La Chronique Agora

L’échec de l’Etat-providence : le cas de l’Argentine et du Brésil

Le débat est-il clos sur l’efficacité de l’Etat-providence ? Retour sur le cas de deux pays qui l’ont appliqué de longue date…

L’idée d’une « troisième voie » en matière de politique économique a toujours fasciné les politiciens, les intellectuels, les artistes et les électeurs du monde entier. L’Etat-providence s’est rapidement propagé au cours des dernières décennies en surfant sur cette vague.

Certains affirment même que les pays d’Europe du nord représentent la preuve irréfutable qu’il est possible d’établir une société à la fois prospère et égalitaire par le biais de l’intervention de l’Etat, en associant un système économique reposant sur le marché libre avec de forts taux d’imposition afin de garantir un niveau de vie élevé tout en réduisant les inégalités.

Le débat est-il véritablement clos sur ce sujet ?

Eh bien, la situation dans la plupart des pays d’Amérique latine nous enseigne une leçon différente ; c’est une histoire plutôt triste dans laquelle l’Etat-providence est à l’origine d’un affaiblissement structurel et durable de l’économie (avec des cycles apparemment sans fin de récessions et de stagflation), maintenant des millions d’individus dans la pauvreté.

Un bilan médiocre  

On nous martèle dans les pays occidentaux que la réduction de la pauvreté et des inégalités sociales implique un élargissement du rôle de l’Etat dans l’économie au travers du développement des services publics et de programmes de grands travaux.

En Amérique latine, ce mode de pensée a complètement submergé ses opposants.

D’après les recherches universitaires, depuis le début des années 1970, l’Etat-Providence s’est rependu à travers les pays d’Amérique latine sous deux formes différentes : 1) un système public et universel de couverture sociale, dans lequel l’Etat garantit des droits sociaux étendus à toute la population (de façon similaire au modèle des pays d’Europe du Nord)…

… Et 2) un système mixte qui permet aux plus pauvres d’être pris en charge par le secteur public (par exemple sous la forme de soins médicaux et d’un minimum vieillesse) alors que les individus disposant de revenus plus élevés sont encouragés par les politiques publiques à se tourner vers le secteur privé (de façon similaire au modèle allemand).

Quels ont été les résultats ?

Il est difficile de dire du bien de la performance de ces pays en termes de croissance économique. Le PIB par habitant des pays d’Amérique latine n’a progressé que modestement entre 1950 et 2006. Par comparaison, au cours de la même période, le PIB par habitant en Asie de l’est et au niveau mondial a explosé.

En d’autres termes, plus particulièrement (et curieusement) à partir du début des années 1970, l’Amérique latine a commencé à voir sa part relative dans les revenus mondiaux décliner de façon régulière (autrement dit, à sous-performer continuellement) par rapport aux autres économies (en moyenne). Vous pouvez le constater sur le graphique ci-dessous :

Dettes et dépenses, l’envol

D’autre part, nous pourrions également faire une série de constats (négatifs) au sujet du niveau des dépenses publiques dans ces pays, qui se sont envolés. Ce n’est pas très surprenant, étant donné que pour les partisans d’un Etat-providence étendu, la réponse à quasiment tous les problèmes imaginables (que ce soit la réduction de la pauvreté ou la relance de l’économie en cas de récession) réside dans l’augmentation des dépenses publiques.

Les dépenses ont sans aucun doute augmenté, ce qui s’est également accompagné d’un accroissement gigantesque de la dette pour les financer.

La dette publique du Brésil est passée de 30,6% du PIB en 1995 à 87,87% en 2018. L’Argentine et le Chili ont suivi la même trajectoire. En Argentine, la dette a explosé, passant de 25,74% du PIB en 1992 à 86,26% en 2018 (le maximum a été atteint en 2002, à 152,24%). Au Chili, alors que le ratio d’endettement ne s’établissait qu’à 11,08% en 2011, il a atteint 27,16% en 2019.

Cette politique a-t-elle fonctionné ? Les dépenses publiques ont-elles permis de stimuler la croissance de ces économies ? Certainement pas.

Dans de nombreux cas, le seul résultat n’aura été que de provoquer de nouvelles crises.

Brésil, Argentine, même combat (de crise)

Après avoir réussi à stabiliser pendant un certain temps son économie (au cours du milieu des années 1990) en suivant les mesures recommandées par le Consensus de Washington, le Brésil a subi de violentes secousses économiques dans les années 2000 et a plongé dans une sévère récession en 2015, avec une contraction du PIB de 3,8%. Il s’agissait de la pire récession depuis 1990.

Le réal brésilien (la devise nationale) a souffert d’une dévaluation massive. Le taux de change du réal face au dollar américain est passé de 1 829 en 2000 à 3 327 en 2015. L’inflation, qui s’établissait à seulement 1,65% en 1998, a atteint 10,67% en 2015.

La situation n’était pas très différente en Argentine : le taux de croissance du PIB (qui s’établissait à 6% en 2011) a subi des hauts et des bas, avant de s’effondrer avec une contraction du PIB de 2,51% en 2018. (Même le Chili a dû faire face à un ralentissement, avec une croissance du PIB de seulement 1,25% en 2017, contre 6,11% en 2011.)

Mais alors pourquoi les politiciens continuent de se tourner vers l’Etat-providence – et donc plus de dépenses publiques – comme s’il s’agissait de la solution aux difficultés économiques de l’Amérique latine ?

Tout simplement parce que les partisans de l’Etat-providence sont parvenus avec beaucoup de succès à faire porter la responsabilité de ces difficultés sur les marchés, ainsi que d’autres raisons imaginaires.

L’importance de la liberté économique

Lorsqu’on les confronte à la réalité de la faiblesse de la croissance économique constatée sous un système d’Etat-providence de plus en plus étendu, les politiciens répondent généralement que « de telles statistiques ne prouvent absolument rien ! Les marchés sont encore pires… le véritable problème réside dans l’impérialisme nord-américain… les capitalistes trouvent toujours un moyen d’exploiter les travailleurs… » et ainsi de suite.

Cependant, en réalité, le maigre succès rencontré par ces pays s’explique par le peu de liberté économique qui existe.

Après tout, comme nous le rappel l’historien et sociologue Rainer Zitelmann, la faim et la pauvreté ne peuvent pas être durablement éradiquées par le biais de l’assistanat, mais par l’entrepreneuriat et le capitalisme. Il cite à ce sujet l’ancien président sénégalais Abdoulaye Wade, qui a déclaré :

« Les pays qui sont parvenus à se développer – en Europe, en Amérique (les Etats-Unis), au Japon, différents pays asiatiques tels que Taïwan, la Corée (du Sud) ou encore Singapour – ont absolument tous adopté une économie de marché libre. Il n’y a aucun secret en la matière. »

Si l’Amérique latine veut à tout prix un Etat-providence, elle devra d’abord permettre l’émergence d’une économie de marché solide, comme cela fut le cas dans les autres parties du monde qui, hélas, ont aujourd’hui oublié la véritable origine de leur prospérité et voient en l’Etat-providence la raison de leur succès.


Article traduit avec l’autorisation du Mises Institute. Original en anglais ici.

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