▪ Bill Gross vient peut-être d’encaisser l’une plus phénoménales plus-values de sa carrière. S’il a effectivement vendu à découvert les Bunds allemands comme il le recommandait il y a deux mois, alors que le 10 ans affichait un rendement inférieur ou égal à 0,1% (toutes les maturités affichant un rendement négatif entre un mois et huit ans), il vient d’encaisser une différence de plus de 90 points de base en six semaines… et même très exactement 95 points de base entre le plancher historique des 0,048% et 0,998% jeudi dernier.
Le premier coup de boutoir du 28 avril au 7 mai avait sévèrement pris à revers les tenants de la « nouvelle normalité » — celle de taux devenant durablement négatifs.
Après quelques jours de réflexion, certains d’entre eux admettent que payer pour avoir le privilège de prêter sans avoir la certitude absolue d’être remboursé… c’est un cas de figure assez déroutant.
Alors admettons que les marchés aient pris peur à l’orée d’un territoire financier inconnu –quasiment vierge sur le plan théorique. Il est concevable qu’ils aient fait brusquement marche arrière, comme un cheval qui refuse un obstacle… avant que son cavalier reprenne le contrôle et lui impose de surmonter sa peur.
La première semaine du mois de mai constituait une bonne opportunité de repasser long sur les bons de Trésor |
En attendant que les marchés se remettent dans le bon axe, place à une évaluation sereine de la situation. Des Bunds évoluant entre 0,5% et 0,75%, cela reste historiquement très bas. La BCE ayant fait connaître sa volonté de s’opposer à tout accès de volatilité indésirable — via l’ajustement de sa politique de rachats d’actifs –, les investisseurs pouvaient se préparer à un été tranquille… c’est-à-dire à une stabilisation ou une légère décrue des rendements d’ici la rentrée.
Autrement dit, la première semaine du mois de mai constituait une bonne opportunité de repasser long sur les bons de Trésor et de laisser Bill Gross s’épuiser à « shorter » des Bunds. Une fois passé un petit épisode de faiblesse sans lendemain, place au retour vers les plus hauts historiques.
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C’est là que s’est enclenché l’effet « rasoir à double lame » : alors que les optimistes redressaient hardiment la tête, les choses ont pris une tournure sanglante.
Les taux longs se sont retendus de 50 points en moyenne la semaine dernière : l’équivalent de deux tours de vis monétaire d’une banque centrale. La poussée de fièvre a même atteint +65 points de base si l’on y inclut le sell off de jeudi matin — le Bund testant les 1% et les OAT les 1,30%.
▪ Le dossier grec, suite
A côté de cette débâcle, le « coup de blues » des emprunts grecs (+70 points de base à 11,4% vendredi dernier) fait figure d’incident de parcours anecdotique.
Il faut dire que vendredi, tous les protagonistes du dossier grec sont partis bouder dans leur coin. C’est Alexis Tsipras qui avait commencé : « nan, j’irai pas à Bruxelles vendredi, les créanciers font rien qu’à remettre en permanence sur la table les mêmes exigences inacceptables ».
Jean-Claude Juncker a répliqué du tac au tac : « Tsipras, il fait rien qu’à faire enrager mes amis créanciers, je le prends plus au téléphone ».
Et Angela Merkel qui accueillait ses hôtes du G7 (moins la Russie) à Garmisch — avec haie d’honneur de barbus bavarois en culotte de peau — déclarait : « ach, c’est pas gagné avec la Grèce ».
« Tsipras, il fait rien qu’à faire enrager mes amis créanciers, je le prends plus au téléphone » |
Voilà cinq mois que les négociations durent, et les points de vue semblent toujours aussi éloignés — sauf pour François Hollande qui déclarait mercredi dernier qu’Athènes et ses créanciers n’étaient plus qu’à quelques heures d’un accord. Il devient donc légitime de se demander quel est le but du jeu : s’agit-il de contraindre Syriza à demander au peuple grec s’il accepte de lâcher du lest… ou bien le gouvernement doit-il aller au bout de ses engagements de ne plus accepter ce que la majorité des Grecs juge inacceptable ?
Cela revient à organiser un référendum pour ou contre le maintien de la Grèce dans l’Europe.
C’est-à-dire pour une mise sous tutelle humiliante et définitive pour les 30 ou 40 prochaines années… ou pour le constat de la faillite et la promesse d’une vengeance impitoyable des créanciers (il faut bien effrayer d’une manière ou d’une autre le bon peuple, lorsque l’amadouer ne marche plus).
