Joe Biden souhaite consacrer 1 900 Mds$ à lutter contre la crise liée au Covid-19. Une somme colossale… qui pourrait faire plus de mal que de bien, considérant la configuration actuelle du système.
Si on analyse objectivement le discours de la dernière décennie, on constate qu’il faut sans cesse chouchouter le capital, le détaxer, lui éviter le moindre risque et surtout ne pas bousculer la montagne d’actifs financiers qui s’est érigée progressivement au fil des années de baisse des taux d’intérêt, d’impression monétaire et d’utilisation de l’effet de levier.
Vous m’avez compris, nous sommes dans TINA – There Is No Alternative : la croissance séculaire faible produit mécaniquement une montagne de dettes et d’actifs financiers. Il faut surtout, surtout, ne rien faire qui perturbe les propriétaires de cette montagne, ne rien faire qui les mette de mauvaise humeur ou leur fasse peur.
On ne peut rien changer, c’est l’ordre naturel qui commande. La preuve est que Jerome Powell, qui n’y croyait pas au début de son mandat à la tête de la Fed et était venu pour changer tout cela, notre Powell a vite compris : dès la première crise, il s’est mis à genoux et il s’est rallié à la fameuse TINA.
Ce n’est pas que tout ce beau monde soit méchant volontairement et ait favorisé Wall Street par sentiment anti-social ; simplement, c’est l’ordre des choses, la fatalité qui s’est imposée, pas moyen de faire autrement.
Résumons
La croissance séculairement faible produit peu d’investissement, l’épargne est excédentaire, le taux d’intérêt naturel est nul ou négatif, la banque centrale doit obéir à la nature, elle doit mettre les taux bas, « imprimer » beaucoup. Cela fait des richesses fictives considérables – et pour éviter que l’édifice instable et fragile s’effondre, il faut sans cesse nourrir l’ogre du capital, favoriser la Bourse.
Ce que la « Chouette » Lagarde a cyniquement osé proclamer : pour sauver les emplois il faut enrichir les riches.
On peut présenter l’analyse résumée de la situation qui a conduit à favoriser le capital de la façon suivante :
– le capital n’est pas assez rentable ;
– il fait la grève de l’investissement ;
– il ne crée pas assez d’emplois ;
– il ne distribue pas assez de revenus aux ménages ;
– la productivité stagne ;
– la croissance s’étiole ;
– il faut lui fournir des béquilles monétaires et fiscales pour qu’il soit heureux et ne se fâche pas, il faut sans cesse l’enrichir fictivement pour empêcher une gigantesque crise de dévalorisation.
A votre avis, présenté scientifiquement, logiquement, dans la situation présente, est-ce qu’on peut mener une autre politique économique et la faire basculer en faveur des salariés et au détriment du capital ?
Est-ce que l’on peut se permettre de réduire la profitabilité déjà insuffisante du capital, augmenter ses impôts, laisser monter les taux d’intérêt et augmenter les risques ?
Est-ce que l’on peut donner un grand coup de pied dans la base de la pyramide qui soutient le monde financier de la richesse imaginaire ?
Poser la question, c’est déjà y répondre : NON.
C’est pourtant ce que proposent Biden et Yellen, renverser la priorité économique en faveur des salariés et au détriment du capital.
Scepticisme
On peut donc déjà à juste titre se montrer sceptique : comment par miracle pourrait-on échapper aux fatalités et aux contraintes anciennes et mener une politique originale en faveur du peuple ?
Comment mener une politique favorable aux salariés alors que l’on est otage d’un capital excédentaire et surtout surévalué ?
Pour que la politique de Joe Biden puisse réussir, il faudrait qu’elle opère un transfert important, réel – et pas seulement nominal – de ressources et de revenus du capital vers le travail. Il faudrait peser sur la profitabilité. Il faudrait accepter une correction importante des cours de Bourse et une montée de l’insolvabilité.
Une seule réponse, la tension sur les prix et les revenus.
Le plan de Biden, avec ses 1 900 Mds$, est démesuré ; il interviendra ou interviendrait sur un système déjà dopé par la monnaie.
Ecoutons le grand chef de la pensée keynésienne, Lawrence Summers, s’exprimant dans le Washington Post. Il dit la même chose que nous, mais dans ses propres catégories/concepts, en juxtaposant les données – alors que nous, nous les articulons logiquement :
« Le plan de secours Covid-19 de 1 900 Mds$ du président Biden, ajouté à la mesure de relance adoptée par le Congrès en décembre avec le ferme soutien de la nouvelle administration, représenterait l’acte le plus audacieux de politique de stabilisation macroéconomique de l’histoire des Etats-Unis.
Son ambition, son rejet de l’orthodoxie d’austérité et son engagement à réduire les inégalités économiques sont tous admirables.
Pourtant, des mesures audacieuses doivent s’accompagner d’un examen attentif des risques et de la manière dont ils peuvent être atténués.
Alors que les arguments pour apporter un soulagement aux personnes touchées par les retombées économiques de la pandémie, investir dans le contrôle du virus et soutenir la demande des consommateurs sont convaincants, une grande partie de la discussion politique n’a pas pleinement tenu compte de l’ampleur de ce qui est débattu. »
Les conséquences seront nombreuses – et profondes, comme nous le verrons demain.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]