La Chronique Agora

Election présidentielle : un malaise pour les Européens

Pour l’Europe, l’élection présidentielle en France tombe très mal. En effet, après la fin du règne d’Angela Merkel, les candidats au leadership de l’Union ne sont pas légion. Une victoire de Marine Le Pen rebattrait complètement les cartes à ce niveau. 

L’Europe suit toujours assez nerveusement les événements de la politique française, car ils sont essentiels pour la dynamique future de l’Union européenne. Le second tour d’une élection présidentielle qui n’a jamais vu Marine Le Pen s’approcher si près de la magistrature suprême ne pose ainsi pas que des questions de politique intérieure.

En effet, depuis la fin du règne d’Angela Merkel en tant que chancelière allemande, Emmanuel Macron s’est imposé comme le choix évident du roi de l’Europe. La présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, a été sa première grande victoire politique : une ministre allemande en disgrâce, certes, mais aussi une francophile convaincue qui sait qu’elle doit son poste au président français.

En tant que ministre, Mme Von der Leyen avait été critiquée à Berlin pour des affaires louches avec des sociétés de conseil, et sa fuite à Bruxelles a sauvé son héritage politique. Il est difficile de définir comment elle a payé exactement cette dette politique, mais il est certain que Macron a déjà encaissé ses faveurs.

Aucun volontaire désigné

Olaf Scholz, le nouveau chancelier allemand, est pour sa part occupé à se faire un nom en politique intérieure – ce qui, compte tenu de la guerre en Ukraine, est une tâche difficile pour un social-démocrate. Le dernier chancelier de ce parti, le SPD, s’était en effet rallié à Gazprom après avoir donné son feu vert à un important contrat de gazoduc avec Moscou, avant de quitter ses fonctions. Un préjudice de réputation auquel le parti est toujours confronté, et qu’il n’a pas réussi à réparer.

En parallèle, la Pologne et la Hongrie, qui ont toutes deux été critiquées pour leurs atteintes à l’Etat de droit et se sont protégées mutuellement au sein du Conseil européen, se battent désormais entre elles. Le gouvernement polonais accuse Budapest d’être trop amical envers la Russie, ce qui nuit à la dynamique du groupe de Visegrád.

Si le reste de l’Europe n’est pas mieux, que voudrait dire une présidence Le Pen dans ce cadre ? Cliquez ici pour lire la suite.

L’Autriche, qui bénéficiait d’un leadership fort sous la houlette de l’ancien chancelier Sebastian Kurz, est désormais dotée d’une personnalité politique inconnue, au capital politique limité.

Aux Pays-Bas, le Premier ministre Mark Rutte siège au sein d’une coalition encore plus précaire qu’auparavant, ce qui fait de lui un rebelle de moins au Conseil européen, où il avait pu un temps lutter pour une limitation des déficits nationaux, entre autres.

Les pays nordiques, quant à eux, optent pour une relation plus forte avec l’Otan à la suite de la crise en Ukraine. La Finlande et la Suède envisagent toutes deux de rejoindre l’alliance de défense, et prescrivent une relation encore plus forte qu’auparavant avec leurs homologues européens, malgré des menaces de Vladimir Poutine si cette étape est actée.

Un changement près de la tête de l’UE

Il suffit en somme de dire que l’Europe est prête pour un leader fort, et Emmanuel Macron veut continuer à être celui-ci. Cependant, la candidature de Marine Le Pen à la présidence ébranle l’idée que cette direction française est indiscutable.

La proximité relative de Marine Le Pen avec Vladimir Poutine est jugée comme une menace pour la sécurité et l’unité européennes, et remet en question la position de la France dans l’Union européenne. Selon les derniers sondages pour le second tour, la distance entre les deux candidats est assez proche, et tout repose sur le vote de gauche – et peut-être sur le débat de ce soir – pour faire la décision lors du scrutin du 24 avril.

Que ferait une présidence Le Pen à l’Europe ? Sans majorité à l’Assemblée nationale, Marine Le Pen ne pourrait pas faire grand-chose pour influencer la législation nationale française. Cependant, au niveau européen, la situation est bien différente. Le Conseil européen, qui réunit les chefs d’Etat et de gouvernement des 27, est un colégislateur au sein de l’UE, et les pays ayant des industries fortes et une population importante sont particulièrement influents à Bruxelles.

Si la position de Mme Le Pen sur l’UE s’est adoucie depuis 2017, l’ampleur des changements qu’elle préconise encore modifierait considérablement la dynamique au cœur de l’union.

Un pas en avant, et plusieurs en arrière

D’une certaine manière, son scepticisme à l’égard de la réglementation européenne pourrait ralentir, voire arrêter, de nombreux trains de mesures réglementaires qui nuisent à l’économie européenne. Le consensus sur la nécessité d’une plus grande action collective a fait peser une quantité insupportable de paperasserie sur les épaules des citoyens de l’UE, et un anticonformiste au Conseil européen ne serait en ce sens pas un grand mal.

Mais c’est là que s’arrêtent les bonnes nouvelles. Marine Le Pen est en effet également très attachée au protectionnisme économique, ce qui signifie qu’elle saperait le marché unique de l’UE et rendrait impossible l’adoption de nouveaux accords de libre-échange.

Au lendemain de la guerre en Ukraine, l’Europe ne veut pas se payer le luxe de perdre son leader de facto. Cependant, ce sont bien les plans de relance liés au Covid-19 et l’inflation associée, provoquée par l’impression de monnaie à Francfort, qui ont permis à Le Pen de faire campagne sur le thème de la diminution du pouvoir d’achat des consommateurs français. Le succès actuel de Le Pen est, en quelque sorte, un monstre créé par l’Europe elle-même.

L’Union européenne s’est construite sur la conviction de ses dirigeants qu’une action accrue de l’UE est toujours préférable. Il y a eu quelques obstacles sur cette route, la Pologne et la Hongrie étant l’un d’entre eux. Toutefois, les pays rebelles d’Europe centrale ont pu être convaincus, grâce à davantage de fonds publics, de rentrer dans le rang. Des pays comme les Pays-Bas ou la Finlande, qui ont tenté de se rebeller contre un budget européen beaucoup plus important en 2020 et contre les obligations de la dette européenne commune, ont été contraints au consensus par l’urgence de la crise.

Le second tour de l’élection française présente un défi très différent pour l’UE : Marine Le Pen n’a jamais été, et ne sera probablement jamais, une grande amie de l’Union européenne. C’est ce qui provoque le plus grand malaise à Bruxelles aujourd’hui, alors que la guerre à l’est du continent remet en question l’efficacité de l’UE dans son ensemble.

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