Quel est l’argument qui justifie que de l’argent des contribuables soit injecté dans une entreprise privée dans laquelle des acteurs privés ne veulent pas investir ?
En cette veille de la Toussaint, comment ne pas vous parler à nouveau des entreprises zombies, errant entre le monde des vivants et celui des morts ?
La Banque des règlements internationaux a récemment tiré la sonnette d’alarme à propos des zombies.
Ces entreprises sont des morts-vivants, la trésorerie qu’elles dégagent leur permet de tout juste faire face aux intérêts de leurs dettes. En cas de hausse des taux, ce sera la faillite.
En ce moment un zombie déclaré a l’honneur des medias : l’aciérie Ascoval, résidu de la métallurgie française.
Dans Les Echos d’hier, l’éditorialiste Jean-Marc Vittori (1) faisait une très bonne analyse du cas particulier d’Ascoval et de la situation en général de ce genre de situation.
Pour résumer, Ascoval fabrique des produits semi-finis qui n’ont pas grande valeur ajoutée et soumis à une très forte concurrence.
De restructurations en restructurations industrielles, Ascoval a été le rejeté de Vallourec puis du suisse Schmolz-Bickenbach. Des entreprises privées n’ont pas voulu d’Ascoval jugeant que l’affaire ne pourrait pas être profitable même en investissant.
Le groupe Altifort se propose aujourd’hui comme repreneur pour 10 M€ sachant qu’il « faudrait, selon les estimations, entre 140 et 250 millions pour réaliser les investissements qui déboucheraient l’avenir commercial de l’aciérie. Ce n’est pas impossible de les mobiliser en additionnant des prêts bancaires, une enveloppe de la banque publique Bpifrance, des fonds des collectivités locales, etc. Mais c’est compliqué, » selon Jean-Marc Vittori.
N’importe quel chef d’entreprise tiquerait au vu de l’imprécision de la fourchette annoncée. Par ailleurs pour cette reprise, Altifort veut faire imposer à Vallourec de se fournir chez Ascoval à des prix 30% plus élevés que ceux du marché, sachant que Vallourec est dans le rouge.
En effet, le coup de frein de la prospection pétrolière suite à la baisse des prix du pétrole a dégarni le carnet de commandes du spécialiste du tube acier sans soudure. Sauver Ascoval pour couler Vallourec ? Est-ce cela le but ? On peut se demander si Altifort n’est pas simplement un chasseur de subventions…
Vous allez me dire que mes propos ne sont pas charitables pour les 281 salariés de cette aciérie qui font certainement très bien leur travail et sont très compétents. Je n’en doute pas. Il y avait aussi des moines copistes très compétents, des dentelières très compétentes, des forgerons, des fabricants de chandelles, des peintres sur porcelaine, … Si l’entreprise allait mal parce que ses salariés sont incompétents et je-m’en-foutistes, le problème serait simple à résoudre !
Les filets sociaux mis en place depuis le XXème siècle et payés par l’ensemble des contribuables sont faits pour cela : atténuer les difficultés d’individus confrontés à des transformations parfois brutales.
En 2015, Emmanuel Macron, alors ministre en visite chez Ascoval, avait assuré qu’il n’y aurait « aucune fermeture et aucun départ contraint ». On se demande comment Emmanuel Macron peut se voir étiqueté libéral avec de tels propos…
Cet ex-banquier d’investissement ignore-t-il que les zombies sont un boulet pour l’économie, comme le montre l’expérience (2) ? Comme l’explique la BRI :
« Les zombies pèsent sur la performance économique car ils sont moins productifs, et leur présence affaiblit l’investissement et l’emploi dans les firmes plus productives. »
Ignore-t-il aussi que ces prétendus sauvetages à coup d’argent des contribuables ne sont que d’onéreuses prolongations d’agonies ?
Si des investisseurs privés estiment qu’une entreprise n’est pas viable, pourquoi diable vouloir y injecter de l’argent public ?
Pourquoi forcer des contribuables à investir là où des actionnaires refusent d’investir ?
En quoi l’Etat est-il un meilleur gestionnaire, un meilleur visionnaire que des entrepreneurs qui « jouent leur peau » ?
Pourquoi les medias et les partis politiques, interventionnistes de gauche ou de droite, se plaisent-ils à propager ces chimères ? Pourquoi n’y a-t-il que si peu de voix pour défendre la liberté, l’initiative privée, le jeu loyal de la concurrence face à l’interventionnisme, au capitalisme de copinage, à la chasse aux subventions ?
Si on cumule à la fois les filets sociaux généreux et l’alimentation par l’argent public des zombies, il ne faut pas s’étonner que la prospérité et la croissance ne soient pas au rendez-vous.
C’est la double peine. Ou bien les assurances chômage et la formation sont efficaces et les victimes temporaires de la destruction créatrice se réinsèrent à terme dans des secteurs plus performants. Ou bien elles sont vaines et on nourrit les zombies, quitte à avoir une économie soviétique produisant ce dont personne ne veut mais sans chômage.
Mais le cumul des deux est économiquement suicidaire. Peut-être même plus stupide encore que l’économie soviétique…
Ne croyez pas toutefois que l’économie américaine soit à l’abri des zombies. Dans un récent rapport de l’IIF (3), on peut lire :
« Presque 20% des entreprises aux Etats-Unis sont confrontées à des difficultés à payer les intérêts de leurs emprunts avec les résultats mais le problème est surtout aigu pour les plus petites entreprises. Clair symptôme de l’accélération de l’endettement dans un environnement de faible taux d’intérêt suite à la crise, plus de la moitié des petites entreprises américaines montrent désormais un faible ratio de couverture (défini comme inférieur à 2) ».
Ne cherchez pas plus loin la piètre performance des marchés actions. Surendettement et poids morts des zombies commencent à peser partout dans le monde. C’est la conséquence directe des politiques monétaires de ces dix dernières années.
(1) Faut-il vraiment s’acharner à sauver des entreprises zombies
(2) Etude menée par la BRI dans 14 pays développés
(3) Capital Marker Monitor : Are US FIrms Over Borrowed
Nearly 20% of U.S. firms are facing difficulties in covering interest expense with current earnings, but the problem is especially acute for smaller firms. In a clear symptom of the accelerated debt buildup in the post-crisis low interest rate environment, over half of U.S. small-cap firms now exhibit weak interest coverage ratios (defined as less than 2).