Notre économie déjà dominée à près de 60% par l’Etat plonge encore plus résolument dans le dirigisme.
La pandémie de Covid-19 a été l’occasion, pour nombre de gouvernements, de desserrer les contraintes qui limitaient le poids de l’exécutif dans le quotidien des citoyens. De Pékin à Paris en passant par Rome, les dirigeants ont vu dans « l’urgence sanitaire » une occasion en or de décréter des régimes d’exception – par la suite partiellement pérennisés.
Bien peu de nations ont traversé la crise sanitaire en renforçant la séparation des pouvoirs, limitant le rôle de l’État, ou renforçant l’autonomie et la responsabilité des acteurs privés. Le contexte ne se prêtait pas à affirmer les prérogatives individuelles, que l’on parle de celles d’entreprises ou des citoyens, mais plutôt à faire enfler le rôle de l’État dans notre quotidien.
Les bonnes âmes pensaient que cette bouffée d’illibéralisme était causée par la particularité de la crise qui, relevant du domaine sanitaire, nous touchait dans notre chair et justifiait ce qui relevait de l’inimaginable quelques mois auparavant.
Las, les exemples de la guerre en Ukraine et de l’inflation galopante nous prouvent que l’appétit de l’État ne grandit pas qu’en temps de pandémie. Il est constant et chaque crise est l’occasion pour les pouvoirs publics de renforcer leur poids.
La France ne fait pas exception. Ces derniers jours, deux tendances inquiétantes sont revenues sur le devant de la scène. La première concerne les entreprises, et la captation toujours plus grande des profits au nom de « l’intérêt commun ». La seconde touche les particuliers, avec le projet de généralisation de l’aide alimentaire – comme si cette dépense avait vocation à devenir un service public.
Les « surprofits », bouc émissaire moderne de l’Etatisme
Ceux qui pensaient que la France était un pays capitaliste dirigé par un gouvernement libéral ont pu constater, à la faveur de la crise sanitaire, qu’il n’en était rien. Entre l’interdiction d’exercer les activités jugées non essentielles, la nationalisation de fait des dépenses salariales et le « quoi qu’il en coûte » pour geler les faillites d’entreprise, notre économie déjà dominée à près de 60 % par l’État a résolument plongé dans le dirigisme.
La période de sortie de crise a montré que l’État aurait le plus grand mal à lâcher les rênes de l’économie réelle. La phase aigüe de la pandémie à peine achevée, des voix se sont élevées pour taxer les « surprofits » (ou « profits exceptionnels ») réalisés par les entreprises, voire les citoyens, durant les périodes de confinement.
En clair, il s’agissait de punir les acteurs économiques ayant continué à produire de la richesse pendant que le reste de la population participait à l’effort de guerre en restant chez soi et applaudissait à la fenêtre à 20h.
Si l’idée n’a finalement pas été mise en œuvre, elle revient sur le devant de la scène à la faveur de la guerre en Ukraine. A la même situation, mêmes réactions-réflexe : les entreprises bénéficiaires du conflit sont dans le collimateur des étatistes qui voient déjà, dans l’amélioration de leurs marges, l’occasion de renflouer les caisses.
« Tout l’effort ne peut pas reposer uniquement sur l’Etat », a déclaré lundi 27 juin Bruno Le Maire sur BFMTV. Après avoir saigné EDF pour maintenir le pouvoir d’achat des ménages, le message est clair : les autres entreprises payeront également. TotalEnergies a été fortement incité à diminuer encore ses prix à la pompe, donc ses marges, et les autres acteurs économiques en bonne santé sont invités à en faire autant.
S’ils n’obtempèrent pas spontanément, Bercy se réserve l’option de sortir l’artillerie lourde avec des gels de prix… ou la fameuse taxation des surprofits. Celle-ci n’est plus seulement évoquée par la partie gauche de l’Assemblée nationale : Bruno Le Maire l’a simplement qualifiée, dans Les Echos, de « pas la meilleure des solutions ». Petit à petit, cependant, l’idée se banalise dans l’opinion publique et chez les décideurs. Si sa mise en place n’est pas encore décidée, le tabou s’est évaporé.
Vers un service public de l’alimentation ?
