Depuis 1987, le monde économique et financier a connu un profond changement – et désormais, la nature même du risque a changé.
Par le passé, j’ai apporté un diagnostic juste sur la mutation du système monétaire et financier.
J’ai écrit : « Nous passons d’une régulation du cycle économique court par le crédit à une régulation économique longue par les bulles. »
Ce diagnostic a été complété à plusieurs reprises par celui-ci, humoristique : « Vive les crises, elles enrichissent ceux qui sont déjà riches. »
Pour moi, cette évolution date de 1987 – mais cela ne veut pas dire que l’on n’a pas semé les germes bien avant.
A mon sens, c’est au début des années 60 que tout a commencé – quand John F. Kennedy et Lyndon B. Johnson ont fait pression sur la Fed pour financer « le beurre et les canons », et quand il a fallu sauver la livre britannique.
On est arrivé ensuite en 1971 – puis sont venus les accords de la Jamaïque, avec les changes flottants.
Désormais, ce sont les bulles qui régulent
Tout se suit, tout est cohérent, tout se complète. Les choses se mettent en place pour cette régulation par les bulles, ce qui nous fait passer de la régulation par les flux/cash-flows à la régulation par les stocks, par les actifs et l’inflation des valeurs patrimoniales, comme lors de la grande expérimentation de John Law à la tête de la Banque générale.
Je n’ai jamais changé de cadre analytique car ce cadre m’a permis de coller à l’histoire et d‘en prévoir tous les grands développements.
Mon scénario de base a sans cesse été vérifié. Jamais il n’a été pris en défaut – en particulier lorsque j’ai affirmé il y a plus de 10 ans que l’on ne pourrait plus jamais sortir des politiques monétaires dites inflationnistes, c’est-à-dire des politiques de crédit gratuit et d’impression monétaire illimitée.
On a alors « brûlé les vaisseaux » : on ne peut plus jamais régulariser parce que l’écart entre les valeurs pratiquées dans la sphère financière et les valeurs en vigueur dans la sphère économique réelle divergent sans cesse et de plus en plus.
Normaliser signifierait accepter une réconciliation – une chute des valeurs financières, qui replongeraient dans la crise de 2008… que l’on a voulu éviter.
Je n’ai jamais cru au mythe de Bryan P. Sack, de la Réserve fédérale de New York : il espérait que la reprise économique serait en « V, » très forte, et qu’ainsi le réel rattraperait le financier.
Dès 2011, il est apparu que j’avais raison – de reprise forte il n’y eut point. Les « jeunes pousses », les green shoots, sont mortes-nées ; il a fallu re-pomper du crédit, du pognon et retirer du risque du système pour éviter un nouvel effondrement.
Comment interpréter la politique des banques centrales ?
Tout cela était écrit – mais dans l’inconscient du système uniquement. En réalité, bien peu, en temps réel, ont été capables de l’interpréter comme je le faisais. Les commentaires grand public n’ont pas encore rattrapé mes interprétations – mais peu à peu ils y viennent, maladroitement.
Il y a un domaine où je suis encore très en avance, c’est celui de l’interprétation de la politique de la Fed et des autres banques centrales.
Les commentateurs et autres « économistes » considèrent que la Fed intervient par l’inflationnisme du crédit et de la monnaie ; elle prolonge en quelque sorte le cycle du crédit artificiellement par les quantités et les prix du crédit.
Je vais beaucoup plus loin – et le comportement des marchés qui enregistrent une baisse constante de leur volatilité me donne raison : la Fed et les banques centrales prennent à leur charge tout le risque du système.
Tout le risque est transféré, pris en charge ailleurs – c’est ainsi que les marchés peuvent faire comme s’il n’existait pas ! Les marchés ne sont pas et ne seront jamais surévalués parce que le risque qu’ils devraient contenir est occulté, évacué en dehors.
Le processus consiste à faire remonter les risques de toute la périphérie mondiale – je dis bien toute – au niveau des banques centrales. Le dollar étant la base du système, tout remonte au niveau du dollar c’est-à-dire du bilan de la Fed. C’est ce que l’on constate depuis septembre avec la crise réelle mais non reconnue des repos.
Le sauvetage du système se fait par la surexposition de la Fed américaine au risque global. Jerome Powell l’a compris en janvier 2019 – et personne d’autre n’a relevé. Personne… sauf certains, plus clairvoyants, qui ont suggéré qu’on allait vers un troisième mandat : celui de maintenir le monde global ordonné.
La politique ainsi analysée, décortiquée montre une profonde logique organique et une extrême cohérence. Tous les risques du monde remontent peu à peu au niveau de la pierre angulaire du système : le dollar américain !
A suivre…
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]