La Chronique Agora

L’Etat ne fait pas le bonheur

L’immixtion de l’Etat dans votre vie privée commence avec des choses a priori inoffensives comme des campagnes de communication ministérielles visant à vous rappeler comment vous laver les mains.

Cependant, les déclarations infantilisantes de la classe politique à l’égard de la population sont à tel point monnaie courante que l’on se retrouve sans que cela n’émeuve grand monde avec des ministres de la Culture qui veulent fixer des « projets civilisationnels » et des opposants qui veulent quant à eux « construire un peuple ».

Evidemment, si certains serviteurs de l’Etat ont de telles ambitions, c’est pour notre bien ! 

Quand l’Etat assure votre bonheur

Il règne dans la politique française un grand malentendu. Nombre de politiciens prétendent – par conviction ou par stratégie – que l’objectif ultime de l’action politique est d’assurer le bonheur de la population.

Peut-être François Ruffin gagnerait-il à lire ce papier que j’avais rédigé il y a deux ans au sujet de cette conception illibérale de l’action politique.

Au risque de me répéter, ce n’est pas à l’Etat de s’occuper du bonheur des gens. Le rôle légitime des autorités publiques se borne à assurer que chaque individu dispose des conditions de la réalisation de son bonheur personnel tel qu’il l’entend.

L’Etat devrait avant toute chose garantir la sécurité, la liberté et la propriété de chacun ; il ne devrait s’écarter de ses fonctions régaliennes qu’avec la plus grande parcimonie. Il faut vraiment avoir une mentalité de communiste pour vouloir faire le bonheur des gens à coups de lois, de grands plans quinquennaux et autres formulaires CERFA.

On pourrait espérer que l’Elysée soit immunisé vis-à-vis de cet état d’esprit. Malheureusement, la conception qu’Emmanuel Macron a de l’action publique n’est pas très éloignée de celle de François Ruffin…

Les présidents de la République se succèdent et les politiques constructivistes se ressemblent : tel est l’un des drames français.

Le but affiché d’Emmanuel Macron est donc de faire en sorte que chaque Français soit heureux. Comment procéder ?

Les Etats occidentaux, la carotte et le bâton

L’action étatique vis-à-vis du bonheur de la population consiste à « aider » cette dernière à adopter des comportements souhaitables (du point de vue de l’Etat), en l’incitant ou en la contraignant. C’est soit la carotte, soit le bâton, comme l’a parfaitement compris Emmanuel Macron.

Voici par exemple un extrait de sa conférence de presse du 25 avril 2019, en réponse aux revendications des Gilets jaunes :

Niveau bâton, c’est la fiscalité comportementale et les réglementations liberticides qui sont à l’œuvre ;  nous avons vu samedi passé avec le Nanny State Index que la France est à ce titre le dixième pays le plus janséniste de l’UE.

Niveau carotte, la France n’est pas en reste avec un maquis d’un peu moins de 500 niches fiscales. Ce grand chantier a commencé en 1810, mais c’est dans les années 2000 que l’Etat a été le plus productif, avec 172 niches créées en 10 ans, comme l’explique la journaliste des Echos Ingrid Feuerstein.

Le nudge, ou « la méthode douce pour inspirer la bonne décision »

Une troisième voix plus finaude est celle promue par Richard Thaler, prix Nobel d’Economie 2017 et auteur de Nudge, la méthode douce pour inspirer la bonne décision. Le paternalisme libéral prôné par ce théoricien de la finance comportementale consiste à influencer le comportement des individus en leur suggérant indirectement (nudge peut se traduire par coup de coude) la meilleure attitude à adopter pour lui, et pour la société. On se situe donc aux antipodes de la contrainte étatique.

L’exemple le plus célèbre est bien sûr celui des fausses mouches apposées au fond des urinoirs afin d’inciter leurs utilisateurs à bien viser, lesquelles mouches permettent de réduire drastiquement les dépenses de nettoyage.

Les défenseurs de ce genre de politique fondée sur le bon sens estiment qu’elles permettent d’influencer la prise de décision largement aussi efficacement que le bâton législatif.

Elles sont cependant elles aussi exposées à un risque de dérive de la part de l’Etat. Comme l’écrit l’économiste Alexandre Delaigue :

« Par exemple, limiter via la réglementation le nombre de lieux dans lesquels on pratique des avortements, imposer à celles qui veulent le faire un long entretien préalable, est une forme de nudge : les femmes qui souhaitent effectuer une IVG peuvent toujours le faire, mais doivent alors faire face à des files d’attente, parcourir de longues distances, et subir une conversation moralisante. […]

Thaler et Sunstein rappellent qu’un nudge ‘éthique’ doit avoir deux propriétés : il doit être transparent, présenté comme tel, de manière explicite, aux intéressés. Et il doit être facilement contournable. Un SMS m’incitant à payer mes impôts en me rappelant que dans ma région, 90% des gens le font à temps, respecte cette règle. Et après tout la réglementation est déjà remplie de tels mécanismes qui nous rendent plutôt service. Pensez aux bandes rugueuses sur le bord de la route, qui font du bruit si jamais je sors de ma trajectoire par distraction ».

Voilà pour les pratiques occidentales en matière de façonnement des comportements individuels ou de groupe, en vue d’assurer le bonheur de tout un chacun.

La semaine prochaine, je vous donnerai quelques nouvelles du modèle… chinois.

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