Grand protecteur, l’Etat français se penche désormais sur le budget alimentation des ménages. Après la prime inflation et la subvention du plein de carburant à hauteur de 18 centimes par litres, voici qu’arrive un nouveau « chèque alimentation ».
Selon les informations diffusées par la presse spécialisée, les foyers allocataires du revenu de solidarité active (RSA), de l’allocation adultes handicapés (AAH), du minimum vieillesse (ASPA) ou de l’aide personnalisée au logement (APL) seraient éligibles. Dans sa nouvelle mouture, le nouveau chèque devrait bénéficier à pas moins de 9 millions de foyers sur les 29 millions que compte notre pays. C’est ainsi près d’une famille sur trois qui, jugée dans le besoin, verrait ses achats de nourriture subventionnés – le double des 5 millions de foyers aidés lors de la pandémie en mai 2020.
Lorsqu’une aide ciblée touche 17%, puis plus de 30% des ménages, se pose une question : la dépense concernée a-t-elle vocation à être couverte par la collectivité ? Chacun sait que la redistribution n’a de sens que quand une grande masse paye, un peu, pour un public restreint qui reçoit beaucoup.
Lorsque tout le monde paye pour tout le monde, l’efficacité est nulle – voire même négative avec la friction administrative. Pire encore, lorsqu’il s’agit de payer des biens et services assurés par le secteur privé, comme c’est le cas pour l’alimentation, elle conduit à une insensibilité au prix qui réduit la concurrence et l’incitation à la productivité.
Au niveau macro-économique, acteurs individuels et société dans son ensemble s’appauvrissent. Alors, dans la mesure où le cycle électoral est achevé et que les mesures populistes n’ont plus d’intérêt, pourquoi le gouvernement met-il en place cette aide généralisée qui est économiquement contre-productive ?
Plus de redistribution, plus d’impôts : notre avenir est clair
L’incohérence économique de ces mesures en projet est telle qu’il ne faut pas les considérer indépendamment, mais dans notre contexte fiscal global. Leur absurdité apparente cache en fait l’accélération d’une tendance pluri-décennale : la redistribution à la française.
Le gouvernement fraichement réélu ne peut, pour maintenir sa crédibilité, revenir sur les baisses d’impôts promises. La trajectoire de baisse de l’impôt sur les sociétés (IS), premier levier de captation des bénéfices, ne peut être interrompue sans renier les engagements passés.
En revanche, considérer que de plus en plus de bénéfices sont des « surprofits », illégitimes, et dont la confiscation au bénéfice de l’Etat est une question de justice sociale, permet de taxer les entreprises bénéficiaires à un taux plus élevé que le taux marginal d’impôt sur les sociétés.
L’économie étant par nature cyclique, il y aura toujours, à un instant T, des secteurs d’activité qui auront le vent dans le dos. Secteur de la santé en période de pandémie ; construction en période de boom économique ; énergie en période de crise énergétique… Considérer que les années fastes conduisent à des produits illégitimes, cela revient de facto à créer une nouvelle tranche d’IS.
Le même constat peut être fait au niveau du chèque alimentaire. Selon les pistes évoquées à l’écriture de ces lignes, il devrait prendre la forme d’un virement bancaire effectué par la CAF ou les CCAS (centres communaux d’action sociale). Il s’agit donc d’un crédit d’impôts dont l’emploi pourra se faire à la discrétion des citoyens.
Ce coup de pouce, dont le volume global est estimé à 1 milliard d’euros, est donc de l’argent-hélicoptère à destination des 30% des ménages les moins aisés. Vous connaissez les conséquences macro-économique de ce type de mesure, dont nous avons l’habitude depuis la crise de 2008 : transfert de richesse des ménages imposés vers les bénéficiaires, hausse de pouvoir d’achat temporaire suivie d’une inflation touchant les produits achetés par ces ménages jusqu’à annulation des effets.
Distribuer de l’argent gratuit à une grande quantité d’acteurs économiques, c’est apporter un soulagement de courte durée et éroder d’autant la valeur de la monnaie.
Politiquement, les deux mesures évoquées aujourd’hui permettent d’affirmer sans sourciller que les impôts sur la production n’ont pas augmenté, et que le pouvoir d’achat des plus pauvres aura été protégé. Economiquement, elles représentent simplement un nouveau transfert de richesse dans notre pays déjà champion du monde de la redistribution.