La Chronique Agora

Cycles boom/krach : ce n’est pas terminé (2/2)

Les banques centrales sont plus interventionnistes que jamais – à tort : même avec des taux zéro voire négatifs, il est impossible de prolonger indéfiniment l’expansion économique.

Nous avons vu hier que les banques centrales ont dressé un « filet de sécurité » sous les marchés. Ce filet de sécurité ne constitue pas seulement un outil puissant de soutien à la croissance économique, mais aussi une forme plutôt subtile et discrète d’intervention sur les marchés financiers.

Dans les faits, ce filet de sécurité a donné naissance à un marché financier entièrement truqué : les prix sont maintenus à des niveaux plus élevés et les rendements à des niveaux plus bas que ce qui serait possible si les forces du marché n’étaient pas ainsi entravées.

Cette politique des banques centrales représente une forme de manipulation du système d’économie de marché à grande échelle. Avec une distorsion quasiment généralisée des prix et des rendements, l’économie et les marchés financiers sont rentrés dans une véritable « galerie des glaces » où les consommateurs et les entreprises ne peuvent qu’être désorientés et prendre inévitablement de mauvaises décisions.

Cependant, dans de telles conditions, la période d’expansion économique peut être prolongée beaucoup plus longtemps par rapport à une situation dans laquelle les forces du marché libre seraient autorisées à jouer leur rôle — à savoir établir le prix des actifs ainsi que le niveau de l’inflation, du crédit et de la prime de liquidité en fonction des données du monde réel.

L’environnement actuel est différent, toutefois : les banques centrales, en tentant d’empêcher que la période d’expansion actuelle ne laisse place à une nouvelle crise, ont en fait altéré le rôle vital que jouent les marchés financiers et les taux d’intérêt dans un système de marché libre.

Le rôle du taux d’intérêt originel

Ce serait une erreur d’en conclure que la période d’expansion économique peut être prolongée indéfiniment si les banques centrales continuent de maintenir les taux d’intérêt à un niveau proche de zéro, ou même en territoire négatif.

En fait, sans taux d’intérêt positifs (en termes réels), le système économique moderne qui repose sur la division du travail et des processus complexes de « détours de production » ne pourrait tout simplement pas exister. Cette idée est issue de la théorie de la préférence temporelle développée par l’école autrichienne d’économie.

Pour résumer, le concept de préférence temporelle signifie que les individus valorisent davantage la satisfaction immédiate d’un désir que la satisfaction de ce même désir à un moment plus éloigné dans le temps.

Cette préférence temporelle se manifeste sur le marché sous la forme du « taux d’intérêt originel ». Il désigne la décote dont souffre la valeur d’un bien qui ne sera disponible que dans le futur par rapport au même bien s’il est immédiatement disponible.

Pour des raisons logiques, la préférence temporelle des agents économiques, et donc leur taux d’intérêt originel, est partout et toujours positive. Elle peut s’approcher de zéro, mais elle ne peut jamais atteindre zéro, encore moins devenir négative. C’est un enseignement important, étant donné qu’il nous permet de comprendre ce qui se passerait si les taux d’intérêt sur le marché tombaient à zéro : le système économique moderne commencerait à se désintégrer. Voici pourquoi :

Chaque individu possède, pour ainsi dire, un taux d’intérêt originel positif qui lui est propre. Par conséquent, si les taux d’intérêt sur le marché tombent à zéro, plus personne n’accepterait de placer son épargne pour financer des processus de production longs.

Les épargnants refuseraient de mettre à disposition leurs liquidités pour financer le remplacement des investissements existants ou de nouveaux investissements. Ils se contenteraient de thésauriser leur argent en le gardant « sous le matelas ». Un processus de consommation du capital s’enclencherait.

En d’autres termes : en ramenant les taux d’intérêt sur le marché à zéro, les banques centrales entraîneraient la destruction de l’économie de marché et de la division du travail telles que nous les connaissons aujourd’hui.

Fin de partie

Au cours des dernières années, la plupart des banques centrales se sont focalisées sur des politiques visant à pousser vers le bas les rendements sur des catégories de titres ciblées, en particulier sur le marché des bons du Trésor public, des crédits hypothécaires titrisés et des obligations émises par les établissements bancaires.

Cependant, les répercussions de telles interventions se font de plus en plus ressentir sur d’autres marchés. Dans le but de trouver de meilleurs taux de rendement, les investisseurs se dirigent de plus en plus vers le marché action et l’immobilier. Par conséquent, le prix de ces actifs augmente, réduisant mécaniquement leurs perspectives de rendements futurs.

En d’autres termes : la politique de taux zéro des banques centrales tire vers le bas les rendements de l’ensemble des catégories d’actifs. Cela pourrait encore durer un certain temps.

Mais lorsque les taux sur l’ensemble des marchés auront atteint zéro, alors les vrais problèmes débuteront : la phase d’expansion économique laissera place à une crise. Le marché du crédit se grippera, les emprunteurs ne pourront plus refinancer leurs dettes arrivant à échéance, et aucun investisseur n’acceptera de prêter des fonds supplémentaires.

Pour empêcher une multiplication des défauts et un effondrement de la pyramide de dettes, les banques centrales interviendraient probablement en tant que « prêteur de dernier ressort », acceptant de refinancer quasiment tous les emprunteurs qui feraient face à un besoin de liquidités. Une politique ouvertement inflationniste débuterait.

Toutefois, un processus de consommation du capital et de régression économique s’enclencherait. Le niveau de vie de la population commencerait à chuter rapidement ; beaucoup d’entre eux tomberaient dans la misère.

L’application aux évolutions du monde réel de la TACE nous offre les enseignements suivants : les banques centrales n’ont absolument rien fait qui permettrait de mettre fin aux cycles d’expansion et de récession. Au lieu de cela, leurs interventions sans scrupules sur le marché du crédit n’ont fait que prolonger la phase d’expansion.

Malgré tout, il serait faux de penser qu’en réduisant les taux d’intérêt sur le marché à zéro, une période d’expansion économique perpétuelle serait possible. Une telle politique est condamnée par avance : une fois que l’ensemble des taux d’intérêt sur le marché auront été abaissés à zéro, le système économique capitaliste s’effondrera.

Alors – si cela ne s’est pas déjà produit avant – le boom laissera nécessairement place à une nouvelle crise.


Article traduit avec l’autorisation du Mises Institute. Original en anglais ici

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile