La Chronique Agora

Ne faites pas confiance au gouvernement

Une crise assez similaire à celle traversée par l’Argentine nous attend sans doute : que pouvons-nous apprendre de cette expérience, et comment l’appliquer à notre situation ?

Quelles leçons avons-nous retenu de notre expérience en Argentine, demandions-nous hier, et en quoi peuvent-elles servir à l’épargnant et l’investisseur actuel ?

Aujourd’hui, nous examinons quelques éléments de réponse…

On ne peut pas faire confiance aux chiffres du gouvernement

En Argentine, pendant des années, le taux d’inflation était officiellement de 10% environ… mais tout le monde savait que les prix à la consommation réels grimpaient bien plus – de 20%-30% au moins tous les ans.

Le gouvernement a tenté de cacher la vérité en truquant son « indice Big Mac » – un moyen sommaire mais rapide de mesurer la parité de pouvoir d’achat, utilisé notamment par The Economist.

Les autorités argentines ont donc contraint McDonald’s à maintenir le prix de son hamburger emblématique à un niveau bas. Finalement, McDonald’s a dû retirer le sandwich de son menu parce que le groupe perdait de l’argent… tandis que le gouvernement maintenait que le burger n’avait pas augmenté de plus de 10%.

Dans le même temps, les pizzas – un plat très apprécié dans le pays – grimpaient de 25% par an. Les locaux ont commencé à se référer à « l’indice pizza » pour mesurer plus exactement l’inflation des prix à la consommation.

Aux Etats-Unis, une fois abandonnée la discipline monétaire de l’or, il n’y avait pas de moyen de contrôler la masse monétaire, le crédit… ou l’inflation.

Les économistes nous assurent qu’il n’y a pas à s’inquiéter parce que la masse monétaire et l’inflation des prix à la consommation sont sous contrôle. Ils se trompent. Les chiffres sont louches, et ils passent à côté de l’essentiel.

On peut trouver quasiment tous les chiffres de l’inflation que l’on veut – en fonction des critères sur lesquels on se base.

Et la masse monétaire ? La nature de la monnaie a changé – et, avec elle, l’importance de la masse monétaire a décliné.

L’or a été écarté de force en 1968, quand l’administration Johnson a mis fin à l’obligation, pour la Réserve fédérale, de détenir des réserves d’or en garantie des billets de la Réserve fédérale. On a fini par emmener le métal jaune dehors pour le fusiller en 1971, quand le président Nixon a mis fin à la convertibilité directe.

Il a été remplacé par le crédit.

Depuis, la masse monétaire (M2) grimpe d’environ 7% par an. Le crédit bancaire de la Réserve fédérale, lui, a grimpé bien plus rapidement.

Les gens n’ont plus beaucoup d’« argent », au sens ancien du terme. Ils ont peu d’épargne – et ce qu’ils mettent de côté n’est pas du véritable argent : c’est un instrument de dette de court terme émis par la banque centrale.

Aujourd’hui, quand les gens vont acheter une maison, une voiture ou même un dîner… ils ne règlent pas en espèces. A la place, ils utilisent le crédit.

Ce qui compte pour eux, ce n’est pas combien d’argent ils ont, mais le montant du crédit qui leur est disponible… et si leur flux de trésorerie est suffisant pour absorber les coûts de leur dette grandissante.

Leur pouvoir d’achat dépend d’une offre continuelle de crédit.

Les attentes d’inflation, elles non plus, ne dépendent plus de la masse monétaire mais de la disponibilité du crédit et la volonté du public de l’utiliser.

Attention aux actifs papier de toutes sortes

A la fin des années 1990, alors qu’une crise financière majeure approchait en Argentine, les gens ont essayé de se protéger en stockant du cash. Certains avaient des pesos. Certains préféraient les dollars US. Certains avaient des obligations. Certains avaient une pension.

Toutes ces formes d’investissement et d’épargne papier se sont révélées désastreuses.

Le peso a été séparé du dollar – ce qui l’a fait chuter de 65%.

