La Chronique Agora

Décorrélation, incohérence… un simple délit d’initié ?

La décorrélation entre les indices américains et les places du Vieux Continent s’est radicalisée ces dernières 48 heures. Le phénomène nous est tombé dessus sans crier gare lundi vers 10h30… et nous cherchons toujours à comprendre quel subtil élément a servi de détonateur.

Vous avez pu lire partout que les taux se sont brusquement tendus lundi matin dans l’ensemble des pays regroupés sous l’acronyme « PIGS » — et les marchés n’ont pas aimé ça. Soit, mais cela n’explique rien à nos yeux : nous évoquons là des effets, et non des causes !

Pourquoi, au lendemain d’un week-end sans surprise — et où les anticipations des marchés concernant les modalités du sauvetage de l’Irlande ont été confirmées à la virgule près — les primes de risques se sont-elles mis à exploser du Portugal à l’Italie en passant par l’Espagne ?

Les raisonnements que les spécialistes des marchés de taux nous tenaient lundi étaient exactement les mêmes qu’en janvier ou en mai dernier… voire en début de semaine dernière, alors que l’Irlande venait d’accepter le plan d’aide européen.

Quel élément nouveau — dont nous ignorons la teneur — leur fait-il juger que ce qui semblait bon le 22 novembre ne l’était plus une semaine plus tard ?

Et pourquoi se réveillent-ils le 29 novembre à 10h30 du matin très précisément… alors que l’Irlande était déjà au bord du gouffre le 29 octobre dernier ? Notons que cela n’avait pas empêché le CAC 40 de passer de 3 830 à 3 960 points en une grosse poignée de séances.

Par ailleurs, le CAC 40 n’avait pratiquement pas réagi à la première vague de baisse de la monnaie unique à la mi-novembre entre 1,425 et 1,35 $. Francfort continuait d’ailleurs de battre ou d’égaler des records annuels jusqu’en fin de semaine dernière.

▪ A en croire les commentaires dans la presse, il existerait bien un lien mécanique entre la rechute de 10% de l’euro et celle des indices boursiers… Mais comment justifier que Francfort n’ait reperdu que 3% tandis que Paris en reperd plus de 9% dans l’intervalle ?

Ces deux places n’utilisent-elles pas la même devise ? La notation des deux pays n’est-elle pas équivalente aux yeux des trois principales agences de rating… et la rémunération des Bunds et des OAT n’est-elle pas toujours assez comparable ?

Poussons la comparaison un peu plus loin : les taux longs américains et français sont pratiquement équivalents. Cependant, Wall Street n’a même pas souffert de l’accès de fièvre dont ont été victimes les muni-bonds une semaine auparavant : le 10 ans US a pris 20 points de base.

Nous pourrions dresser ainsi une liste d’incohérences apparentes entre ce qui transparaît de l’actualité et l’interprétation qui en ressort boursièrement — nous parlons là de la masse d’informations à la disposition des opérateurs « non-initiés ».

▪ Quel contraste mardi soir entre Paris (-0,75%), Francfort (-0,15%) et Wall Street ! La bourse américaine a rapidement contenu ses pertes à moins de 1%, après une entame de séance fébrile et marquée par une contagion baissière venue d’Asie (net repli de Tokyo et Shanghai) puis d’Europe en cours de journée.

Le S&P, qui revenait dans le vert à la mi-séance, manifestait sa volonté de préserver le support des 1 180 points, tandis que le Dow Jones ne lâchait rien et se maintenait allègrement au-dessus des 11 000 points.

Le Nasdaq semblait victime de dégagements plus appuyés (-0,6%). Cependant, ni le seuil des 2 500 points ni la tendance haussière à court ou moyen terme n’apparaissaient compromis.

Le dollar peut bien franchir impunément les 1,3/euro : plus personne ne souligne l’aspect positif d’un euro faible pour nos exportations. La seule préoccupation du moment consiste à se débarrasser des banques européennes, presque « à tout prix » depuis 48 heures — comme si des signaux économiques hyper-inquiétants avaient brusquement surgi lundi vers 10h30.

▪ La publication de l’indice Case-Shiller des prix de l’immobilier (-2,1% aux Etats-Unis au troisième trimestre 2010) ne changeait rien à l’humeur des investisseurs américains.

Même constat pour la confiance du consommateur : l’indice du Conference Board s’améliore un peu plus qu’anticipé en novembre (à 54,1 contre 49,9 en octobre) et cela reflète pour une fois une propension à consommer qui a de quoi réjouir Wall Street.

Le nombre de transactions (tous achats confondus, quel que soit le moyen de paiement) a bondi de 8,7% par rapport à l’année dernière. Il grimpe même de 15% sur internet, et le montant global des dépenses a augmenté de 6,4% durant le week-end de Thanksgiving.

D’après un sondage réalisé en France ces derniers jours, les ménages devraient réduire leurs dépenses de façon symétrique (-6% à -8%), et le recul de la consommation devrait atteindre 10% en Grèce, en Irlande et au Portugal.

Nous devons reconnaître que si l’assouplissement quantitatif de la Fed rajoute de la dette à la dette et ne résoudra ni le problème du chômage ni de l’investissement productif aux Etats-Unis… la remontée de 15% des indices américains en deux mois (et même +20% pour le Nasdaq) semble avoir suscité un « effet de richesse » difficilement contestable.

▪ Les articles de luxe (prêt-à-porter griffé, bijoux, accessoires haut de gamme) et l’électronique de loisir ont connu un engouement qui peut surprendre l’observateur non averti. Il faut tout de même se rappeler que les Etats-Unis connaissent une progression inexorable du chômage de longue durée, des saisies immobilières et de l’exclusion.

Pour résumer la situation, la fracture sociale se creuse entre les ménages les plus riches — qui ne l’ont jamais autant été — et des franges entières de la classe moyenne qui sombrent dans la précarité et les affres du surendettement.

Wall Street se reconnaît volontiers dans les premiers, qui possèdent généralement un confortable portefeuille de valeurs mobilières… et ignore les seconds : ils ne détiennent pratiquement aucune épargne financière, sinon celle que leur consent le système de retraite obligatoire — à condition de jouir du statut de fonctionnaire.

Les Etats-Unis d’aujourd’hui ressemblent beaucoup à la Grèce d’hier, c’est-à-dire d’avant la crise du surendettement qui a mis le pays à genoux en début d’année. Il n’y avait plus que l’Etat pour dépenser de l’argent au travers d’une fonction publique pléthorique et de programmes sociaux généreux pour les salariés les plus défavorisés… mais la vie était facile et insouciante tant que les créanciers se montraient bienveillants envers Athènes.

Lorsque qu’ils se sont avisés que les dettes ne seraient peut-être pas remboursées (qui le leur a dit ? Goldman Sachs qui avait truqué la comptabilité du pays lors de son adhésion à l’euro ?), le couperet de l’austérité est tombé au printemps dernier.

Même s’il n’a plus les moyens de faire de beaux voyages aux frais de la princesse bruxelloise, le peuple grec peut toujours se consoler avec un climat de rêve, contrairement aux Irlandais qui grelottent comme des moscovites depuis ce week-end.

Ceux qui se sont envolés cet automne vers des cieux plus cléments (Australie, Floride) ont été particulièrement bien inspirés. Nous évoquions la plongée dans une ère glaciaire économique dès le 22 novembre dernier, il semblerait que la météo se mette également de la partie !

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