La Chronique Agora

Les accords gagnant-perdant portent les germes de la guerre

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La guerre commerciale dégénère facilement en vraie guerre tout comme l’ascension d’une super puissance.

Les cloches se sont mises à sonner à précisément 11h, le 11ème jour du 11ème mois de l’année. Et les coquelicots ont commencé à tomber.

La cathédrale St Canice, à Kilkenny, a marqué la fin de la Grande Guerre en lançant des coquelicots de papier rouge, marqués du nom des soldats locaux, depuis le clocher vers la nef.

Pendant deux heures, les coquelicots sont ainsi tombés, un pour chaque jeune Irlandais mort à la guerre ; 35 000 en tout.

Ils furent tués par balles… gazés… ou réduits en lambeaux par les obus. Frères, maris, fils — et pères aussi. Environ 25 000 enfants irlandais ne revirent plus jamais leur père.

Nous étions à Kilkenny pour parler économie, ce qui nous a mené à la politique… et à la guerre.

La cérémonie de commémoration de la Première Guerre mondiale à Londres.
Chaque coquelicot symbolise un soldat tué (DR)

De la guerre commerciale à la guerre ouverte

L’économiste David McWilliams nous avait invité à participer au « Kilkenomics Festival ». Nous avons écrit tant de choses au sujet de la guerre commerciale de Trump que David a dû se dire que nous y connaissions quelque chose. Il nous a donc demandé d’intervenir durant un débat.

« Nous parlons là de deux choses différentes », avons-nous clarifié pour notre public. « Il y a une guerre commerciale, majoritairement factice. Et il y a la menace d’une vraie guerre, qu’une guerre commerciale peut effectivement causer ».

Nous avons expliqué notre point de vue. C’est M. Trump qui a le plus à perdre, dans une guerre commerciale contre la Chine. Sa réputation de créateur d’une économie forte… sa réputation de deal-maker costaud… les fortunes de ses principaux contributeurs, ainsi que sa propre fortune personnelle — toutes dépendent d’un accord avec les Chinois.

Il pourrait mettre la Chine à genoux, avons-nous expliqué, en bloquant les importations chinoises vers les Etats-Unis. Il ne profiterait de ce triomphe que pendant 10 secondes environ, cependant — le temps qu’il faudrait pour se rendre compte que le marché américain s’effondre.

Le président est peut-être un fanfaron qui ne connaît rien à pas mal de domaines, mais il sait parfaitement où sont ses intérêts. Il voudra revenir de sa réunion avec M. Xi, lors du sommet du G20 en Argentine à la fin du mois, avec une annonce de victoire, pas avec une double nécrologie — une pour « son » économie et l’autre pour sa carrière. 

Le piège de Thucydide ou quand les challengers vont en guerre

Mais attendez… ce n’est pas aussi simple que ça.

« Trump est avant tout un homme de spectacle », avons-nous dit à la foule. « Mais parfois, le spectacle vire en situations inattendues et fâcheuses.

« Le président ne fait peut-être que gesticuler à l’adresse de ses admirateurs, mais la Chine voit son avenir et son gagne-pain menacés. Il se pourrait qu’elle n’ait pas reçu l’info : ce n’est que de la poudre aux yeux. Elle ne voudra peut-être pas coller au scénario ou jouer son rôle pour les fans de Trump. Les choses pourraient très mal tourner ».

Les autres participants avaient de l’avance sur nous. Ils étaient d’avis que les choses ont déjà mal tourné.

« Cette guerre commerciale a déjà dépassé le commerce, et de loin », a dit Neil Howe, qui a développé une théorie sur le cycle générationnel dans la politique américaine. « On parle désormais de vol de la propriété intellectuelle et de transferts de technologie. C’est passé à la géopolitique et à l’ascension de la Chine en tant que grande puissance. Les Etats-Unis se sentent menacés. Ils sentent qu’ils perdent leur place dans le monde ».

Howe a cité le « piège de Thucydide », de Graham Allison. Le principe est simple : à mesure que les grandes puissances sont remises en questions par les puissances émergentes, cela mène à la guerre.

Selon l’historien grec Thucydide, c’est le désir des Spartes d’empêcher Athènes de prendre trop ses aises qui a causé la guerre du Péloponnèse.

Et nombre de personnes pensent que c’est l’ascension de l’Allemagne comme super-puissance au début du XXème siècle qui a poussé la France et l’Angleterre à se jeter dans la Première Guerre mondiale… et à punir l’Allemagne si durement après la guerre.

Hier marquait le 100ème anniversaire de la fin de la Première Guerre mondiale. Depuis 100 ans, les historiens tentent de trouver une explication plausible à la mort de 37 millions de personnes. Thucydide n’était probablement pas tombé très loin.

Impulsions contraires et danger des accords gagnant-perdant

L’Allemagne ne s’est jamais rendue. Elle a seulement signé un armistice.

Mais ensuite, avec ses ports bloqués, sa population affamée et ses ressources épuisées, elle a été forcée d’accepter la « culpabilité de la guerre » — quand bien même l’Allemagne n’était sans doute pas plus coupable que les autres participants au conflit.

L’Allemagne croulait également sous le fardeau des « réparations » qui handicapaient son économie. En 1921, lorsqu’elle fut incapable d’assurer ce paiement — en or, bien entendu –, les troupes françaises et belges vinrent occuper la vallée de la Ruhr.

Comme nous l’explorons de longue date, il y a deux impulsions principales dans les transactions humaines : gagnant-gagnant et gagnant-perdant. Soit on passe des accords volontaires, dans l’espoir que les deux parties sortent gagnantes. Soit on force un autre à perdre pour qu’on puisse « gagner ».

La majeure partie de la vie privée est basée sur le principe gagnant-gagnant (même s’il y a toujours des gens qui essaient de prendre de l’avance en faisant perdre les autres).

La vie publique, en revanche, est dominée par le gouvernement, qui est une entreprise gagnant-perdant, « eux contre nous ».

C’est dans la guerre que la notion de gagnant-perdant trouve son expression la plus dramatique. On ne peut pas gagner une guerre sans que d’autres perdent. Dans le cas de la Première Guerre mondiale, ce sont les 37 millions de cadavres mentionnés ci-dessus qui ont été les grands perdants.

Les accords gagnant-gagnant mènent souvent les participants à vouloir gagner à nouveau… c’est-à-dire passer plus d’accords (affaires, consommation, sexe… et ainsi de suite).

Les accords gagnant-perdant, en revanche, font que les participants cherchent la vengeance. Les 37 millions de perdants de la Première Guerre mondiale n’ont donc finalement été qu’un acompte sur la facture totale du XXème siècle.

Adolf Hitler était sur le coup. En 1921, il avait pris la tête du Parti national-socialiste des travailleurs allemands — le parti nazi — et il colportait déjà ses idioties eux-contre-nous, gagnant-perdant. « On nous a poignardés dans le dos », affirma-t-il. En 1945, 60 millions de personnes supplémentaires étaient venues s’ajouter à la liste des perdants.

A Kilkenny, le service religieux s’est achevé sur le Last Post joué à la trompette — le morceau que l’on jouait à la fin de la tuerie.

Le dernier coquelicot flotta ensuite jusqu’au sol… comme le dernier soldat tombant dans la boue des tranchées.

Le silence se fit dans l’église.

Puis, après une ou deux minutes de pause, un bébé se mit à pleurer.

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