Une crise, ce n’est pas forcément un effondrement des cours boursiers. Il est tout à fait possible d’avoir une crise « à la hausse », aussi dangereuse qu’une baisse généralisée.
Les marchés financiers vont de crise en crise, et ces crises se rapprochent et se multiplient.
Le sens commun et les autorités ont tendance à ne considérer comme crise que les chutes et les effondrements de cours. C’est une vision très limitée qui tient au biais que chacun a de vouloir croire que l’optimum, le souhaitable pour les Bourses, c’est la hausse.
Non, l’optimum, ce n’est pas la hausse ; l’optimum, c’est le meilleur « juste prix ».
Le meilleur juste prix, c’est celui qui essaie – ou essaierait – de coller le mieux possible à l’économie réelle ; c’est celui qui produirait des cours soutenables. Ou encore, pour ceux qui y croient, c’est le prix qui se rapprocherait le mieux de la valeur fondamentale.
L’optimum, c’est quand le marché financier accomplit sa fonction et quand il n’introduit pas trop de risque pour la stabilité financière et économique.
L’optimum, finalement, c’est quand les marchés sont ordonnés – au sens où ils traduisent un ordre et non pas un désordre.
L’optimum, ce n’est pas quand « un chien avec un chapeau » s’en met plein les poches.
Un marché de crise
Ici, j’affirme paradoxalement que nous sommes dans un marché de crise. La crise mondiale pandémique de 2020 est différente des précédentes crises du capitalisme.
Le cycle de ralentissement de la production, de l’emploi et de l’investissement capitalistes n’a pas été déclenché par un krach financier, ni dans le système bancaire (comme lors de la Grande récession de 2008-9), ni dans le monde de la Bourse (comme en 1929 ou en 2001).
La récession a été lancée par la pandémie – laquelle a déclenché un marasme mondial sans précédent, affectant 97% des nations du monde.
La chute de la production, du commerce, des investissements et de l’emploi dans le monde n’a pas commencé par un krach financier ou boursier, qui a ensuite conduit à un effondrement de l’investissement, de la production et de l’emploi. Non, c’est le contraire qui s’est produit.
Il y a eu un effondrement de la production et du commerce, imposé par des verrouillages pandémiques, ce qui a ensuite conduit à une énorme chute des revenus, des dépenses et du commerce. La crise a conduit à un « choc d’offre », puis à un « choc de demande ».
Jusqu’à présent, il n’y a pas eu de « choc financier » au sens classique du terme.
Un arrosage sans précédent
Au contraire, les marchés boursiers et obligataires des principaux pays sont à des niveaux records : la réponse des principales institutions monétaires nationales et des gouvernements a été d’injecter des milliers de milliards de monnaie et de crédit dans leurs économies pour soutenir les banques, les grandes entreprises et les plus petites. On a aussi envoyé des chèques à des dizaines de millions de travailleurs licenciés.
La taille de cet « arrosage », financé par les banques centrales, est sans précédent dans l’histoire du capitalisme moderne.
Contrairement à la situation de 2008, les banques et les grandes institutions financières ne sont pas du tout proches de l’effondrement. Les bilans bancaires sont plus solides qu’avant la pandémie. Les bénéfices financiers sont en hausse. Les dépôts bancaires ont explosé à mesure que les banques centrales augmentent les réserves des banques commerciales et que les entreprises et les ménages accumulent des liquidités.
Etant donné que les investissements ont cessé et que les ménages dépensent moins, le monde regorge de monnaie excédentaire, oisive.
Selon l’OCDE, les taux d’épargne des ménages ont augmenté de 10 à 20 points pendant la pandémie. Les dépôts des ménages dans les banques ont explosé. De même, les liquidités des sociétés non financières ont augmenté à mesure que les entreprises contractent des prêts bon marché ou sans intérêt garantis par le gouvernement, ou que les grandes entreprises émettent plus d’obligations.
Cette fois, je ne crains pas de le dire, il y a désordre monétaire par excès d’abondance. Personne ne s’avisera d’expliquer qu’en fait nous sommes dans une crise financière inversée, mais à mon avis c’est le cas.
Euphorie et exubérance
Les marchés boursiers sont euphoriques – et dans cette exubérance, ils ne reflètent plus la situation économique, ils ne préfigurent plus l’avenir, ils expriment un déséquilibre colossal : un déséquilibre entre l’offre et la demande de titres/billets de loterie, entretenu par la spécificité du marché boursier.
Je soutiens que la situation financière actuelle est une situation de crise – hélas pas appréciée comme telle tant elle satisfait beaucoup de vanités, d’intérêts et d’appétits.
Les actions américaines représentent 1,2 fois le PIB. Elles sont tellement surévaluées qu’un investisseur sérieux de long terme ne peut rien espérer de son investissement à horizon de 12 ans. Elles sont à fuir comme la peste dans la perspective d’une constitution de retraite.
L’excellent fondamentaliste John Hussman considère qu’entre temps, la probabilité est très forte pour qu’un effondrement intercalaire de 60% à 70% se produise.
La hausse boursière est un cercle vicieux qui satisfait tout le monde, et c’est ce qui explique que l’on va de bulles en krachs. Cette alternance se retrouve de manière récurrente tout au long de l’histoire financière.
Au lieu d’être rationnels et efficaces, les marchés financiers sont le type même de marché que je qualifierais de pervers, en ce sens qu’au lieu d’être auto-régulateurs, ils sont auto-déséquilibrants.
Malheur à celui qui lance la machine à gonfler la Bourse, malheur à celui qui ouvre la boîte de Pandore, libérant les « esprits animaux ».
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]