Les Grecs qui se veulent majoritairement pro-européens doivent vraiment être masochistes ! |
Si nous nous référerons à l’exemple islandais, le peuple grec n’a pas grand-chose à redouter des brasseurs d’argent de la City ou des hauts fonctionnaires du FMI. Cependant, les créanciers affirment que cela se passera différemment cette fois-ci car il y va de l’avenir de l’Europe.
Ah, parce qu’avec l’état d’esprit actuel, avec ou sans la Grèce, l’Europe a un « avenir » ?
Les Britanniques n’ont jamais accepté d’intégrer l’euro, ils ne versent jamais plus à Bruxelles qu’ils n’espèrent recevoir… et malgré ça, ils sont près de la moitié à vouloir sortir de l’Union européenne.
Les Grecs qui se veulent majoritairement pro-européens doivent vraiment être masochistes ! Ou alors ils ont fait le calcul qu’à un moment, cela devrait devenir une bonne affaire ; dans ce cas, l’Europe a tout intérêt à ce qu’un Grexit leur coupe l’herbe sous le pied.
▪ C’est surtout le QE que les marchés observent
Le principal enseignement de la semaine passée reste toutefois que le marché n’a pas succombé à la grande peur que la Grèce fasse défaut mais à celle que le QE de la BCE ne serve à rien… Enfin, à rien d’autre qu’à tenir la promesse faite aux banques de leur racheter leur stock de dettes souveraines périphériques au plus haut historique.
En ce qui concerne l’inflation, elle avait bien commencé à se redresser avant même que les 60 milliards d’euros de la BCE déferlent chaque mois dans la sphère financière. Et pour ce qui est du « soutien à la croissance », le ralentissement asiatique et américain commence à affecter l’Allemagne, la locomotive de l’Eurozone.
La Bourse de Francfort — et les investisseurs non-résidents — ne s’y trompent pas : le DAX 30 décroche sous les 11 200 points. Il accuse désormais une correction de 10% sur ses sommets historiques de fin avril.
A mesure que le DAX s’enfonce, toujours pas la moindre trace de ces gérants supposés trop timorés et sous-investis, guettant le moindre repli des actions pour se renforcer.
Même constat pour le CAC 40 : lorsqu’il s’était replié vers 4 975 points mi-mai, c’était la dernière chance d’acheter avant l’envol estival vers 5 500… Mais sous 5 000 cette fois, il n’y a plus personne.
▪ Bientôt la Bérézina ?
Quelques analystes techniques avec lesquels j’ai correspondu jeudi et vendredi se félicitaient que les flux qui avaient déferlé vers l’Europe du 6 janvier à la mi-mars n’étaient pas repartis d’où ils étaient venus. Pas de désertion de ces capitaux — par nature volatils — qui transitent entre les continents en sautant d’un ETF à l’autre.
Les lignes n’auraient pas encore bougé côté actions ; sur le front obligataire, en revanche, c’est déjà la retraite de Russie.
Lorsque les primes sur les actions seront recalculées l’aune de rendements qui ont repris de 75 à 100 points de base (pour des valeurs très comparables à celle de fin septembre 2014), cela risque de se transformer en Bérézina.
Mais les gérants sont des gens intelligents, redoutablement intelligents même… et tout aussi redoutablement moutonniers : pourquoi continuent-ils à s’arcbouter sur les actions alors que le sol se dérobe de toute évidence sous leurs pieds ?
Sur le front obligataire, en revanche, c’est déjà la retraite de Russie |
Eh bien, tout simplement parce les gros — très gros — allocataires de fonds sont venus se placer sur les actions afin d’encaisser des dividendes. Ces derniers sont distribués en France de mai à juin, et ils restent aujourd’hui encore plus substantiels en Europe que les coupons versés par les emprunteurs souverains (les Etats). Cependant, c’est en train de changer à une vitesse prodigieuse.
Ces « revenus » provenant des actions permettent aux gérants de fonds collectifs de servir des pensions plus élevées aux retraités sans entamer le capital… mais en prenant un énorme risque sur la valeur de l’encours : cela valait-il la peine de venir chercher 3% de rendement sur les valeurs allemandes pour en reperdre 9% ou 10% en à peine six semaines ?
La réponse de ceux qui applaudissent les politiques de création monétaire ex nihilo donne à réfléchir : « vous croyez vraiment que les dettes d’Etat sont moins risquées ? »
Une dette peut être restructurée et sa valeur rayée d’un trait de plume. En revanche, une multinationale qui produit ce que les gens consomment ne disparaît pas en un week-end. Si le dollar ou le yen cessent de valoir quelque chose, l’action vaudra toujours le même nombre de francs suisses ou de couronnes norvégiennes… ou de Maple Leaf en argent canadiennes : c’est aussi simple que cela.