudures dans les tuyauteries ».
Pas moins de 12 réacteurs début 2022, et désormais 15 réacteurs (plus du quart du parc nucléaire), sont à l’arrêt pour « expertise approfondie ». Et, pour certaines, cela fait plus de 3 ans qu’EDF est dans l’attente de connaître la nature des réparations à effectuer… il n’y donc aucune date de redémarrage prévue.
D’après l’ASN (autorité de sûreté nucléaire), ce sont les réacteurs les plus anciens (les 900 MW) qui semblent épargnés, alors que les réacteurs les plus récents (qui affichent 1 300 et 1 450 MW) sont les plus sévèrement corrodés.
Un risque de coupures d’électricité ?
Or, l’arrêt de deux réacteurs de 1 300 MW et 1 450 MW (comme Civeaux et Chooz), cela équivaut à l’arrêt de deux réacteurs de 900 MW. Voilà pourquoi, avec la fermeture de deux fois 1 300 MW à Golfech, notre production nucléaire vient d’atteindre fin juin son niveau le plus bas depuis 1985, à moins de 25 GW sur une « puissance installée » de 61,4 GW.
De 78% en 2005, la part du nucléaire vient de tomber sous les 60%, soit une chute de 25%, dont 10% pour cette seule année 2022, alors que le gaz russe commence justement à faire défaut.
Cela ne pouvait pas tomber au pire moment. Une telle conjonction de facteurs négatifs, c’est du jamais vu au XXIème siècle.
Depuis janvier 2020, c’est à dire 2 ans avant le début des hostilités en Ukraine, la production était tombée sous la barre des 400 térawattheures (TWh), ce qui était déjà considéré comme un plancher alarmant (contre 415 TWh en moyenne de 2000 à 2015, avec des pics à 450 TWh l’hiver).
Les médias ont commencé à évoquer des risques de coupures durant l’hiver 2020/2021 en cas de pic de consommation… mais avec l’effondrement de la production aux deuxième et troisième trimestres, nos réserves de gaz étaient au plus haut et EDF a pu puiser allègrement dans ce stock pour ses centrales dites classiques.
Et il n’y a donc pas eu de pénuries de toute l’année 2021, ni début 2022.
Mais, ces derniers jours, la production du nucléaire est tombée à seulement 300 TWh, nos réserves de gaz sont à 50% (c’est peut-être moins… mais c’est à coup sûr un plus bas historique) et la sécheresse fait chuter la production de nos centrales hydroélectriques.
Des pistes pour l’hiver
EDF espère remettre en service les quatre réacteurs « N4 » de 1 450 MW (Civeaux et Chooz, les plus puissants) d’ici la fin de l’année, mais, si la remise en état s’éternise, la France sera dans l’impasse, parce que toutes les centrales au charbon ou au fioul encore en capacité de produire du courant (après leur bannissement pour cause d’empreinte carbone insupportable) seront incapables de délivrer les 5 800 MW qui nous manqueront cet hiver.
Et même pas le tiers de ce montant en réalité. La France va devoir importer de l’électricité au charbon d’Allemagne, alors même que le prix du charbon a lui aussi explosé (triplement en 6 mois, de 125 à 375 $/tonne). Nos factures d’électricité vont donc littéralement exploser cet automne.
Il faut s’attendre à un doublement des factures, à une campagne en faveur du 18° maxi dans nos logements et dans les salles de classe, à éteindre tous les appareils électroniques non indispensables… et peut-être à des délestages, c’est-à-dire une baisse de la puissance disponible délivrée aux particuliers.
Le chef de l’Etat qui nous annoncé fin avril l’avènement d’une « économie de guerre » pourrait – comme pour le Covid – imposer une série de mesures par décret : priorisation des hôpitaux, des services aux collectivités, des industries de pointe, des centres de gestion des « datas » (défense, marchés financiers, services fiscaux, cloud, etc.).
Le gouvernement pourrait symétriquement dresser une liste des types de consommation non-essentiels : éclairage public après 22h, enseignes lumineuses, remontées mécaniques hors vacances scolaires… et le minage de crypto-actifs, qui est de toutes les « activités » certainement la moins essentielle au bon fonctionnement de notre économie, mais engloutit des quantités de courant qui ne produisent aucune richesse et aucun confort à la collectivité.
Bien entendu, les crypto-fans tentent de nous faire croire que les fermes de minage sont installées près de sources d’énergie non carbonées et utilisent du « courant perdu ».
Mais qui en période de pénurie ne songera pas à récupérer le moindre kilowatt de « courant perdu » disponible à travers l’Europe pour chauffer une salle de classe ou faire fonctionner un hôpital plutôt que faire tourner une batterie de serveurs qui consomment 10 000 $ d’électricité pour produire un jeton 100% immatériel qui ne réchauffe aucun bâtiment et ne fait tourner aucune usine ?
Sans nucléaire (la moitié du parc sera à encore l’arrêt cet automne), sans gaz, avec de l’éolien et du photovoltaïque « non pilotables » (c’est-à-dire non disponible à volonté), du charbon hors de prix qui va nous valoir des pics de pollution digne des années 1900 à Londres (mais à travers toute l’Europe), il risque de faire froid à Noël.
Alors si vous êtes invités pour Noël chez l’heureux possesseur d’une cheminée, apportez donc une buche, mais une vraie : au moins vous aurez l’impression de revivre une soirée de réveillon « bien au chaud » comme « avant-guerre ».