La Chronique Agora

Cycles boom/krach : ce n’est pas terminé (1/2)

Certains verraient volontiers dans la « bulle perpétuelle » actuelle la fin du cycle boom/krach traditionnel. Ils se trompent…

Au cours du Forum économique mondial 2020 qui s’est déroulé à Davos, Bob Prince, responsable adjoint des investissements chez Bridgewater Associates, a fait parler de lui en suggérant, lors d’une interview télévisée, que les cycles de booms et de crises que nous avons connu au cours des dernières décennies pourraient être révolus.

Ce point de vue pourrait avoir été suscité par le fait que la phase d’expansion économique actuelle (le « boom ») dure maintenant depuis plus d’une décennie – et elle ne semble pas donner signe de se terminer, comme le suggèrent les dernières données macro et microéconomiques.

Cela ne viendrait-il pas contredire la leçon fondamentale de la théorie autrichienne des cycles économiques (TACE), à savoir qu’un boom alimenté par une réduction artificielle des taux d’intérêt sur le marché, l’émission de crédits et l’injection de liquidités créées « à partir de rien », doit nécessairement se solder à terme par une crise ?

Dans la suite de cet article, je vais revenir sur le message fondamental de la TACE et présenter les « conditions particulières » à prendre en compte afin de pouvoir l’appliquer aujourd’hui aux évolutions du monde réel. En nous appuyant sur ces éléments, nous pourrons ensuite réfléchir à la forme que pourrait prendre la prochaine crise.

Ce que la théorie autrichienne des cycles économiques nous enseigne

La TACE est en réalité une « théorie des crises ».

Elle permet d’expliquer les conséquences d’une augmentation de la quantité de monnaie en circulation au travers d’une expansion du crédit — autrement dit, d’une augmentation du volume de prêts non financés par une épargne réelle — sous l’impulsion des banques centrales et en coopération étroite avec les banques commerciales.

L’augmentation de l’offre de crédit entraîne dans un premier temps une réduction des taux d’intérêt sur le marché en dessous de leur « niveau naturel », ou du « niveau du taux d’intérêt originel » pour reprendre la terminologie de l’école autrichienne d’économie.

La réduction artificielle des taux d’intérêt sur le marché décourage l’épargne et encourage l’augmentation de la consommation ainsi que de l’investissement. L’économie entre alors dans une phase de boom.

Cependant, une fois que les effets de l’injection initiale de nouvelle monnaie et de crédit se font ressentir sur le niveau des prix et des salaires, les gens commencent à réaliser que cette période de boom économique n’était qu’un phénomène temporaire. Ils retournent alors à leurs préférences initiales en matière de taux d’épargne, d’investissement et de consommation, ce qui se traduit par une hausse des taux d’intérêt sur le marché pour rejoindre leur niveau originel.

C’est par ce mécanisme que le boom se transforme en crise.

Pour empêcher que le boom ne laisse place à une nouvelle crise, les banques centrales interviennent pour ramener les taux d’intérêt à des niveaux encore plus bas. Car si les taux sur le marché baissent encore davantage, alors la structure de production et le niveau de l’emploi pourront être soutenus un peu plus longtemps, et la phase de boom économique pourra se poursuivre.

En d’autres termes, la trajectoire des taux d’intérêt sur le marché — qui est en fait le reflet de la façon dont les individus choisissent de répartir leurs revenus entre l’épargne, la consommation et l’investissement — est au cœur des cycles d’expansion et de crise économique. C’est dans ce domaine que les banques centrales ont progressivement accru leur niveau de contrôle.

Le contrôle des taux d’intérêt

Depuis la crise économique et financière de 2008-2009, les banques centrales ont pris le contrôle des taux d’intérêt sur le marché comme jamais auparavant. Elles ne se limitent plus seulement à fixer les taux d’intérêt à court terme, mais cherchent également à contrôler les taux d’intérêt sur les maturités à plus long terme.

En fait, les banques centrales ont commencé à fixer les taux d’intérêt à long terme au travers de leurs programmes d’achat de bons du Trésor, de crédits hypothécaires titrisés, d’obligations d’entreprises et d’obligations bancaires. De cette façon, elles influencent directement le prix des obligations et donc leurs rendements.

Les taux d’intérêt ne sont désormais plus fixés par « le marché libre ».

Non seulement les taux d’intérêt sur le marché ont été faussés et fixés à des niveaux trop faibles en raison des politiques imposées par la banque centrale, mais ils sont également bloqués sans possibilité de retour à des niveaux économiquement rationnels.

C’est en tout cas ce que semblent penser les agents économiques sur le marché : ils estiment que les banques centrales vont continuer de veiller sur le marché du crédit — ils savent que si et quand les taux remonteront, la phase d’expansion laissera sans aucun doute place à une crise économique, un scénario que les banques centrales souhaitent éviter à tout prix.

Compte tenu du pouvoir quasiment illimité dont disposent les banques centrales en matière de contrôle du prix des obligations et donc des rendements obligataires, aucun investisseur sain d’esprit n’oserait parier contre les autorités monétaires.

En fait, les investisseurs sont fortement incités à spéculer sur le prix des obligations en visant le même niveau de prix que ce que la banque centrale souhaiterait établir sur le marché d’après leurs estimations. En d’autres termes, si les marchés estiment que la banque centrale ne souhaite pas laisser les taux d’intérêt augmenter, alors les taux resteront artificiellement bas.

Méfiez-vous du prétendu « filet de sécurité »

En contrôlant les taux d’intérêt, les banques centrales ont en fait dressé un « filet de sécurité » pour l’économie et les marchés financiers.

Etant donné que les banques centrales ont indiqué au grand public qu’elles se considèrent responsables du maintien d’une économie en bonne santé et, plus particulièrement, de garantir la « stabilité des marchés financiers », les investisseurs ont rapidement fait le calcul : si l’économie ou les marchés financiers devaient se rapprocher d’une situation dangereuse, les investisseurs pourraient s’attendre à ce que les banques centrales interviennent, repoussant le risque d’une nouvelle crise.

Cette prise de conscience des investisseurs les encourage à prendre des risques plus importants, à investir davantage et à ignorer ou sous-estimer le niveau de risque.

Nous verrons la suite dès demain.


Article traduit avec l’autorisation du Mises Institute. Original en anglais ici

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