La Chronique Agora

Ben Bernanke soigne l’alcoolisme du système financier à coup de QE2/soda

▪ Le marché se comporte comme un troupeau de moutons dans un jeu vidéo : ce sont des moutons virtuels, leurs mouvements sont issus de la modélisation de véritables animaux soumis à une série de stress.

Derrière le chaos apparent, il n’y a que des algorithmes qui reproduisent encore et encore les mêmes schémas prédéterminés, en fonction du déplacement du chien de berger. Ce dernier obéit aux sollicitations de celui qui tient le joystick, de la même façon que Super Mario évoluant dans un labyrinthe en tentant de glaner le maximum de points bonus.

En l’occurrence, la plupart des programmes de trading qui se contentent d’identifier les points de retournement d’un titre ou d’un indice se comportent comme les moutons décris en préambule.

Les chiens de berger sont pour leur part dotés de systèmes d’analyse et de réponse stratégique beaucoup plus sophistiqués ; leur temps de réaction est inférieur au 100 millième de seconde et ils ont la capacité de générer des dizaines de millions d’ordres à la minute. Voilà de quoi saturer les plates-formes de cotation les plus performantes.

Mais ce n’est pas le but du jeu… Il suffit d’avoir la capacité de faire perdre pied à quelques logiciels basiques pour générer des décalages de cours sans aucun lien avec une actualité quelconque, ni même la moindre cause identifiable.

Ensuite, il suffit de contrôler la réaction en chaîne puis de choisir le meilleur moment pour prendre les suiveurs à contre-pied.

Ces suiveurs n’ont par définition aucun avis sur la tendance, ni sur la conjoncture et encore moins sur la pertinence d’une prise de position à l’achat ou à la vente. C’est normal : les machines peuvent en générer des milliers à chaque seconde.

Elles sont malheureusement battues à plate couture par des super-ordinateurs quantiques qui travaillent sur des échelles de temps défiant l’imagination.

▪ C’est en grande partie pourquoi nous voyons surgir des pics de volatilité sans aucun lien avec le fil de l’actualité. Nous assistons, impuissants, à des mouvements de marché semblant tout droit sortis d’une cinquième dimension qui demeure inaccessible et constitue un défi permanent pour notre logique.

C’est pourquoi le CAC 40 peut prendre 50 points en quelques minutes puis stagner durant trois ou quatre heures au sein d’un corridor d’une poignée de points d’épaisseur. Une fois les moutons bien affolés, le chien de berger les ramène dans leur enclos puis maintient la porte fermée.

Peut-être que cela améliore la qualité de la laine, ce qui serait un atout majeur avant la tonte.

Car il s’agit bien de cela : tondre tous ceux qui se contentent de brouter l’herbe qui est droit devant eux (toujours suivre la tendance) sans lever le nez. A quoi bon perdre son temps à lire des dépêches économiques puisque le marché les aura déjà interprétées à sa façon et bien avant que vous ayez eu le temps d’en déchiffrer le titre sur votre écran.

C’est ainsi que les investisseurs ont fini par renoncer à s’en remettre à leur sens critique, lequel a besoin, pour s’exercer efficacement, d’un minimum de recul.

Supprimez cet indispensable temps de réflexion en imposant une dictature du réflexe en temps réel, et vous condamnez à une interminable impuissance tous ceux qui n’envisagent pas d’investir sans être capable d’expliquer leurs actes.

▪ La séance de lundi a prouvé que sur la base des mêmes informations déprimantes, le marché peut indifféremment nous jouer la partition du vent de panique ou des trois petits singes symbolisant les piliers de la sagesse (ils feignent d’être sourds, muets et aveugles).

Les marchés sont en effet capables de plonger la veille puis de stagner le lendemain, en donnant le sentiment que le déroulé du scénario aurait juste pu être l’inverse. Voilà qui résume bien les 48 premières heures de cette semaine.

La tendance s’est alourdie à la mi-séance à Wall Street. Les indices américains qui avaient plutôt bien résisté au trou d’air de lundi se sont retrouvés à leurs plus bas niveaux depuis un mois.

Mais il ne s’agit pas de l’un de ces accès de vulnérabilité qui préfigure une grosse correction. Wall Street s’en tirait ce mardi avec des pertes de 0,1% sur le S&P et de 0,2% sur le Dow ; le Nasdaq affichait un repli de 0,45%.

Le CAC 40 a repris laborieusement 0,25% à 3 917 points tout comme l’Euro-Stoxx 50. Si Wall Street avait affiché les mêmes dispositions vers 17h30 qu’à la clôture, la séance se serait achevée sur un score nul et chacun aurait pu feindre de croire qu’il ne s’était rien passé qui porte à conséquence.

▪ Sauf que Fitch a annoncé lundi soir avoir abaissé la perspective de notation de la Belgique, de stable à négative. Moody’s pourrait agir de même concernant les 14 principaux établissements financiers britanniques, compte tenu de l’incapacité du gouvernement anglais à les renflouer en cas de surgissement de nouvelles difficultés. La seule vraie question, c’est de savoir quand…

Chaque jour qui passe nous rapproche du moment où les Etats — autrement dit les contribuables — vont devoir payer l’addition.

Les marchés, qui savent que les Etats-Unis sont tout aussi insolvables que la Grèce ou l’Irlande, continuent d’user de la même vieille ficelle : « allez, un dernier verre pour la route ! Barman, remettez-nous ça ! ».

Le nom du barman, vous le connaissez, c’est l’inventeur du cocktail « QE2/soda » (le soda, c’est pour les bulles, naturellement). Ben Bernanke soigne l’alcoolisme du système financier en lui administrant une double dose de rhum-cola et de whisky frelaté.

C’est sa façon à lui de réussir la synthèse : les Etats-Unis du krach de 29 et de la Prohibition !

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile