La Chronique Agora

Comment la Bourse peut-elle redescendre sans chuter ?

Fed, inflation, krach, Ben Bernanke

Si les marchés perdent quelques dizaines de pourcents quand la Fed commence à remonter ses taux, la question devient désormais de savoir jusqu’où elle peut aller avant que l’emballement ne devienne irréversible.

Comme nous l’avons vu hier, Esther George, la présidente de la Federal Reserve Bank de Kansas City, a récemment reconnu que la politique monétaire se transmet par les marchés boursiers. Ces derniers ne sont donc pas un espace de découverte des prix des actifs, mais bien une sorte de banque… sans les limites qui peuvent exister dans le système bancaire.

Cette « révélation » de ce qui était resté non-dit jusqu’alors devrait s’accompagner de discussions sur le système mis en place il y a 40 ans avec la dérégulation. C’est le début du questionnement du cycle long.

Ce cycle long a touché ses limites ; nous avons pris l’escalier ou plutôt l’ascenseur, et personne ne sait comment redescendre sans se retrouver là où personne ne souhaite aller… soit la déflation en chaîne.

Le système est dissymétrique

Ce qui apparaît de plus en plus clairement – la crise étant un processus de prise de conscience – c’est que le système que nous avons mis en place ne peut pas supporter un vrai cycle ; il est dissymétrique.

Pourquoi est-il dissymétrique ? A cause des phénomènes de stocks, des inventaires comptables, et de la mémoire des bilans qui font que les aberrations de la montée du cycle sont consignées, gravées dans les bilans et dans les inventaires, et que détruire cela entraîne beaucoup de faillites.

L’ancien système était réversible et symétrique, et le système actuel qui fait gonfler les actifs et stocke ce gonflement dans les bilans est un obstacle à la régulation. Le système actuel est un aller simple, sans retour : on peut « check-in » mais pas « check-out ». C’est le capitaine qui a brûlé les vaisseaux.

On est passé d’une gestion par les flux bancaires à une gestion par les stocks patrimoniaux, ce qui signe l’impasse de la période.

L’inflation est trop élevée, donc les conditions financières doivent se durcir… mais la Fed ne sait pas jusqu’où aller… Cliquez ici pour lire la suite.

L’inflation est trop élevée et doit baisser. Les conditions financières doivent se durcir et les marchés financiers sont un mécanisme clé de transmission de la politique monétaire. Et la Fed aujourd’hui ne sait pas jusqu’où ce processus de resserrement devra aller, ni les destructions que cela doit et va opérer.

Depuis le dernier véritable cycle de resserrement en 1994, la Fed a perdu le contrôle, car un système nouveau s’est progressivement imposé, sans que qui que ce soit n’y réfléchisse. C’est le système lui-même qui a imposé sa logique, dès lors que l’on a libéré la création de dollars, libéré les esprits animaux et exaspéré l’appât généralisé du gain spéculatif.

Du savoir à l’inconscient

On est passé sans le savoir, d’un système fondé sur la conscience et le savoir, à un système fondé sur l’inconscient, les réflexes, les esprits animaux, les instincts. Régression considérable !

Ce n’est qu’au début des années 1990 que les conditions financières ont commencé à jouer un rôle aussi important dans l’élaboration des politiques. Greenspan a manipulé de manière agressive la courbe des taux (réduit les taux courts de 5 points de pourcentage en moins de deux ans à un creux de trois décennies de 3% en septembre 1992), créant un « carry trade » extraordinairement rentable (emprunter à court terme / prêter à long terme) pour sauver le système bancaire américain gravement affaibli.

L’histoire financière a été alors fondamentalement modifiée, car la politique de la Fed a créé d’énormes profits faciles pour la communauté naissante des spéculateurs à effet de levier. La chute des obligations de 1994 aurait constitué une menace existentielle pour l’industrie des fonds spéculatifs, si ce n’était du puissant soutien de liquidité par le biais des bilans d’entreprises que l’on a mené délibérément à l’insolvabilité.

