Et les grands perdants sont comme d’habitude les populations sacrifiées sur l’autel d’intérêts financiers et d’ambitions politiques.
Mardi dernier, le Sénat américain a approuvé une enveloppe de 95 Mds$ d’assistance militaire et économique, destinée à l’Ukraine, à Israël et à Taïwan.
La part du lion revient à Kiev avec 61 Mds$, mais cela ne fait que permettre la poursuite du conflit et la résistance de Kiev face aux troupes russes.
Mike Johnson, le chef républicain au Congrès qui a longtemps bloqué le texte, a fini par approuver le programme mis sur pied par Joe Biden, avec cette justification : « Je préfère envoyer des munitions à l’Ukraine qu’envoyer nos garçons se battre. »
En réalité, une grande partie de l’enveloppe servira à reconstituer les stocks de l’armée américaine (car ce qu’elle fournit à Kiev et à Tel-Aviv est prélevé sur le contenu de ses arsenaux), avec du matériel dernier cri. Les contrats de « remise à niveau des stocks » du Pentagone reviendront aux usines d’armement américaines.
Le « timing » du feu vert du Congrès ne doit probablement rien au hasard : il remonte au 20 avril, au lendemain d’une « riposte » israélienne à la riposte iranienne consécutive au bombardement du consulat iranien à Damas… en représailles du soutien supposé du Hezbollah au Hamas, qui n’a pas été formellement démontré (gardons-nous de toute naïveté face aux dénégations de Téhéran, mais les accusations d’Israël lui fournissent un bon prétexte pour passer outre les appels à l’apaisement des tensions des Etats-Unis).
C’est un fait : le Hamas n’a pas participé à la « riposte » iranienne du 14 avril, pas plus qu’il n’a intensifié ses tirs de roquettes le 19 avril.
Les 13 Mds$ octroyés à Israël les 20 avril représentent dix fois le budget de l’interception (Dôme de Fer + aviation) de l’attaque iranienne (drones + missiles) du 14 avril dernier : le contribuable américain et les élus républicains se retrouvaient dans une position difficilement soutenable face à la matérialité de la « menace iranienne » post-14 avril.
Mais le contribuable américain a-t-il été suffisamment informé que le projet d’attaque iranien avait été dévoilé 72H avant son exécution auprès de Washington, et fut soigneusement calibré pour « échouer » – ce qui fut le cas ?
Face à un « échec » aussi patent (la presse israélienne a littéralement moqué l’impuissance iranienne), la menace perdait de sa crédibilité.
De son côté, Washington appelait les deux parties à cesser l’escalade. Si les deux belligérants s’étaient empressés d’obtempérer, quel aurait été le « sentiment d’urgence » du Congrès ?
Dès le 15 avril, le général israélien Herzi Halevi douchait les espoirs de voir les tensions s’apaiser avec l’Iran, comme l’avait souhaité Joe Biden après l’attaque iranienne.
Il affirma que son pays allait « riposter », dont acte le 19 avril au matin, avec de fortes explosions reportées en périphérie d’Ispahan (une base militaire d’où avaient été tirés des drones le 14 avril aurait été visée) dans la nuit du 18 au 19 avril. Mais l’opération reportée par le témoignage concordant de médias locaux (repris par Al-Jazeera) fut couverte par un silence assez singulier des médias mainstream (aussi bien en Iran et en Israël qu’aux Etats-Unis et en Europe), comme si ordre avait été donné, de façon coordonnée et unanime, d’enterrer l’affaire.
En effet, les deux rivaux se sont empressés de minimiser l’événement, multipliant les fausses pistes pour désorienter les médias.
Israël s’abstenait comme à l’accoutumée de confirmer ou de démentir, l’Iran faisant semblant de ne rien avoir subi qui ressemble à une violation de son espace aérien et à un acte de guerre de la part d’une puissance étrangère ennemie.
Malgré la puissance des détonations entendues à des kilomètres à la ronde, le ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amir-Abdollahian, s’amusait même de « l’incident », qualifié de nature indéterminée.
« Il s’agissait de deux ou trois drones quadrirotor, ceux avec lesquels les enfants jouent en Iran », affirme-t-il dans d’une interview diffusée samedi sur la chaîne américaine NBC.
En réalité, les images satellites révèlent plusieurs cratères un radar de défense pulvérisé sur une base militaire des Gardiens de la Révolution… mais il aurait pu s’agir d’un simple exercice « domestique », rien ne prouve une intervention étrangère (rien de bien fâcheux en définitive).
Hossein Amir-Abdollahian indiqua qu’il n’y aura pas de représailles iraniennes à moins que ses « intérêts » ne soient visés (sous-entendant qu’ils ne l’avaient pas été, ce qui l’aurait contraint à reconnaître la grande vulnérabilité des systèmes de défense iraniens, réputés aussi étanches que le Dôme de Fer israélien).
Mais la majorité des membres du Congrès US n’ont pas pris en compte tous ces éléments et ont conclu que la situation restait très délétère (et elle le reste) au Proche-Orient, et qu’un risque d’escalade persistait.
Et en approuvant la fourniture d’arme à tous les belligérants sur tous les « points chauds » de la planète, il y a peu de chance que les conflits trouvent un règlement pas la voie diplomatique… de surcroît quand les gouvernements impliqués sont de plus en plus contestés en interne : « l’ennemi extérieur » reste l’une des meilleures martingales pour conserver le pouvoir, et la surenchère permanente, la condition d’une survie politique.
Une stratégie risquée, mais qui fait à coup sûr un grand gagnant (toujours le même en réalité) : le complexe militaro-industriel, lequel se porte à merveille en Bourse depuis deux ans et deux mois… et secondairement les « régimes en place ». Les grands perdants sont comme d’habitude les populations sacrifiées sur l’autel d’intérêts financiers et d’ambitions politiques.