La Chronique Agora

Banques centrales : le problème, quand on se prend pour Dieu… (2/2)

La gestion de l’inflation par les banques centrales n’est ni cohérente, ni efficace – et maintenant, elles parlent de créer leurs propres cryptomonnaies…

Comment gérer ce que l’on ne peut mesurer, nous demandions-nous hier ? Prenons l’inflation, par exemple, l’une des responsabilités des banques centrales.

Conformément à leurs modèles économétriques, les banques centrales continuent obstinément de s’en tenir à un indice des prix à la consommation (IPC) basé sur une moyenne pondérée des prix d’un panier de biens et de services de consommation courante, tels que le transport, la nourriture et les soins médicaux.

Cependant, en se focalisant uniquement sur les prix à la consommation, cet indice exclut complètement l’inflation des prix des actions, des obligations, de l’immobilier ou de tout autre actif financier. Un choix plutôt étrange, étant donné qu’il réduit les gens à des employés qui n’auraient aucune volonté de posséder des actifs productifs au sein du système économique.

Toute personne en contact avec le monde réel sait bien que cela n’a rien à voir avec la vérité. Les gens n’épargnent pas leur argent dans le but de pouvoir acheter une banane à un prix stable à l’épicerie du coin, mais dans l’espoir de pouvoir s’offrir un jour leur propre maison.

Or le prix des maisons n’est actuellement pas intégré dans les instruments de mesure de l’inflation. Si c’était le cas, le taux d’inflation qui devrait être officiellement annoncé serait beaucoup plus élevé.

De quoi faire naître quelques soupçons…

Où sont mes clés ?

Considérant le fait que les banques centrales n’ont cessé de fermer les yeux sur l’inflation des prix des actifs dans leurs calculs de l’inflation globale, on ne peut pas s’empêcher de soupçonner qu’en réalité, elles n’essaient même pas de produire des statistiques qui se rapprochent de la vérité.

Cela me fait penser à l’histoire de cette personne qui recherche ses clés de voiture la nuit sous la lumière d’un réverbère. Lorsqu’un inconnu de passage lui demanda si les clés de la voiture avaient vraiment été perdues à cet endroit précis, la personne lui répondit que non. Lorsque l’inconnu, interloqué, lui demanda alors pourquoi il s’obstinait à chercher ses clefs à cet endroit, il lui répondit : « Eh bien, parce qu’il y a de la lumière. »

Le niveau élevé de l’inflation des prix des actifs que nous constatons depuis quelques décennies est la conséquence d’une expansion considérable de la masse monétaire. En 1971, les Etats-Unis ont abandonné l’étalon-or, déclenchant une guerre des changes avec les autres monnaies fiduciaires.

A partir de cette période, plus aucune devise émise par les banques centrales n’était liée à l’or. En 1983, sous la présidence de Volcker, les Etats-Unis ont franchi une autre étape décisive. La Fed a cessé de fixer un objectif de croissance de la masse monétaire. A la place, elle a décidé de fixer un taux d’intérêt cible.

Ce faisant, la banque centrale américaine a commencé à fixer un taux d’intérêt directeur et elle a abandonné le contrôle de la masse monétaire.

L’arrivée de la finance fantôme

Les clés du royaume ont de la sorte été données à des institutions financières privées qui ont commencé à déterminer elles-mêmes le niveau de la masse monétaire, ce qui a entraîné une énorme expansion monétaire par le biais de la finance fantôme.

Ainsi, alors que les mécanismes rétroactifs étaient encore quasiment intacts au cours des années qui ont suivi la fin de la convertibilité du dollar en or, lorsque les banques centrales fixaient encore un objectif de croissance de la masse monétaire, les banques centrales (à commencer par la Fed) ont remarqué à partir de 1983 que l’efficacité de bon nombre de leurs outils de politique monétaire semblait s’amenuiser de plus en plus.

Etant donné que les banques centrales ont cessé de fixer une cible de croissance de la masse monétaire, elles ont été incapables de se rendre compte de l’expansion considérable de la masse monétaire qui s’est produite par le biais des institutions financières privées.

Ce n’est que progressivement que les économistes ont reconnu que mesurer la masse monétaire par le biais d’indicateurs tels que la M0, M1, M2 et M3 était insuffisant, étant donné que cela laisse de côté les nombreux titres et actifs qui ont acquis au fil des années un caractère d’instrument monétaire.

Illusion de compétence

Il est particulièrement frappant de constater que le développement de la finance fantôme et la transformation des valeurs mobilières en instruments monétaires sont restés depuis longtemps en dehors du radar des banques centrales. Cela montre une fois de plus que le problème des banques centrales est véritablement systémique.

Comme nous l’avons vu, elles sont chargées d’une tâche impossible : prévoir, mesurer et gérer l’économie. Mais elles ne peuvent que jouer à Dieu tout-puissant et essayer de maintenir l’illusion de leur compétence. Une fois de plus, les banques centrales pourraient passer à côté d’une nouvelle déclinaison de la finance fantôme, l’émergence de l’industrie du cryptodollar.

Les banques centrales, qui ont encore l’illusion de pouvoir mesurer et gérer une économie en pleine crise, devront être comprises pour ce qu’elles sont de plus en plus : des organismes de financement de l’économie et des marchés financiers.

Avec le déploiement des mesures dites d’urgence qui visent à contrer les perturbations économiques provoquées par le Covid-19, les banques centrales ont encore resserré leur emprise sur l’économie. Jamais auparavant elles n’avaient acheté autant d’actifs, pour des sommes aussi importantes et de qualité aussi variée.

Comprendre et définir le mandat des banques centrales de cette manière risque d’être particulièrement inconfortable pour de nombreux économistes, mais ce serait également plus proche de la vérité.

Ce n’est peut-être pas le seul aspect du rôle des banques centrales par rapport auquel les économistes devront réviser à contrecœur leur vision des choses. Avec la publication de son dernier rapport, déjà largement commenté, concernant le projet d’un nouvel euro numérique, la BCE semble avoir véritablement lancé la course à la création d’une MNBC (monnaie numérique de banque centrale).

Bien que les banques centrales occidentales aient explicitement déclaré que leur MNBC ne devra pas être un outil de contrôle et de surveillance, à en juger par leurs antécédents, nous ferions mieux de rester méfiants.

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