La crise est révolue, affirment les autorités – tout en appliquant des politiques qui révèlent tout l’inverse.
Dans mon cadre analytique, la tendance à la baisse du taux de profit qui revient au capital occupe une place centrale.
Cette tendance est intrinsèque – c’est-à-dire qu’elle résulte, elle est déterminée par le système, par la logique du capital lui-même ; ce n’est pas un phénomène exogène. Cette tendance ne condamne pas le capitalisme… mais elle le rend fragile, enclin aux crises et donc aux perversions.
C’est la tendance à la baisse du taux de profit après le boom de la reconstruction d’après-guerre qui a produit l’inflation d’alors, puis la dérégulation financière qui a conduit à la financiarisation de nos économies.
En gros, pour lutter contre la tendance à la baisse de la profitabilité qui réduisait le dynamisme économique et érodait la croissance, on a dopé le système par la suppression des limites à la production de dettes et de crédit.
Le besoin de produire du pouvoir d’achat tombé du ciel a créé les organes, les outils, les institutions – mais aussi les théories correspondantes, comme la fameuse théorie des marchés efficients et les théories du risque.
Le crédit a été mis sur les marchés, donc soumis aux caprices des « esprits animaux », alors qu’il était en banque.
Les marchés se sont développés, les crises se sont multipliées – et avec elles, la doctrine de l’inflationnisme qui dit que tous les problèmes peuvent être traités par la production de toujours plus de signes monétaires.
L’inflationnisme débouche sur l’expansion sans limite des activités spéculatives.
Ces derniers jours, pour faire face à la crise des repos, on en a créé ou annoncé 3 000 Mds$ de plus.
Un fil conducteur… qu’on n’aura sans doute jamais
Parallèlement le système monétaire a évolué. De Bretton Woods I il est devenu Bretton Woods II, très sophistiqué. Le recyclage des déficits américains est devenu une activité à temps plein – surtout pour des banques comme la Deustche Bank… qui est désormais en train de crever dans son coin.
La tendance à la baisse de la profitabilité du capital ne peut être reconnue par les économistes, les hommes politiques et leurs larbins des médias car, si c’était le cas, elle éclairerait d’un jour nouveau toutes leurs actions.
La gestion des gouvernements deviendrait intelligible.
On aurait un fil conducteur, une vue d’ensemble.
Par exemple on comprendrait tout ce qu’ont fait Hollande et Macron au cours des dernières années, du CICE aux baisses d’impôts sur les entreprises en passant par l’austérité, les blocages des salaires et les baisses des salaires directs, indirects et différés.
Si un voile n’était pas jeté sur la question des profits, du taux de profit et leur caractère central dans la société, alors tout deviendrait clair : on saurait de quoi on parle et on poserait les bonnes questions.
On comprendrait également toute la politique de la Banque centrale européenne, la BCE qui réduit le coût des dettes et multiplie les financements gratuits… la BCE qui n’a rien compris à la vraie notion de coût du capital et qui croit qu’en baissant les taux elle baisse le coût du capital – alors qu’en réalité elle le fait monter !
La bonne question
La bonne question, celle qu’il ne faut surtout pas aborder, c’est celle-ci : face aux crises, face à tout ce qui dysfonctionne, face au chômage, face aux souffrances… est-ce que continuer dans ce système fondé sur le profit est une bonne chose ?
En clair, faut-il continuer à défendre le capitalisme ?
Vous savez que ma réponse personnelle est oui :
– on ne sait pas gérer une transition vers autre chose ;
– le capitalisme est un moment de l’Histoire et il n’a pas terminé sa mission civilisatrice. Il a encore des bienfaits à nous apporter en termes de production de richesses, même s’il les distribue mal ;
– beaucoup de dysfonctionnements sont produits par des dérives du capitalisme et non par le capitalisme lui-même ;
– enfin, je préfère un capital alloué par le marché et l’accumulation privée plutôt que par une nomenklatura toute-puissante qui nous referait le coup de l’Union Soviétique avec des Mélenchon, des Poutou ou des Besancenot.
En cette période, la tendance à l’érosion de la profitabilité du capital est considérablement aggravée par la hausse des Bourses – c’est-à-dire par l’inflation des prix des valeurs-capital.
Quand Arnault surpaie Tiffany de plusieurs milliards, il doit tout faire pour retrouver son argent. Il doit augmenter les profits de cette entreprise pour pouvoir considérer qu’il a fait une bonne affaire… et ceci aggrave la crise de la rareté du profit.
