La Chronique Agora

De la dette à la bulle, de la bulle à la guerre

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Les super bulles de dettes se terminent inévitablement par une crise violente.

Selon les données du moniteur de la dette mondiale de mai de l’IIF (Institute of International Finance) :

« La dette mondiale totale a augmenté de 3 3000 Mds$ au premier trimestre 2022 pour atteindre un nouveau record de plus de 305 000 Mds$ – principalement en raison des Etats-Unis et de la Chine. »

Si on compare le chiffre du premier trimestres 2022 à celui du troisième trimestre 2019 (donc pré-Covid) on s’aperçoit que la dette mondiale totale a bondi de 52 900 Mds$ soit de 20,9%.

Ce qu’il faut ignorer

Avez-vous entendu le moindre débat sur ces questions ?

Constatez-vous, dans les analyses des responsables, la moindre allusion à cette situation et surtout à la façon dont elle influe sur le présent et surtout l’avenir ? Non !

La dette c’est le mort du bridge. C’est elle qui détermine tout le jeu mais, surtout, on n’en parle pas. On n’en parle pas parce que le système ne peut survivre que s’il l’ignore. Ou mieux il ne peut survivre que s’il l’utilise discrétionnairement, discrètement, secrètement. La dette c’est le colossal non-dit du système.

La dette, ce sont les fondations souterraines du système, fondations de plus en plus fragiles, fissurées, branlantes. Ce que le public peut à la rigueur voir de la dette, c’est son sommet figuré par la pointe de l’iceberg invisible, c’est sa manifestation sous forme de bulle.

Car l’autre versant de la dette, c’est la bulle.

Les dettes ont un symétrique et, ce symétrique, c’est la bulle des actifs financiers sous toutes leurs formes.

La dette, c’est l’arme secrète des élites pour maintenir l’ordre qui leur convient. Mais, pour qu’elles puissent utiliser la dette, il ne faut jamais braquer les projecteurs sur elle. Payer par des promesses est leur spécialité. On reporte, on reporte… la dette permet de donner aux uns sans prendre aux autres !

L’inflation des actifs et les bulles spéculatives sont des phénomènes monétaires produits par la dette.

La « superbulle » boursière américaine est une manifestation de la plus grande bulle mondiale du crédit de l’histoire.

Depuis la crise de 2008 on a vu une croissance sans précédent de la dette à travers le monde, avec une inflation épique des cours de Bourse, de l’immobilier et des actifs fictifs spéculatifs – exemple Bitcoin – de toutes sortes.

Deux symptômes

Au cœur du système et de son mode de reproduction forcée se trouve la finance mondiale et au cœur de la finance mondiale se trouve le crédit créé par les banques centrales, par les marchés et par les dettes publiques perçues comme sûres.

L’expansion de la dette et la formation de bulles d’actifs sont les symptômes deux réalités indissociables :

– l’accumulation des difficultés du système, sa difficulté à aller de l’avant, bref la manifestation des limites endogènes du système (vous savez que ces limites sont la conjonction de la suraccumulation de capital et d’insuffisance de profitabilité) ;

– et la fin du grand cycle long du crédit qui a été permis par les innovations qui ont été mises en place au début du cycle, c’est à dire ici les innovations Bretton-Woods post-Seconde Guerre mondiale.

En clair, la situation s’articule autour de l’incapacité du régime capitaliste à aller plus avant – sans destructions massives – et de l’incapacité au système financier de la dette de lui fournir les moyens artificiels, dopants, de faire semblant d’aller plus loin.

C’est une rencontre, une concomitance : à la fois le système est à bout de souffle et, en même temps, les faux remèdes pour lui donner du souffle ne fonctionnent plus.

Et le témoin de tout cela, le signal, c’est là aussi une conjonction :

– de l’apparition de l’inflation des prix des biens et services qui pousse les taux d’intérêt à la hausse d’un côté ;

– et, de l’autre, de la difficulté à maintenir les valorisations bullaires sur les marchés financiers en raison de la hausse des taux.

