La dette abonde dans le système actuel, mais on oublie généralement de tenir compte du côté créance – le côté du capital, qui devient de plus en plus fictif, et pèse ainsi sur la vraie richesse.
La dette est une médaille. Elle a deux faces – et même trois, car il y a la tranche… qui n’est pas mon propos aujourd’hui, cependant ; j’y reviendrai un jour.
Les économistes et les financiers ne retiennent de la dette que le côté pile, celui de ce qui est dû.
Moi je ne retiens généralement que le côté face, c’est-à-dire le côté créance, autrement dit le côté capital.
La dette des uns constitue le capital des autres ; la dette produit le capital. J’ajoute qu’à notre époque, elle produit le pire du capital, celui qui ne sert pas à produire les richesses futures –elle produit le capital fictif, le capital de poids mort.
Mort sur vif
La progression des ratios de dettes sur PIB exprime le poids croissant du capital fictif sur les richesses vives, le poids du mort sur le vif.
Un système qui ne fonctionne qu’avec une croissance continue de la masse relative de dettes est un système qui produit en continu du capital, indépendamment de la production, indépendamment de l’épargne.
Ce capital est alimenté par la pompe à monnaie ou la planche à billets. A notre époque, on produit du capital… à crédit. Grâce à la Bourse, on gonfle ensuite ce capital, on lui donne encore plus de valeur au fur et à mesure que la planche à billets s’active, que les taux baissent, que les QE (assouplissements quantitatifs) deviennent de plus en plus généreux.
La formation de capital est délirante, déconnectée.
Le capital n’est plus produit par le mouvement de la production des marchandises, l’exploitation du travail, l’épargne et le réinvestissement, ainsi que les fameuses équations marxistes. Non, il est désormais produit par un raccourci « crédit = alchimie de marchés = capital ».
C’est visible de façon caricaturale dans les affaires du type Uber, Netflix et autres Tesla. Ailleurs c’est plus discret, mais le même schéma fonctionne.
Capital et contrainte
Le capital, dans un système, est ce que l’on appelle une contrainte : il faut l’honorer, le servir, lui consacrer des ressources pour payer ses agios, ses revenus, ses frais et commissions et surtout son remboursement.
J’ajoute les frais et commissions car sur le capital et sur sa religion s’est érigée toute une église, avec ses grands prêtres dont il faut rémunérer la rente.
Si tout cela n’est pas fait, la valeur de ce capital, ou plutôt sa contre-valeur papier, a tendance à s’effondrer – on ne peut alors plus émettre de capital nouveau. Le goût du risque, qui est l’autre nom de la passion du jeu, s’évanouit ; le prix des papiers anciens – actions, obligations et créances – chute, la déflation s’installe.
Plus il y a de masse de capital, plus la contrainte imposée par ce capital est forte – et plus cette contrainte pèse de façon déflationniste.
Il y a un lien direct mais caché dans nos systèmes entre la tendance à la déflation d’un côté, et, de l’autre, la tendance à la suraccumulation de capital fictif comme décrit ci-dessus.
Exigences croissantes
Le capital et la dette érigent des murs de plus en plus infranchissables sur le chemin de la croissance de la production de richesse. Quand ce mur devient trop haut sur la route de la production de richesse, le capital se bouffe lui-même ; il s’auto engrosse, il se rachète et fait des buybacks, du private equity et de l’ingénierie.
En clair, le capital a tendance à imposer une contrainte de plus en plus forte – même s’il n’est que faiblement rétribué – dans un système de politique monétaire de taux bas et ultra-bas, car il faut ne jamais réduire l’arnaque en pyramide, le système de Ponzi. Le Ponzi sert à maintenir l’édifice.
Le capital qui croît ainsi sans cesse devient de plus en plus exigeant. Il exige que l’on exploite de plus en plus durement le travail, qu’on le taxe de plus en plus lourdement et qu’on le détaxe lui, le capital, en continu.
Non parce que les capitalistes sont méchants, mais parce que c’est la logique de la situation : le poids du capital le conduit à dévorer ses enfants, à peser de plus en plus fortement sur la production de richesses réelles et à exiger l’extraction du surproduit nécessaire à son entretien.
L’accumulation produit un système/engrenage qui se définit par marche ou crève.
Le système du profit et de l’accumulation de capital productif, qui est le système le plus progressiste que l’on puisse imaginer, se retourne, avec le capital fictif financiarisé, en son contraire : le système le plus malthusien et rétrograde que l’on puisse concevoir.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]