La Chronique Agora

Et si la croissance chinoise nous posait un lapin ?

Dans le « Meilleur des Mondes » que nous évoquions mardi, les vieux adages boursiers sont frappés d’obsolescence !

Prenez par exemple celui qui postule que « les arbres ne peuvent monter jusqu’au ciel » : non seulement les arbres algorithmiques le peuvent, mais leurs branches sont programmées pour s’étendre jusqu’au bout du firmament.

Leurs feuilles ne tombent jamais, ils fleurissent été comme hiver, sous la douce rosée du matin comme sous la tempête, leur écorce est dure comme de l’acier, aucune hache ne saurait l’entamer… Sauf que notre bonne vieille Terre, avec sa chimie au carbone, est bien incapable de fournir un sol pouvant favoriser la maturation d’un tel colosse.

Il n’est pas interdit d’imaginer d’autres mondes (meilleurs comme il se doit), régis par d’autres lois physiques… et d’y croire très fort. Avec l’apport de quelques substances hallucinogènes, ils finiront par paraître aussi réels que le nôtre. Sauf que vous ne confieriez pas votre épargne à gérer à quiconque s’imaginerait régner sur une dimension parallèle.

Vous auriez tort, car les Etats-Unis ont confié leurs finances à une corporation désormais totalement coupée de la réalité, qui ne fonctionne plus que sous injection massive d’une drogue totalement addictive, mieux connue sous l’acronyme « QE2 ». Et la Fed promet de lui en procurer jusqu’à ce que son système nerveux central en soit totalement saturé.

▪ Ce « QE2 » fait merveille : le Dow Jones a gagné 0,59% mardi soir, à 12 233 points. Il aligne ainsi sa septième séance de progression consécutive, la 11ème sur une série de 13, la 34ème sur une série de 48… dont deux seulement se sont soldées par des replis de plus de 0,3%. Les séances obtenues par soustraction correspondent à de brefs épisodes de consolidation ne durant jamais plus de 48 heures et d’une amplitude n’excédant jamais 0,2%.

C’est tout simplement une première historique, et un scénario seulement comparable à l’obnubilation haussière de la bulle des dot.com.

Vous pouvez objecter que le cumul des gains à l’époque dépassait parfois ceux que nous avons pu observer ces six derniers mois. Certes, mais la hausse n’était pas alimentée par de l’argent sorti de nulle part. Les investisseurs payaient des prix délirants pour détenir en portefeuille des entreprises filant vers une faillite assurée… C’était ce que nous appelons de « l’argent idiot »; mais son origine était tangible, chacun pouvait choisir de récupérer sa mise avant l’inéluctable catastrophe.

Demandez-vous aujourd’hui si les futurs retraités américains peuvent profiter de la bulle actuelle pour prendre leurs bénéfices virtuels.

Demandez-vous si les traders algorithmiques se soucient de l’éventuelle désintégration de cette masse de fausse monnaie imprimée par la Fed, ruinant une deuxième fois en quatre ans les épargnants dont l’horizon de placement excède malencontreusement la nanoseconde et qui croient encore en une forme d’efficience des marchés.

La notion de marché (lieu de confrontation de deux forces antagonistes visant à déterminer une juste valeur des actifs) se délite de jour en jour, jusqu’à devenir un concept complètement vide de sens.

Un marché suppose une certaine diversité des opinions et des stratégies, une prise en compte du contexte macro-économique (ralentissement industriel en Allemagne, surchauffe en Chine et inflation dans l’ensemble des BRIC), des questionnements vis à vis de la tension des taux d’intérêt américains.

▪ Il se trouve que le 30 ans affichait mardi soir 4,77% ; le rendement des T-Bonds à 10 ans est repassé au-dessus des 3,65%. Cependant, aucune dégradation des marchés obligataires ne saurait constituer une menace : où irait s’investir l’argent, sinon dans les actions ? Leur hausse inexorable constitue donc l’unique alternative ! Tout se passe comme si aucun niveau de valorisation — aussi délirant soit-il — n’apparaissait plus démesuré.

La réponse du marché est sans ambiguïté : le Nasdaq a gagné 0,47% (à 2 797), le S&P 500 0,42%, à 1,25 points, sa meilleure clôture depuis le 19 juin 2008. Ces deux indices ont par ailleurs doublé de valeur en moins de 23 mois, cela aussi, c’est historique.

Le Composite a été dopé par les valeurs de la distribution. Les Américains recommencent à s’endetter… mais ont-ils le choix ? Le véritable coût de la vie progresse de plus de 4% tandis que la masse salariale se contracte depuis fin 2007.

D’après des études menées par les banques — sur lesquelles elles se montrent plutôt discrètes — les nouveaux emprunteurs seraient le plus souvent d’anciens débiteurs qui ont fait défaut sur leurs prêts immobiliers. Cela leur procure de nouvelles marges pour des crédits à la consommation contractés auprès d’organismes indépendants de ceux qui ont enregistré un sinistre.

▪ A propos de crédit… auriez-vous pu deviner en voyant l’euphorie des indices boursiers que la Chine venait d’annoncer mardi midi un nouveau tour de vis monétaire (+0,25% à 6,06%) pour bien commencer « l’Année du Lapin » ? Contrairement aux trois relèvements précédents, il n’y a cette fois-ci aucune trace d’allergie à cette mesure de durcissement.

C’était largement anticipé en cette période de Nouvel An chinois, affirment les économistes. Aucune conséquence fâcheuse sur la bulle immobilière n’est à redouter : on n’est pas aux Etats-Unis, que diable, les candidats au mirage immobilier se comptent par centaines de millions.

▪ Nullement troublé par la possibilité d’une décélération de la locomotive chinoise, l’indice CAC 40 affichait +0,43% à 4 108 points. Francfort gagnait 0,5% à 7 300 points, malgré un mauvais indice d’activité industrielle : pas question de prendre des bénéfices sur un DAX qui a plus que doublé de valeur en l’espace de 23 mois tandis que le rendement des Bunds franchit le cap des 2,6%.

Et ne parlons pas de l’enlisement du dossier FESF dont plus personne ne se préoccupe puisque la BCE rachète discrètement les émissions du Trésor irlandais et espagnol… Avec tout ça, vous ne croyez toujours pas à l’avènement du Meilleur des Mondes ?

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