La Chronique Agora

Banques centrales : le problème, quand on se prend pour Dieu… (1/2)

Seules parmi les institutions occidentales, les banques centrales semblent avoir gardé la confiance des investisseurs : cette confiance est-elle bien justifiée ?

Les institutions occidentales actuelles ont longtemps été considérées comme sacro-saintes. En réalité, les Etats-nations sont de plus en plus confrontés à de nombreuses critiques, voire à un profond ressentiment.

La confiance du public dans les institutions gouvernementales est proche de ses plus bas niveaux historiques et plusieurs grands piliers tels que les médias ou la démocratie souffrent également d’une érosion de la confiance qui leur est accordée.

Une institution contemporaine semble plus forte que jamais, cependant : les banques centrales. Bien que leur rôle ait considérablement évolué au cours des dernières décennies et que leur mandat ait été transgressé à plusieurs occasions, elles bénéficient toujours d’un niveau élevé de confiance de la part des experts financiers, des acteurs économiques et des investisseurs.

Une opinion globalement positive

Face à l’accroissement du risque de déclanchement d’une nouvelle crise, les capitaux cherchent refuge dans les obligations d’Etat et les placements monétaires à travers le monde entier, tandis que les banques centrales sont appelées à venir immédiatement à la rescousse.

C’est d’autant plus surprenant que les bilans des banques centrales ont déjà gonflé bien au-delà du raisonnable.

Alors que des économistes appartenant à toutes sortes d’écoles de pensée jugent d’un œil critique l’expansion excessive des bilans des banques centrales, l’opinion générale reste inchangée : les banques centrales n’ont pas d’autre alternative étant donné qu’elles sont les seuls agents économiques capables d’apaiser la tempête économique et financière actuelle.

De l’avis général, elles n’ont aucune autre solution que d’intervenir et de laisser gonfler leurs bilans.

Est-ce bien vrai ?

De l’eau, de l’huile et le Mordor

De fait, les banques centrales n’ont jamais eu un champ d’intervention et une influence aussi grande. Alors qu’elles ne jouaient initialement qu’un rôle de prêteur en dernier ressort pour les banques, elles ont muté pour également devenir courtier en dernier ressort pour toutes sortes d’institutions financières opaques qui ne sont pas soumises aux réglementations bancaires officielles.

A présent, la Fed ainsi que d’autres banques centrales à travers le monde doivent veiller à la stabilité de l’ensemble du système financier en répondant aux besoins en liquidités de ces institutions financières opaques, en dépit du fait qu’elles se sont développées en dehors de toute supervision des banques centrales.

De nombreux partisans de cette politique affirment que l’action des banques centrales est comparable à celle de pompiers intervenant pour éteindre un incendie. Et que, comme l’a déclaré le gouverneur de la Banque du Canada : « Un pompier n’a jamais été critiqué pour avoir utilisé trop d’eau. »

A l’opposé, il y a ceux qui affirment que les banques centrales ont confondu l’huile avec de l’eau et n’ont fait qu’aggraver l’incendie dans lequel elles se sont précipitées. Certains considèrent même que les banques centrales sont à la racine de tous les maux et les représentent comme étant le Mordor du monde financier.

Aux yeux de ces critiques radicaux, non seulement les banques centrales sont les véritables responsables des crises financières contemporaines, mais en plus, leurs bandes d’économistes et de technocrates formés par le gouvernement ne sont que des lemmings ignorants au service de l’élite financière plutôt que de l’économie dans son ensemble.

Le combat entre ces deux camps opposés s’intensifie, en particulier sur les réseaux sociaux tels que Twitter. Bien que la Banque centrale européenne (BCE) tente de séduire le grand public par le biais des outils digitaux modernes afin d’atténuer son image d’institution trop élitiste, distante et antidémocratique, son fil Twitter reste rempli de commentaires critiques de la part de détracteurs et de trolls.

On n’essaie même plus…

Au milieu de tous ces débats, voici le message que je veux faire passer : les banquiers centraux sont des personnes hautement compétentes. Ils devraient avoir notre plus grand respect pour assumer la tâche de gérer notre économie. Ce n’est pas un problème personnel, mais systémique : ils sont chargés de mesurer une chose qui ne peut être mesurée.

Notre économie, comme tant d’autres choses dans la vie, est une organisation complexe et en constante mutation. Il est impossible de connaître l’ensemble des variables qui entrent en jeu – et même s’il était possible de les connaître à un instant t, en raison de la nature adaptative du système économique, les variables changent constamment de façon imprévisible, rendant une mesure précise des phénomènes économiques pratiquement impossible.

Peter Drucker avait ainsi parfaitement décrit la situation d’un banquier central : « Vous ne pouvez pas gérer ce que vous ne pouvez pas mesurer. »

En dépit de cela, les banques centrales sont chargées de la gestion de notre économie et du système financier. Qu’il leur soit par définition impossible d’assurer cette gestion est une chose. Mais qu’elles n’essayent apparemment même pas de le faire, c’est encore autre chose, comme nous le verrons dès demain.

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