Neutre, inoffensif, le crédit ? Absolument pas – et ces idées dangereuses sapent désormais l’économie et jusqu’aux fondements même de nos sociétés.
La décennie des années 80 a vu la mise en place de tous les éléments nécessaires à la financiarisation : théories, institutions, produits, outils, propagande.
La décennie des années 90 a commencé par une grave crise bancaire, conséquence inévitable de la bulle des années 80. L’économie étant en profonde récession, la Fed d’Alan Greenspan a abaissé les taux et manipulé la courbe des taux, recapitalisant subrepticement le système bancaire tout en favorisant la création de crédits non bancaires.
C’est à cette époque que l’on a commis l’erreur impardonnable de sortir le crédit des banques et de le mettre sur les marchés, de le disséminer pour en produire plus avec moins de capital.
Cette vague d’innovations financières a permis de financer d’énormes déficits des comptes courants et des excès spéculatifs. Elle a alimenté la désindustrialisation des Etats-Unis et leur surconsommation. Elle a favorisé la globalisation du monde et sa financiarisation.
Le crédit n’est pas inoffensif
Le crédit n’est pas inoffensif, et il est encore moins neutre comme le croient les idiots du type Ben Bernanke. Le crédit tue l’épargne, il rend l’investissement pervers, il alimente les spéculations et les emplois de gaspillage, il s’attaque en profondeur à la structure économique. Il détruit les fondements de nos sociétés.
La manipulation des taux d’intérêt rend peu à peu toute prévision économique rationnelle impossible. Elle impose des arbitrages dans le temps qui sont absurdes ; elle produit, avec le temps, un système de prix et de préférences relatives faux.
C’est une de mes thèses les plus importantes : nos systèmes de prix, dans l’absolu et dans le relatif, sont faux – comme ceux de l’URSS d’alors et de la Chine maintenant.
Le prix relatif du capital et du travail, ce prix qui est essentiel dans l’équilibre du système, est bouleversé – tout comme la répartition des valeurs ajoutées et des surplus. La dette provoque l’accumulation de capital fictif en vertu du principe que les dettes des uns constituent les créances, c’est-à-dire le capital, des autres.
L’accumulation de capital productif est phagocytée/noyée/polluée par l’accumulation de capital fictif, de poids mort. Ainsi surgit la nécessité de surexploiter la main d’œuvre et de réduire puis détruire les biens communs et les services publics pour rentabiliser tout ce capital.
Imbéciles et crétins
Des idées dangereuses ont pris racine dans les cercles politiques et les médias. Les normes de la gestion orthodoxe traditionnelle sont jetées à la poubelle :
– les déficits n’ont pas d’importance du moment qu’il y a des imbéciles pour les financer ;
– la taille des bilans des banques centrales n’a pas d’importance tant que les crétins de citoyens acceptent les monnaies de singe ;
– ce que les banques centrales achètent et mettent à l’actif de leur bilan n’a pas d’importance, même si c’est de la pourriture ;
– les Etats ne peuvent pas faire faillite tant qu’ils ont le pouvoir de créer de la fausse monnaie ;
– la hausse des Bourses est une création de valeur tout aussi réelle que la production de biens et de services ;
– finalement et en résumé : l’argent n’a pas d’importance puisque l’on peut en créer à volonté par un clic sur un clavier.
On est bien passés de l’autre côté de la ligne de démarcation entre le rêve et la réalité ; on est entré chez Méphisto et on s’y plaît. Nous sommes tous l’empereur de Faust.
Notre période se définit comme un gigantesque « je ne veux rien savoir de la mort, des limites, de la rareté et de la finitude humaine ».
On peut par conséquence « accepter » les catastrophes. On sait les rejeter hors de l’analyse : les catastrophes, c’est toujours de la faute des autres. Jamais de notre faute, jamais dues à nos mauvais choix. Par exemple, c’est la faute aux Chinois, comme le disent Donald Trump et Emmanuel Macron à propos du virus !
Avez-vous accès à la réalité ?
Ceux qui persistent à rester « fondamentalistes », comme on dit, restent sur la touche. Ils voient les trains passer sans monter dedans. Ils s’aigrissent de plus en plus.
La vraie coupure, le vrai clivage du monde se situe là : entre ceux qui ont encore accès à la réalité… et ceux qui n’y ont plus accès et qui sont totalement aliénés.
J’en profite pour vous rappeler clairement ma position :
Il n’est pas question d’investir en actions, l’investissement en tant qu’activité rationnelle n’est plus possible.
Il est en revanche toujours possible de spéculer – si on a des ressources excédentaires et que l’on sent monter les « esprits animaux ». Les risques sont réduits par le put, par la certitude maintes fois confirmée que les autorités ne peuvent plus laisser tomber et tolérer la moindre chute.
A long terme, cependant, la spéculation sera ruinée : c’est la fonction des marchés que de ruiner le maximum de gens.
Ceux qui se sont mis au parking ne gagneront pas grand’chose en réel… mais ils ne perdront pas tout. Dans un monde qui s’appauvrit en réel, il n’est pas possible de s’enrichir – sauf si on est un génie ou un tricheur.
Celui qui fait œuvre utile pour sa communauté, c’est celui qui préserve ses ressources et celles de son groupe, et s’abstient de jouer et de succomber aux reflets scintillants du miroir aux alouettes.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]