Entre l’état de ses propres finances, l’Ukraine en guerre, la Turquie au bord du chaos et l’Argentine qui bascule côté BRICS, l’Europe n’en a pas fini avec les problèmes économiques et géopolitiques…
Il y a toujours une bonne raison d’accumuler toujours plus de déficits : la Commission européenne a proposé lundi dernier (le 23 mai) d’autoriser les Etats membres à dépasser les plafonds de dette publique pendant une année supplémentaire, c’est-à-dire jusque fin 2023.
Après la pandémie de Covid-19, c’est maintenant la guerre en Ukraine qui motive cette décision qui enterre un peu plus les « critères de Maastricht ».
Nul ne conteste que les décisions de boycotter tout ce qui provient de la Russie alourdit notre facture énergétique, fait exploser le prix des céréales dans le monde (le blé a franchi jeudi dernier la barre psychologique des 400 $ la tonne)… et alimente les craintes d’émeutes de la faim dans les pays en voie de développement.
Des pays déjà au bord de l’effondrement
Le cas du Sri Lanka, victime de pénurie de carburant mais aussi de nourriture, fait figure de précurseur de ce qui menace les pays les plus endettés : comble de malchance, la plupart sont endettés en dollars, et cette devise progresse inexorablement depuis l’annonce d’un « quantitative tightening » par la Fed.
Plus près de nous, la Turquie apparait comme le pays à surveiller avec une attention très particulière : l’effondrement de la livre turque déclenche une ruée historique vers les « actifs tangibles » comme l’immobilier. Le cours de cette monnaie se retrouve en effet divisé par deux, à 16,4 pour 1 $ par rapport à la mi-septembre 2021, mais divisé par six depuis mai 2017 et par dix depuis mai 2012 – ce qui est la preuve que la débâcle ne date pas d’hier.
Les problèmes d’inflation dans ce pays avaient donc commencé bien avant le Covid, du fait de l’implication quelque peu singulière de Recep Tayyip Erdogan dans la gestion de la devise turque, ponctuée du limogeage à répétition des patrons de la banque centrale turque.
Erdogan a bien compris dès son accession au pouvoir quel bénéfice il pourrait tirer d’un soutien au secteur immobilier.
L’immobilier turc en difficulté
Il a au moins compris que la Chine pouvait piloter sa croissance et le pouvoir monnayer ses soutiens politiques en « arrosant » le secteur immobilier d’argent magique : cela crée des centaines de milliers d’emplois, cela donne l’illusion d’une activité économique florissante… mais construire des grands resorts touristiques c’est facile, les remplir ça l’est beaucoup moins, et ça devient mission impossible avec le Covid et les mesures sanitaires qui interdisent de franchir les frontières.
Comme l’essentiel de la croissance turque repose depuis deux décennies sur l’immobilier, Erdogan sait que le principal ennemi du secteur, c’est la hausse des taux. C’est pourquoi, face à une inflation galopante, il a imposé de les maintenir à la baisse, et ce en vertu des arguments de l’économiste américain Fisher, qui soutient que c’est la hausse des taux qui crée l’inflation.
Compte tenu du taux actuel de 75% qui sévit dans le pays et l’effondrement de la livre, Erdogan s’est finalement résolu à les laisser remonter… mais trop tard !
La Turquie, un pays de 90 millions d’habitants, se précipite donc droit dans le mur. Mais son statut de membre stratégique de l’Otan lui épargne toutes critiques sur sa gestion économique, les médias et le FMI ne cessant de stigmatiser l’Argentine… qui, à force d’être vilipendée, s’est rapprochée des « Brics », c’est-à-dire surtout de la Chine et de la Russie.
Brics… ou Barics ?
L’Argentine (483 Mds$ de PIB anticipé en 2022) se prépare à devenir membre à part entière des BRICS (et non comme simple observateur), avec le soutien de la Chine et de son voisin brésilien, sous l’impulsion de l’ex-président Lula da Silva (de quoi envenimer un peu plus les relations avec les Etats-Unis). Le président Fernandez vient d’être invité par le président Xi Jinping à participer à un sommet des cinq principaux dirigeants des BRICS le 24 juin.
Xi Jinping se rendra à son tour en Argentine, à l’invitation du président Alberto Fernandez qui avait accompli une visite officielle en Chine au mois de février.
Ce déplacement devrait sceller le basculement vers l’Asie et acter sa rupture économique avec les Etats Unis, même si le dollar constitue toujours la « devise bis » de l’Argentine (comme Bill Bonner l’explique régulièrement).
La banque centrale argentine a d’ailleurs renforcé sa position de réserves internationales auprès de son homologue chinoise, par le biais d’un accord d’échange de devises, et Pékin a promis en retour quelque 35 Mds$ pour des investissements dans les infrastructures.
Une spectaculaire accélération des liens économiques, alors que la Chine était déjà le deuxième partenaire commercial de l’Argentine (derrière le Brésil) avec près de 20 Mds$ d’échanges bilatéraux en 2021, soit 5% du PIB argentin (essentiellement via des exportations de denrées agricoles, soja et viande).
Et pour mieux comprendre encore cette intégration imminente au sein d’un ensemble qui devra désormais être rebaptisé Bricsa ou « Barisc », il faut souligner que la Chine soutient la revendication de souveraineté argentine sur les îles Falkland. Boris Johnson appréciera certainement ce soutien à sa juste valeur.
Entre l’état de ses propres finances, l’Ukraine en guerre, la Turquie au bord du chaos et l’Argentine qui bascule côté Brics, l’Europe n’en a pas fini avec les problèmes économiques et géopolitiques en 2022.