La Chronique Agora

Erreurs et accidents

Mme Zelenska courtise Davos, Krugman développe de mauvais calculs, Jackson se fait désarmer, et plus encore…

« Traversons la rivière et reposons-nous à l’ombre des arbres. »
~ Derniers mots prononcés par le général Thomas « Stonewall » Jackson avant sa mort.

Continuons notre suivi, un peu décalé, du Forum économique mondial de Davos.

Ce matin-là, à la télévision, le ministre français des Finances, Bruno Le Maire, portait une écharpe. Et le PDG d’Infosys une parka à capuche. Ils ont peut-être atterri dans des jets privés crachant du carbone… mais lorsqu’ils sont devant les caméras, ils deviennent écolos.  Leur message était le suivant : « Baissez le thermostat. »

Les médias étaient de retour à Davos. Ils sont montés sur leurs chevaux de bataille habituels, se sont inclinés devant leurs dieux sacrés et ont fait la promotion de leurs problématiques préférées.

Problèmes à résoudre

Cette année, Olena Zelenska, l’épouse du président ukrainien Zelensky, était la reine du bal. Lors de la conférence, les mots qu’elle a prononcés ont été accueillis par une large approbation :

« Nous sommes tous intérieurement convaincus qu’il n’existe aucun problème mondial que l’humanité ne puisse résoudre. […] C’est d’autant plus important maintenant que l’agression de la Russie en Europe pose divers défis. »

Bien sûr, il y a beaucoup de « problèmes » contre lesquels les humains ne peuvent pas faire grand-chose. Les rats à Baltimore. Les personnes lors de réunions sociales. Les crétins au sein du Congrès. Peu de gens veulent réellement mourir. Mais personne n’y échappera.

Puis, pour en venir à la guerre…

« Il n’y a aucun jour de repos durant la guerre […]. Tout le monde en Ukraine risque sa vie tous les jours. »

Bien sûr, ce n’est pas vrai non plus. La plupart des habitants de l’Ukraine sont loin de la zone de combat… et le nombre de victimes civiles est faible ; la Russie aurait apparemment tenté de limiter les dommages collatéraux. Les chiffres font état d’environ 8 000 décès civils dans le pays l’année dernière, causés par la guerre. Sur une population de 43 millions d’habitants, cela représente un taux de mort violente de 18 pour 100 000.

Les Russes sont bien loin d’égaler le taux de morts violentes au sein des villes américaines. A Baltimore l’année dernière, par exemple, le taux était environ trois fois plus élevé (52).

Plus tard dans la soirée, le mari de Mme Zelenska est monté sur scène.

Temps de guerre

Lui et sa femme doivent partager la même plume pour rédiger leurs discours. Il n’y a « pas d’accident en temps de guerre », a déclaré l’homme sur le podium. Il s’exprimait quelques heures seulement après qu’un hélicoptère se soit écrasé à Kiev. A bord se trouvait le ministre ukrainien de l’Intérieur, aujourd’hui décédé.

L’affirmation selon laquelle il n’y a pas d’accidents en temps de guerre est incorrecte également. L’histoire militaire en est remplie. Lors de presque toutes les grandes batailles, le brouillard de la guerre est épaissi d’erreurs, de mensonges et d’accidents.

Dans la célèbre charge de la brigade légère, par exemple, la cavalerie anglaise a chevauché vaillamment à travers « la vallée de la mort », comme l’a décrite Alfred Tennyson, lors de la guerre de Crimée. (La Grande-Bretagne était les Etats-Unis de l’époque – prête à se jeter de tout son poids sur la planète entière.)

Mais la brigade légère finit par faire fausse route. Son commandant, Lord Cardigan, avait passé tellement de temps sur son voilier, ancré au large dans la mer Noire, avec son propre cuisinier à bord, qu’il ne savait plus où il était une fois revenu à terre. Lord Lucan, son beau-frère, qu’il détestait, lui ordonna d’avancer sur une position d’artillerie russe et n’indiqua que d’un vague signe de la main la direction où chargea plus tard la brigade légère. Peu après, il y avait effectivement des canons à leur gauche, des canons à leur droite, et des canons devant eux. Tous crachaient leurs boulets. Laminant la pauvre cavalerie anglaise.