Perpétuation des zombies… et pire encore
Quand on fait monter les cours de la Bourse et quand on enfle les endettements, on oblige à la course au profit : il faut rentabiliser, il faut payer les agios et rembourser les dettes.
L’explosion du capital dit fictif produite par les politiques monétaires post-crise augmente le problème du profit. Elle exacerbe la concurrence pour le profit. Il y a trop de capitaux qui cherchent leur rendement, leur rentabilité, leur profit. C’est une question de vie ou de mort ; un capital qui ne rapporte pas assez meurt.
La politique des élites est une politique qui refuse la mort du capital dépassé, obsolète, excédentaire, inefficace, fictif, de poids mort.
Les économistes classiques se contentent de dire que les élites favorisent la perpétuation des zombies. C’est bien plus grave que cela, mais les zombies sont effectivement protégés au lieu d‘être détruits.
Pourquoi les élites s’obstinent-elles à protéger, à maintenir en vie le capital qui normalement ne devrait pas vivre, pas participer à la répartition du profit ?
Réponse : pour maintenir l’ordre social qui leur est favorable, par copinage. Les systèmes politiques sont tenus par le capital. Bernanke s’est vanté d’avoir sauvé le système – c’est-à-dire les capitalistes banquiers qui avaient failli !
Au plan intellectuel, cette loi économique interne au capitalisme, interne au système de la production pour le profit, ne se donne pas à voir. Elle est non sue, non dite, non enseignée dans les écoles. Pire, elle est dissimulée, car les comptabilités nationales se gardent bien de donner les moyens statistiques de la vérifier.
Comme je le dis souvent, le système ne fonctionne que parce qu’il est non-su, inconscient.
Mais il faut avoir lu Edgar Poe ou Jacques Lacan et savoir qu’il y a des choses, des réalités qui n’apparaissent jamais par elles-mêmes, uniquement par leur négation.
Un trou n’apparaît que par la plaque qui le dissimule. Ce qui dissimule quelque chose le révèle en même temps. Ainsi les médicaments que l’on prend contre la crise, les dettes, révèlent la crise alors même que les élites disent qu’il n’y en a plus.
En matière économique, c’est la même chose : le néo-libéralisme est le remède, le médicament qu’on prend pour lutter contre le mal terrible de l’insuffisance du profit. Le macronisme est une variante étatique, de copinage, du néo-libéralisme.
Des remèdes pires que le mal
Voici les remèdes, les médicaments qui révèlent le mal de l’insuffisance du profit dans le monde :
– la stagnation des salaires, c’est-à-dire l’augmentation du taux d’exploitation qui vise à redresser le profit ;
– la prédation impérialiste qui permet d’abaisser la composition organique du capital par l’exploitation d’une force de travail bon marché, par l’immigration et par la baisse du coût des matières premières ;
– l’accélération de la rotation du capital grâce à la publicité, au crédit, à la gestion des stocks pour compenser la baisse du taux de profit par l’augmentation de sa masse ;
– l’intervention de l’Etat par le biais des dépenses publiques, des subventions, des aides fiscales, et des dépenses d’armement ;
– la progression exponentielle du crédit et les taux nuls ou négatifs ;
– la progression des déficits budgétaires ;
– le développement des activités spéculatives ;
– la recherche de l’inflation pour euthanasier les promesses que l’on ne peut tenir.
Bien entendu, la liste – tout en étant copieuse – n’est pas limitative car l’imagination des élites est sans limite. Ainsi après avoir inventé les fausses monnaies-digits, ils ont inventé les taux d’intérêt négatifs !
Tout ceci constitue un arsenal qui peut reporter la crise, qui peut la différer… mais au prix d’une aggravation considérable car tous les déséquilibres augmentent inexorablement !
Si vous nous avez suivi, vous comprenez beaucoup de choses – en particulier cette loi paradoxale qui ne se donne à voir et à vérifier que par son contraire : la volonté de rehausser le profit malgré tout.
Vous comprenez notre certitude de la crise future, de cette crise amplifiée par les remèdes administrés pour la retarder.
Et vous comprenez aussi pourquoi nous défendons l’idée d’une euthanasie du capital excédentaire, surtout du capital fictif : la dépréciation du capital est le seul moyen, en mode capitaliste, de stopper l’érosion du profit et de restaurer, pour un temps, les conditions de la croissance !
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]