La Chronique Agora

Démographie : une froide réalité (2/2)

Un pays « jeune » est très différent d’un pays « vieux » – et n’a pas du tout les mêmes problèmes, comme nous allons l’apprendre dans les années qui viennent…

Nous avons commencé à examiner hier le rôle de la démographie dans l’histoire d’un pays – notamment dans l’exemple russe. Dans un article présenté lors de la European Population Conference en 2001, l’historien russe Lev Protasov suggérait que les facteurs démographiques avaient joué un rôle clé dans la mobilisation des masses avant la Révolution russe.

Etonnamment, une large part des radicaux qui ont aidé à fomenter la révolution sont nés en 1880. « La génération des années 1880, » déclare Protasov, « constituait près de 60% des radicaux et dominait dans les factions de gauche : 62% des révolutionnaires socialistes, 58% des bolcheviks, 63% des ‘national’-socialistes et 47% des menchéviks. Bien sûr, la forte présence de jeunes radicaux au début du XXème siècle n’a pas échappé à l’attention des historiens. »

Dans les zones rurales, les paysans se reproduisent comme des lapins, et inondent des villages « en surchauffe ». Le taux de mortalité infantile a baissé grâce à de meilleurs soins de santé, une meilleure nutrition et de meilleures systèmes sanitaires.

« Les cataclysmes politiques russes de 1905 et 1917 ont été ‘préparés’ non seulement par des facteurs économiques ou politiques, » conclut Protasov, « mais aussi par l’action des lois de la nature. L’explosion démographique lors des dernières décennies du XIXème siècle n’a pas seulement accentué les problèmes de modernisation, mais a aussi accéléré la marginalisation de la société et fourni une quantité abondante de ‘matériel humain’ pour les premières lignes des futurs révolutionnaires. »

Jeunesse et révolution

Dans Le Choc des Civilisations, Samuel Huntington considère la démographie comme un facteur majeur lors des révolutions politiques, et ce dès la Réforme protestante.

« La Réforme, » écrit Huntington, « est l’un des exemples remarquables de mouvement de jeunesse dans l’Histoire. »

Il poursuite en citant Jack Goldstone :

« L’Ere de la révolution démocratique pendant les dernières décennies du XVIIIème siècle coïncide avec une expansion notable de la proportion de jeunes dans les pays occidentaux. Au XIXème siècle, le succès de l’industrialisation et de l’émigration a atténué l’impact politique des populations jeunes dans les sociétés européennes.

La proportion de jeunes a cependant à nouveau augmenté dans les années 1920, ce qui a fourni des recrues aux fascistes et à d’autres mouvements extrémistes. Quatre décennies plus tard, la génération du baby-boom, après-guerre, a laissé sa trace avec les manifestations des années 1960. »

Les explosions démographiques ont provoqué des troubles par le passé… Aujourd’hui la population diminue. Les conséquences pourraient être tout aussi dévastatrices.

Toutes les nations développées dépendent en effet des impôts payés par les jeunes travailleurs pour financer les retraites des travailleurs âgés. Le déclin et le vieillissement de la population coïncidera donc exactement avec le moment où les sociétés occidentales auront le plus de besoin de jeunes gens.

Si les jeunes ont généralement une influence rebelle et révolutionnaire sur la société, quelle sera l’influence d’un vieillissement de la population ? L’exact inverse.

Japonisation

L’angoisse et la perte du désir sont les compagnons habituels du vieillissement. Les personnes âgées ont tendance à ne pas vouloir autant de choses que les plus jeunes, dans la vie. Elles ont moins le désir d’impressionner leurs amis, leur famille, leur partenaire.

Au lieu d’acheter des choses superflues, elles craignent de n’être pas en mesure d’obtenir ce dont elles ont effectivement besoin. Cela n’a rien d’étrange, d’ailleurs : c’est ainsi que la nature reconnaît que les opportunités se raréfient.

Un homme de 40 ans peut prendre un nouveau départ. A la fin de la soixantaine, cependant, il n’a plus l’énergie ni le désir de le faire. Il commence donc à tout économiser – le papier alu, l’argent, les bouts de chandelles – de peur de ne pas avoir suffisamment quand il sera dans le besoin.

C’est ainsi que les individus âgés tendent à se comporter. Mais à quoi ressemble une société vieillissante ? Il suffit pour le savoir de se rendre au Japon.

Le Japon se bat contre un environnement déflationniste depuis le début des années 1990, et cela ne semble pas près de s’arrêter.

Le reste du monde développé pourrait aussi être en train de se japoniser – et lutte contre un environnement déflationniste sans apercevoir le bout du tunnel.

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