La Chronique Agora

Cap vers l’explosion du bilan des banques centrales

La politique monétaire ultra-souple explique l’envolée des cours boursiers… mais elle ne la justifie pas. Des mécanismes complexes sont en jeu et si on a des difficultés à les déchiffrer c’est parce qu’ils sont décalés dans le temps ; les causes et effets sont étalés sur plusieurs années.

Je vois de plus en plus souvent, en ce moment, affirmer que la politique monétaire justifie les valorisations élevées des Bourses.

La politique monétaire explique les valorisations élevées des Bourses, mais elle ne les justifie pas.

La valeur d’une action est la somme actualisée de tous les flux d’argent que la société aura versés à l’actionnaire… et ceci est indépendant des conditions monétaires et de la volonté de Jerome Powell à la Fed.

Si le taux d’actualisation/taux d’intérêt est bas, c’est parce que l’on s’attend à ce que la croissance économique et celle de la série des cash-flows à venir soient faibles, plus faibles que la croissance historique – et on démontre que ceci ne justifie aucune prime de valorisation par rapport au passé.

Au contraire.

N’oubliez pas, nous sommes en croissance séculaire durablement ralentie, c’est pour cela que les taux réels sont nuls.

La spéculation s’enrichit

Dire que les actions sont à leur prix, ce n’est rien d’autre que dire que les actions sont à leur prix… pour rapporter en réel, à ceux qui les auront conservées, zéro, comme les fonds d’Etat !

Mais entre-temps, la spéculation s’enrichit.

Dans un monde qui ne s’enrichit pas réellement, la valeur des actifs financiers ne peut progresser que si la part du capital augmente et si celle des salariés diminue.

Mais pour que la machine économique tourne, à moins de ne fabriquer que des biens d’équipement, il faut que les salariés aient un pouvoir d’achat suffisant. Autrement dit, la part des salariés baissant, il faut qu’ils s’endettent plus.

L’argument de ceux qui disent que les valorisations élevées se justifient par les marges plus élevées équivaut à dire qu’il faut sans cesse augmenter le ratio dettes/PIB.

Ce qui veut dire – présenté autrement – que dans un monde qui ne s’enrichit pas, pour que les actifs financiers puissent continuer à se valoriser, il faut impérativement produire toujours plus de dettes.

Il faut produire plus de dettes pour faire tourner la machine économique à crédit mais aussi pour fournir du pouvoir d’achat à ceux qui vont acheter les titres boursiers et les faire monter.

Multiplication et rapprochement des crises

La limite au processus est bien entendu celle que l’on pressent au fur et à mesure que les ratios de dettes explosent : l’excès de dettes, l’insolvabilité, la fragilité, l’instabilité.

C’est exactement tout ce que l’on voit depuis 40 ans et qui explique la multiplication et le rapprochement des crises. C’est ce qui explique aussi la crise en cours.

Les hausses boursières en période de stagnation ou de régression comme maintenant intègrent la production – et en même temps la tendance à la destruction future des dettes qui ont servi à les alimenter.

C’est une vérité d’évidence que beaucoup négligent quand ils déclarent : « Dorénavant ce ne sera plus jamais comme avant. »

Proclamer que ce ne sera plus jamais comme avant équivaut à dire que toujours on pourra augmenter la production de dettes… bref, que le crédit n’a aucune limite, même plus celle de la solvabilité.

Il suffit de réfléchir pour voir, considérant l’expérience en cours, le lien avec la taille du bilan de la banque centrale. Dire qu’il n’y a plus de limite au crédit et à l’accumulation de dettes est la même chose que dire qu’il n’y a aucun plafond à la taille du bilan de l’institut d’émission.

C’est le bilan de la banque centrale qui soutient la pyramide de dettes et la « garantit ».

En fait, c’est ce que l’on dit – tout en ne le disant pas – quand on prétend que les problèmes de solvabilité peuvent être traités par des injections de liquidités.

Exposé, explosé

La théorie moderne qui réduit les questions de solvabilité à des questions de liquidité admet sans le dire que le bilan de la banque centrale doit toujours être exposé… et finalement être explosé.

En fait, j’essaie de vous faire toucher du doigt un phénomène très peu perçu : il y a un rapport étroit entre la hausse des Bourses, la production de toujours plus de dettes et la nécessité de toujours gonfler la taille du bilan de la banque centrale.

C’est un système. Les trois éléments s’emboîtent.

Ce système c’est :

Hausse de la Bourse = hausse des dettes = hausse de la taille du bilan de la banque centrale.

Qu’est-ce que cela veut dire si on regarde cela de Sirius ? Cela veut dire que la hausse des Bourses est monétisée !

Monétisée de façon subreptice car décalée dans le temps et indirecte.

L’arrêt de la monétisation ne peut que provoquer la fin de la hausse : c’est ce que l’on a vu en 2017 et 2018.

Compte tenu de la fragilité systémique et aussi certainement compte tenu des rapports de force sociaux… cela implique une nouvelle vague de monétisation.

Ce que je veux faire comprendre ici, c’est que non seulement la hausse des Bourses est monétisée mais qu’en bout de course, elle oblige à détruire la monnaie.

La hausse des Bourses oblige aux dettes, lesquelles obligent aux sauvetages, lesquels obligent à la destruction de la monnaie. Le décalage dans le temps et les discours de la propagande masquent la réalité du phénomène.

Ce que j’explique est encore plus vrai alors que l’épidémie de Covid-19 fait des ravages et détruit nos systèmes économiques en profondeur.

Les Bourses montent parce que les dettes augmentent. Il faudra cependant qu’elles augmentent encore pour continuer la hausse… et qu’elles augmentent encore plus pour empêcher les dettes de se dévaloriser ; in fine, il faudra exploser le bilan des banques centrales.

Caressez un cercle, il devient vicieux.

[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]

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