Greenspan est devenu le démiurge, le maestro. Il a savouré l’incroyable pouvoir qu’il pouvait exercer sur le système de crédit, sur la liquidité du marché, sur les conditions financières et le développement économique. Il a cru au free lunch, à la Nouvelle Ere, au fameux « dorénavant ce ne sera plus jamais comme avant ! » et il nous a légué le TINA, c’est-à-dire le « il n’y a aucune alternative », l’impasse.

Le système de la Réserve fédérale a émergé du désendettement spéculatif aigu et de l’instabilité des marchés de 1994, avec une nouvelle doctrine pourrie et imbécile considérant qu’il fallait éviter les mesures politiques susceptibles de déclencher un resserrement risqué des conditions financières.

Depuis 1994, les cycles dits de « resserrement » ont été timides, avec la claire intention d’éviter les épisodes de désendettement.

Là où la pourriture est stockée

Entre 1994 et 2003, on a utilisé la fraude comptable à grande échelle : les actifs de certaines entreprises soutenues par l’Etat ont gonflé de 360% à la faveur de faux bilans. La fraude comptable ayant été découverte, la capacité de ces entreprises à garantir et alimenter la liquidité du marché a disparu, et c’est la Fed – et ses QE – qui a été obligée de gérer le chaos de 2008 lorsqu’il a fallu réduire les risques et procéder au désendettement par transfert de la pourriture sur La collectivité.

Pendant plus de 25 ans, la Fed a opéré sans se soucier d’une hausse rapide des prix à la consommation, car les conditions fondamentales étaient déflationnistes ; ce temps-là est révolu.

Le cycle a clairement changé. L’inflation des prix à la consommation est devenue un problème sérieux et une priorité de la politique monétaire.

Les forces inflationnistes sont structurelles : pénuries, offre inadaptée, rupture des chaînes d’approvisionnement et de montage, transition énergétique, fin de la mondialisation, préparation de la grande guerre, tensions sociales, etc.

Au fil du temps, l’objectif principal de la politique qui s’était déplacé pour veiller à ce que l’inflation du prix des actifs en plein essor se maintienne, cet objectif est devenu impossible, car il est incompatible avec le combat contre la hausse des prix des biens et services. Il y a télescopage entre le besoin de conditions financières souples pour soutenir la Bourse et l’économie, et le besoin de resserrer les mêmes conditions financières pour calmer les tensions inflationnistes.

Mais les vrais responsables, dans leur lâcheté prétentieuse, se tirent des flûtes et rejettent leur responsabilité !

CNBC nous informait ainsi récemment sur l’opinion de Bernanke :

« L’ancien président de la Réserve fédérale, Ben Bernanke, a déclaré que la banque centrale avait commis une erreur en attendant de résoudre un problème d’inflation qui est devenu le pire épisode de l’histoire financière américaine depuis le début des années 1980.

Bernanke, qui a guidé la Fed à travers la crise financière qui a explosé en 2008, et a présidé à une expansion sans précédent de la politique monétaire, a déclaré à CNBC que la question de savoir quand des mesures auraient dû être prises pour maîtriser l’inflation est ‘compliquée’.

‘La question est de savoir pourquoi ont-ils retardé cela. […] Pourquoi ont-ils retardé leur réponse ? Je pense rétrospectivement que oui, c’était une erreur’, a-t-il déclaré. ‘Et je pense qu’ils conviennent que c’était une erreur.’ »

Pourquoi la Fed a-t-elle tardé ? Parce qu’ils ont préféré miser sur une inflation transitoire, plutôt que de risquer la certitude d’une instabilité du marché déclenchée par le resserrement des conditions financières et l’éclatement des bulles de marché.

Ironiquement, c’est le même Bernanke qui a imposé la doctrine qui a conduit au drame actuel en juillet 2013 :

« Le président de la Réserve fédérale, Ben Bernanke, a déclaré […] que la banque centrale américaine pourrait devoir s’opposer si les finances les conditions venaient à se resserrer au point de menacer la progression de l’économie. ‘Si les conditions financières devaient se resserrer au point de compromettre la réalisation de nos objectifs d’inflation et d’emploi, nous devions alors nous y opposer’, a déclaré Bernanke. »

Ah les braves gens !

[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]

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