La brigade légère s’était tout simplement perdue dans la mauvaise direction. Et lorsque les canons se sont tus, elle avait perdu plus de 250 hommes et 360 chevaux, environ un tiers de la troupe. Pour sa part, Lord Cardigan a chargé tout le long de la vallée, jusqu’aux canons russes. Le commandant russe l’a reconnu sur son cheval… les deux hommes avaient fait la fête ensemble à Londres avant la guerre. Il ordonna à ses hommes de ne pas le tuer, mais de le capturer. Peut-être espérait-il avoir une conversation plus agréable lors du dîner.

Mais Cardigan, réalisant qu’il était sur le point d’être capturé, éperonna son cheval, qui sauta par-dessus les parapets entourant l’un des canons et galopa dans l’autre sens, à travers la vallée. Laissant derrière lui les morts et les blessés, Cardigan était revenu à son bateau à temps pour le dîner.

Équations fatales

Si l’on retire les accidents, les erreurs et les mauvais calculs de la guerre, il ne reste pas grand-chose de l’histoire militaire. Qu’est-ce que l’attaque de Napoléon sur Moscou si ce n’est une erreur monumentale et stupide ? Adolf Hitler a peut-être pensé que les transports mécanisés lui permettaient de réussir là où Gustavus Adolphus et Napoléon Bonaparte avaient échoué. Mais les Soviétiques avaient aussi des machines. Ils ont déplacé leur industrie lourde vers l’Est… et lorsque leurs chaînes de production ont été lancées, ils ont pu produire des dizaines de chars d’assaut dans le temps qu’il fallait aux Allemands pour en produire un seul.

L’économiste du New York Times Paul Krugman écrit que c’est là que réside le secret de la guerre:

« Je ne suis pas un expert en défense. Mais je m’y connais en mathématiques appliquées – et les guerres contemporaines sont, dans une large mesure, une affaire d’arithmétique. »

Et oui, bien sûr, les chiffres jouent un rôle.  Mais, Paul, explique-nous ceci :

A Rorke’s Drift, en Afrique du Sud, en 1879, les soldats britanniques étaient largement dépassés en nombre par les guerriers zoulous, à 40 contre 1. Les statistiques étaient terribles. Mais ils ont gagné. Comment cela se fait-il ?

Robert McNamara était un homme de chiffres. Il a fourni des statistiques détaillées, montrant la supériorité écrasante des Etats-Unis contre les Nord-Vietnamiens. Nous avions plus d’armes, plus de chars, plus d’hélicoptères, plus de coca-cola, et plus de prostituées à Saigon. Qui a gagné ?

On pourrait poser la même question à propos de l’Afghanistan – aujourd’hui aux mains des Talibans… et de l’Irak, aujourd’hui dirigé par Muqtada al-Sadr, dont la milice a tué quelque 600 soldats américains après l’invasion américaine. Dans ces deux pays, les chiffres ne laissaient aucun doute : les Etats-Unis allaient l’emporter. Que s’est-il passé ?

Krugman affirme que l’Ukraine gagnera sa bataille contre la Russie, parce qu’elle est soutenue par l’Otan, dont les effectifs sont plus importants. Mais des « accidents » peuvent toujours se produire.

Désarmés

L’un des plus célèbres d’entre eux s’est produit en Virginie centrale en 1863. Le général Stonewall Jackson revenait à son camp après avoir examiné le terrain où aurait lieu la bataille du lendemain. Il venait d’infliger une défaite cuisante aux troupes de l’Union, lors de ce que l’on a appelé la bataille de Chancellorsville.

Les sudistes étaient moins nombreux, 2 contre 1, mais Jackson parvint tout de même à se séparer du corps de l’armée du général Lee et à attaquer les nordistes par le flanc. Puis, après le crépuscule, Jackson est allé préparer un autre assaut contre les yankees démoralisés. S’il avait pu poursuivre ses plans, il aurait pu infliger une défaite si dévastatrice à l’armée du Potomac que Lincoln aurait peut-être été contraint de faire la paix.

Après le premier jour de la bataille, Jackson s’est rendu personnellement sur le champ de bataille pour en étudier la configuration, au crépuscule, avant de retourner à son camp. Mais, dans la pénombre, il est confondu avec l’ennemi par des sentinelles. Jackson est touché par trois balles provenant de ses propres troupes. Son bras a dû être amputé. Il meure, peu de temps après, d’une pneumonie.

« Vous avez perdu votre bras gauche », lui a écrit le général Lee sur son lit de mort, « et j’ai perdu le droit ».

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