Les dépôts en dollars n’étaient pas une protection : le gouvernement a simplement fermé les banques et transformé les dépôts en dollars… en pesos. Les pertes étaient identiques.

Les pensions et les obligations ont été dévaluées de la même manière – ou bien les entreprises ont fait faillite avec des pertes de 100%.

Plus tard, le gouvernement a pris le contrôle des pensions privées – soi-disant dans le but de protéger les fonds destinés aux retraites. Le gouvernement les a utilisés pour acheter ses propres obligations.

Leçon : les actifs papier sont trop faciles à manipuler et dévaluer.

Les résultats ont été dévastateurs pour les épargnants de la classe moyenne qui comptaient sur cet argent. Nombre d’entre eux ont été ruinés. Au plus fort de la crise, de nombreuses familles anciennement aisées durent fouiller les poubelles juste pour trouver quelque chose à manger.

Les riches se sont montrés plus rusés. Ils conservaient une bonne partie de leur argent dans des comptes étrangers – notamment en Uruguay et à Miami. Ils avaient acheté de l’immobilier, des entreprises et des objets de collection, plutôt que des actifs papier.

Ces actifs tangibles ont vu eux aussi leur valeur baisser pendant la crise. Mais la plupart d’entre eux se sont remis durant les années qui ont suivi.

Par exemple, je suis venu en Argentine pour la première fois en 2004. A l’époque, les prix des fermes, ranches et appartements semblaient absurdement bon marché. Depuis, les prix de l’immobilier ont connu une hausse substantielle.

Attention à la crise de confiance

Lorsqu’une économie devient dysfonctionnelle, la confiance décline à tous les niveaux.

Durant la République de Weimar, en Allemagne, une crise hyperinflationniste a eu lieu – des témoins ont qualifié la situation de « carnaval infernal », où tous les anciens critères de valeur, du vrai et du faux, du bien et du mal avaient été balayés. Un homme pouvait épargner toute sa vie pour profiter d’une retraite confortable. En une semaine, son épargne entière pouvait perdre l’intégralité de sa valeur.

Cela signifiait-il que sa vie entière ne valait rien ? Il semblait n’y avoir aucune raison de se préparer à l’avenir… aucune raison de faire preuve de discipline… aucune raison de rester raisonnable. Personne ne savait ce que valaient les choses – qu’il s’agisse d’objets matériels, de coutumes ou de promesses. Tout cela, selon les observateurs, rendait fou.

La prochaine rupture

Nous ne savons pas à quoi nous attendre aux Etats-Unis et en Europe… ni quand l’attendre. Comme au Japon, les choses pourraient continuer ainsi – avec une hausse des niveaux de dette et une économie relativement stable – pendant de nombreuses années.

Mais lorsque la rupture se produira, la confiance dans l’ancien modèle… sa monnaie, ses promesses, ses théories et ses manières de fonctionner… se dissoudront toutes.

Les gens ne pourront pas identifier le coupable avec précision. Ils se sentiront simplement floués… et nombre d’entre eux penseront qu’eux aussi doivent tricher. En pareil cas, les prêts, les engagements, les papiers de toutes sortes – tous perdent leur fiabilité et leur crédibilité. Contrats, billets, reçus – souvent, ils sont simplement fabriqués de toutes pièces.

Les gens tendent à tricher de plusieurs manières différentes. Les comptes bancaires offshore deviennent communs… de nombreuses transactions sont menées sur des comptes secrets… tandis que beaucoup d’achats et de vente se font en cash, sous forme de dessous de table.

La confiance dans les entreprises, les investissements et le gouvernement déclinera rapidement. Le citoyen moyen ne sera pas prêt. Il apprendra – à un coût considérable – à se diversifier dans d’autres devises, dans l’or, l’immobilier et les actifs tangibles… à se méfier des chiffres officiels… et à ignorer les statistiques douteuses et les transactions louches de toutes sortes.

Lorsque cela arrivera, une expérience comme celle que nous avons vécue en Argentine se révélera utile.

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