L’expansion de la finance produit organiquement des inégalités.
Les événements auxquels il nous est donné d’assister ou de participer sont en quelque sorte la gangue, les scories qui recouvrent le fond de la situation du système dans lequel nous vivons.
Exemple : face à la rareté prévisible des ressources, il y a la guerre par procuration de l’Occident à la Russie. C’est le mode de résolution du problème de la rareté qui a été choisi ; mais on aurait pu en choisir un autre. La guerre en Ukraine c’est la gangue, elle recouvre autre chose. C’est une façon de dépasser et de résoudre les contradictions de la rareté à laquelle le régime du capital est confronté.
Les événements sont ce qu’ils sont, mais ils pourraient être autrement ; ils surviennent en fonction des opportunités, des hasards voire même en fonction des personnalités qui sont en charge de la conduite des affaires.
Les événements sont en quelque sorte les symptômes de quelque chose du plus fondamental : ce sont les émergences de conflits, antagonismes, ou contradictions plus radicales.
Mais si ces apparences, ces façons d’émerger sont en quelque sortes contingentes ; en dessous ce qui est à l’œuvre, c’est le déterminisme, ou si on veut, les nécessités.
Vous allez mourir d’une maladie quelconque, c’est « l’apparence » ; mais au fond, vous êtes victime du déterminisme qui veut que si vous êtes un être vivant vous êtes mortel, vous devez mourir. Votre mort est « contenue » en germe dans votre vie tout comme le blé de la récolte est en germe dans le grain qui a été semé.
La nécessité, c’est ce à quoi on ne peut échapper ; tandis que les choses contingentes, elles, elles sont là, mais elles pourraient ne pas y être et être remplacées par d’autres.
De crise en crise
Donc, il y a la gangue des apparences et en dessous il y a la logique, la dialectique, le jeu des forces qui font le mouvement de l’Histoire, ou le cristal, dirait Hegel. Le cristal exprime l’état historique du système. L’Histoire, c’est de la logique dialectique cristallisée.
Le système capitaliste se bat, il lutte, il se démène pour durer depuis plusieurs décennies. Un peu comme il l’a fait dans les années 1930 lorsqu’il a été confronté à une crise terrible et qu’il a dû « déboucher » sur la guerre. Le mot « déboucher » est un clin d’œil.
Il a touché ses limites internes d’accumulation et il va de crises en crises, il devient chaotique avec de moins en moins de légitimité et d’efficacité. Il est obligé de consacrer des ressources considérables pour durer. Exemple : la publicité, la propagande, la police.
Il est obligé de lutter contre les libertés, alors que celles-ci sont sa meilleure justification par l’équation libre marché = libertés individuelles.
Il est obligé de lutter contre la vérité et l’information alors que celles-ci sont nécessaires pour les besoins de bon fonctionnement des marchés libres.
Bref, le régime est obligé de se détruire/de se miner pour essayer de survivre.
Instruit par l’analyse de ce qui s’est passé dans les années 1930 lors de la Grande Crise, le capitalisme a voulu y échapper par la finance. Il a truqué l’Histoire et fait croire que la Grande Crise est survenue parce que l’on n’avait pas créé assez de monnaie et de crédit. Et donc cette fois, il a fait l’inverse ; il s’est noyé dans la monnaie de crédit et la finance.
Le capitalisme s’est financiarisé pour lutter contre la chute de la profitabilité par l’expansion de la finance et la production de profits financiers fictifs. L’expansion de la finance produit organiquement des inégalités, puisque ce sont les déjà riches qui s’enrichissent, c’est une conséquence incontournable. Réduire les inégalités détruirait le capitalisme financier.
La dialectique des inégalités
Le capitalisme a produit un niveau d’inégalités considérable depuis la financiarisation. Certains disent qu’il faut le réformer. La question est de savoir si le capitalisme financiarisé est compatible avec moins d’inégalités. Je dis que non.
- Crise du capital = passage à la financiarisation = élargissement des inégalités.
- Lutte contre les inégalités = limites à la reproduction du capital financier = retour à la case départ, c’est-à-dire à la crise du capitalisme que l’on a essayé d’éviter.
Le capitalisme financier est la béquille du capitalisme. Sa conséquence non voulue est la production d’inégalités. Détruire ou ôter cette béquille par la lutte contre les inégalités provoquera le retour à la crise du système capitaliste que l’on a cherché à éviter.
Le dilemme des puissances d’argent est le suivant :
- ou accepter la poursuite de l’élargissement des inégalités avec les risques sociaux et politiques qui vont avec ;
- ou bien accepter de prendre le risque d’une crise du capitalisme du type de celle des années 1930.
Entretemps, on a toujours la possibilité de retarder, et de faire la guerre.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]