▪ La presse financière s’amuse. Avec des mots !
Un gros titre annonçait que l’atmosphère est « toxique ». Un autre prévient d’une possible « contagion ».
« Les politiciens bidouillent pendant qu’Athènes brûle », disait le Wall Street Journal.
Tous tombent d’accord : l’Europe va tout droit en enfer.
Les autorités ont essayé d’éviter le désastre. Elles s’en sont bien tiré. C’est-à-dire qu’elles ont évité les petits désastres. Et elles ont planté le décor pour un gros désastre. Allons-y, alors !
▪ Dans les rues d’Athènes, des policiers armés de matraques frappent les manifestants, eux aussi armés de matraques. « La Grèce a été plongée dans le chaos politique »… commençait un article de Financial Times.
Mais que se passe-t-il vraiment ?
La Grèce est un petit pays, avec un petit PIB et pas de pétrole… Les olives sont sa principale exportation… et sa dernière vraie victoire militaire remonte à 326 av. J.C., avec la bataille de Jhelum, durant laquelle Alexandre le Grand a défait un rajah indien appelé Porus. Mais la Grèce est aussi endettée que les Etats-Unis. Sauf que contrairement aux USA, les prêteurs ne veulent plus donner d’argent à la Grèce. Ils ont lu leurs livres d’histoire. Ils savent ce qui se passe quand on prête de l’argent aux Grecs. On ne le récupère jamais.
D’un autre côté, ils savent aussi que la Banque centrale européenne et les autorités financières du monde entier craignent le désastre. Elles détestent les catastrophes. Elles pensent que leur description de poste inclut d’éviter les calamités de toutes sortes.
Les investisseurs ne savent pas franchement quoi penser. Le danger est élevé, mais il y a aussi des récompenses. Les obligations grecques à trois ans rapportent 28%. Si les autorités réussissent un nouveau renflouage, les spéculateurs pourraient gagner beaucoup d’argent sur le côté « long » de la dette grecque.
Mais comme nous le disions un peu plus tôt, c’est précisément parce que les autorités sont si douées pour éviter les calamités que nous nous retrouvons confrontés à un si grand nombre d’entre elles. Si elles avaient laissé la Grèce faire faillite il y a trois ans, le problème serait derrière nous, plutôt que devant.
▪ Eviter les désastres n’a pas fonctionné — du moins pas en ce qui concerne les désastres liés à la dette. Peu importe les bidouillages des autorités — monétaires, budgétaires ou non-conventionnels — la dette est toujours là. Et dans la mesure où tous ces bidouillages coûtent de l’argent… la dette devient de plus en plus grosse.
Et si on essayait plutôt ça : donnons au désastre une chance de montrer ce qu’il sait faire. Laissons la calamité tenter sa chance. Applaudissons l’arrivée de la catastrophe.
De toute façon, elle se produira que nous le voulions ou non.
Alors pourquoi ne pas en profiter ? Sérieusement, qui se soucie du fait que quelques grandes banques fassent faillite ? Qui se soucie de voir la Grèce, le Portugal et l’Espagne — si on en arrive là — forcés de quitter l’Union européenne ? Qui se soucie de voir les banquiers devoir renoncer à leurs bonus… les spéculateurs ne pas recevoir leurs primes… ou des officiels pompeux dans l’incapacité d’affirmer qu’ils ont « sauvé l’économie mondiale » ?
Pas nous.
Evidemment, nous ne savons pas vraiment ce qui se passerait si on laissait le désastre résoudre lui-même les choses. Si l’Union européenne n’accorde pas un nouveau renflouage, les banques grecques — y compris la banque centrale — seront insolvables. Il en ira peut-être de même pour la BCE. Elle a un prêt de 49 milliards de dollars en cours pour la Grèce. Elle a aussi beaucoup d’autres dettes dans ses comptes — de l’Espagne, du Portugal et de l’Irlande. Ce que cette dette vaut aujourd’hui, vous pouvez le découvrir en lisant les pages financières. Ce qu’elle vaudra après un défaut de la Grèce, personne ne le sait… mais ce sera sûrement beaucoup moins. Et lorsque les pertes seront additionnées, elles dépasseront probablement le capital de la BCE.
C’est alors que les choses tourneront vraiment mal.
Qu’arrivera-t-il ? Personne ne le sait. Mais nous aimerions le découvrir.