Les problèmes négatifs de la sphère économique réelle à long terme, niés, occultés, rejetés, masqués par l’utilisation abusive de la finance, resurgissent, ils s’imposent et une sorte de collision se produit.

La revanche

Ce que l’on a voulu oublier pendant des décennies revient en vengeance : l’excès de capital, le profit insuffisant face à ce capital, le climat qui change, la fertilité humaine qui chute, la nourriture et d’autres ressources qui se raréfient. Tout cela conjugué devient maintenant des problèmes à court terme pertinents qui fragilisent nos échafaudages, pèsent à la fois sur l’inflation (à la hausse) et sur la croissance (à la baisse).

Collectivement, notre viabilité de long terme est menacée. Collectivement, la visibilité de l’avenir s’obscurcit.

Ce n’est bien sûr pas un hasard ou un imbécile cygne noir qui provoquent la catastrophe ; la catastrophe est écrite, inscrite, et incluse dans le développement dialectique de la situation qui s’est peu à peu imposée. L’histoire, c’est de la dialectique cristallisée entourée de la gangue.

La catastrophe est une nécessité, elle est déterminée et même sur déterminée par la bêtise humaine qui vient de surcroit.

Pourquoi les super bulles historiques sont-elles toujours suivies de chaos économiques majeurs, voire de guerres ? Vous êtes maintenant capables de le comprendre : c’est parce qu’elles ont été formées, produites après une très longue accumulation de forces négatives du marché et de l’économie. Forces que l’on a essayé d’exorciser et qui un jour se manifestent en tout ou rien, en rupture d’un invariant. Le fameux fétu de paille qui brise le dos du chameau, la revanche des stocks sur les flux !

Depuis près de deux décennies, nous jouons les prolongations, nous sommes arc-boutés contre le rouleau compresseur qui menace de nous laminer ; nous nous envoyons en l’air, nous nous projetons dans l’imaginaire afin de fuir la réalité de nos limites et la mortalité de nos arrangements politiques, géopolitiques et sociaux.

La crise suit la bulle

Nous quittons le monde, le vrai, celui qui existe. Et nous en nions la pesanteur, la finitude, la conflictualité. Comme le dit la pub de Game One, « l’imaginaire nous rassemble »… Alors que nos divisions n’ont jamais été aussi fortes et dangereuses.

Les super bulles de dettes et d’actifs financiers qui en sont le symétrique sont suivies d’une instabilité aiguë et de bouleversements économiques et sociaux.

La progression des inégalités perçues et la paupérisation relative jouent un grand rôle dans le processus de délitation systémique ; mais les actions prises par les autorités pour ralentir ou masquer les destructions du tissus social, économique et politique sont toujours contreproductives : elles sont inspirées par la volonté démiurgique de s’opposer aux changements nécessaires, par la volonté de maintenir les élites en position de domination. Ce faisant elles ne font que précipiter les ruptures des crises.

Les super bulles de dettes se terminent inévitablement par une crise violente : une montagne de dettes intenable est supportée par une structure économique profondément inadaptée. La quantité de richesse perçue liée aux bulles spéculatives d’actifs devient complètement dissociée de la capacité sous-jacente de production de richesse au sein de l’économie réelle. Les tensions sur le partage de la richesse et des revenus s’exacerbent. L’éclatement inévitable des bulles spéculatives libère des forces qui exposent les fragilités profondes du système de crédit, du marché et de l’économie, ainsi que l’impuissance politique.

Il faut que quelque chose cède, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur.

Ou les deux à la fois.

Nous y sommes, aussi bien à l’intérieur – tentative de replonger le monde dans l’austérité et la misère par la force – qu’à l’extérieur – tentative d’accaparer, piller les richesses des autres pays comme la Russie et les Brics pour faire face à la rareté.

[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]

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