La Chronique Agora

La logique de l’absurde : les causes possibles des taux d’intérêt négatifs

Le taux d’intérêt est l’élément de régulation économique le plus important depuis l’apparition de l’économie d’échange ; il a deux limites :

– Une limite basse, celle qui est telle que l’épargnant ne perde pas en prêtant son argent.
– Une limite haute, celle qui permet à l’entreprise d’emprunter et d’investir avec profit. Cette limite supérieure n’est rien d’autre que le taux de rentabilité du capital investi.

 

La situation de taux d’intérêts négatifs est une négation de l’économie moderne

Aujourd’hui, la situation de taux d’intérêts négatifs est une négation de l’économie moderne. Elle ne devrait se rencontrer que dans des économies ou il n’y a pas d’instrument de réserve, de conservation des biens — donc dans des économies où la monnaie et la sécurité des dépôts n’existent pas.

On conçoit parfaitement qu’un pêcheur puisse accepter de prêter 10 poissons aujourd’hui quitte à n’en recevoir que neuf, ou huit, ou sept… voire moins car il n’a pas forcément les moyens de conserver le surplus de 10 poissons au-delà d’un certain temps. Mais pour la monnaie, dont le prix est le taux d’intérêt, on ne devrait pas pouvoir imaginer de prêter 100 unités monétaires et de n’en recevoir que 99,50 au bout d’une certaine période prédéterminée.

▪ Pourquoi cette absurdité ?
Nous pouvons recenser quatre types d’explications.

1/ La politique monétaire de certaines banques centrales
En septembre 2014, la BCE avait réduit de 10 bp (0,1%) l’ensemble de la gamme des taux directeurs :
– Le taux principal, celui auquel empruntent les banques auprès de la BCE (appelé encore taux REFI) de 0,15% à 0,05%.
– Le taux plancher (ou taux de dépôt), c’est-à-dire la rémunération de l’argent déposé par les banques de -0,10% à -0,20% ; ce qui veut dire que les banques sont punies si elles déposent de l’argent à la BCE au lieu de se prêter entre elles.
– Et le taux plafond de 0,40% à 0,30% (taux plafond utilisé par les banques si leurs besoins de financement n’ont pas pu être intégralement couverts par les opérations normales de refinancement).

C’est justement ce taux plancher qui a institutionnalisé les taux négatifs sur le marché monétaire.

Une telle situation est supposée inciter les banques à ne pas laisser de cash à la banque centrale — puisque cela leur coûte — mais plutôt à prêter au secteur privé de la Zone euro.

La fixation de taux directeurs en territoire négatif a aussi pour objectif d’affaiblir la monnaie et de relancer les anticipations d’inflation officielle. Les banques centrales danoise et suisse ont suivi la BCE en fixant un taux directeur négatif. La Nationalbanken danoise et la SNB (Swiss National Bank) souhaitaient réduire le différentiel de taux d’intérêt avec la Zone euro. En effet, pour abriter du liquide, les détenteurs d’euro achetaient du franc suisse ou de la couronne danoise, ce qui faisait monter ces monnaies.

Pour la SNB, la pratique des taux directeurs très négatifs fut rendue d’autant plus nécessaire qu’il fallait essayer de compenser la rupture du cours plancher de l’EUR/CHF qui avait conduit, le 15 janvier dernier, à une hausse d’environ 30% du franc suisse face à l’euro. La SNB a riposté en abaissant son taux de rémunération des dépôts à -0,75%.

Si vous payez 0,20% pour qu’on vous garde de l’argent mais que les prix baissent de 1%, vous avez gagné 0,80% de pouvoir d’achat

2/ La déflation ou baisse des prix, mais de quoi ?
En période de déflation, même avec des taux nominaux négatifs, les taux d’intérêt réels peuvent rester positifs. Un taux nominal à -0,20% avec un taux d’inflation (baisse de prix) de -1% va correspondre à un taux réel de +0,80%. Si vous payez 0,20% pour qu’on vous garde de l’argent mais que les prix baissent de 1%, vous avez gagné 0,80% de pouvoir d’achat.

Des spéculateurs vont acheter des actifs à rendement négatif parce qu’ils anticipent des rendements futurs encore plus négatifs (déflation des actifs financiers) et donc des plus-values potentielles.

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Des investisseurs — banques ou assureurs — réglementairement « condamnés » à réinvestir une partie importante de leurs liquidités sur le marché des titres d’Etat anticipent cependant de l’inflation (hausse des prix à la consommation).

S’ils pensent que l’inflation moyenne sur les 10 prochaines années sera largement au-dessus de l’inflation anticipée par les marchés, par exemple au-dessus de 2% (ce qui n’est quand même pas particulièrement spectaculaire), cela signifie que l’écart de rendement entre une obligation à 10 ans et une obligation indexée sur l’inflation à 10 ans doit être positif et supérieur à 2%.

Or ce n’est pas le cas, même si ces investisseurs anticipent plutôt une inflation en dessous de 2%, elle reste positive.

– Sur une maturité de sept ans : le taux de rendement actuariel de l’OAT de référence évolue aujourd’hui autour de 0,15% tandis que le taux de rendement réel de l’OAT indexée sur l’inflation ressort à -1,20%.
– Sur une maturité de 10 ans : le taux de rendement actuariel de l’OAT de référence évolue aujourd’hui autour de 0,35% tandis que le taux de rendement réel de l’OAT indexée sur l’inflation ressort à -1,05%.

Ceci signifie que les investisseurs qui acceptent de payer pour détenir ces obligations indexées anticipent — à tort ou à raison — une faible inflation sur la période, mais pas de déflation.

Si les taux longs réels ne baissent plus, il faut s’attendre à un violent réajustement à la hausse des taux longs nominaux

Si les taux longs réels ne baissent plus (et psychologiquement, il devient extrêmement difficile d’investir à des niveaux de taux très négatifs), il faut s’attendre à un violent réajustement à la hausse des taux longs nominaux. Interviendra-t-il avant septembre 2016, date de la fin officielle du QE de la BCE ? Le mouvement obligataire que l’on observe est-il un signe précurseur ? Le système bancaire ne pourrait supporter une hausse violente et durable des taux longs et il faudrait un QE2, alors même que le QE1 ne fait que commencer.

3/ Une montée des risques
Certains investisseurs institutionnels sont prêts à investir avec un taux de rendement actuariel négatif sur des actifs financiers jugés, à tort ou à raison, « sûrs » (certaines dettes d’Etat notamment) pour se prémunir d’un cataclysme financier.

4/ L’effet pervers de la réglementation
La mise en place du ratio de liquidité LCR (pour liquidity coverage ratio) dans les banques les pousse à se renforcer en titres d’Etat notés entre AAA et AA- (auto-entretenant la bulle spéculative sur les obligations d’état, bulle renforcée en 2015 avec les programmes de rachats d’actifs de la BCE). Le cash déposé à la Banque centrale européenne (BCE) au taux de rémunération en vigueur (taux négatif à -0,20% comme nous l’avons vu plus haut) est lui aussi éligible à la réserve d’actifs liquides.

▪ Et l’économie réelle ?
Aujourd’hui, la BCE vient de s’affranchir de la contrainte de taux d’intérêt positifs. Cette contrainte était considérée comme normale en raison tout simplement de l’existence des pièces et billets, rémunérés par définition à 0%.

Pour que les taux négatifs s’installent, il faudrait supprimer purement et simplement les pièces et billets et les remplacer par de la monnaie électronique.

En effet, si pièces et billets continuent à exister et que les taux d’intérêt restaient durablement négatifs, les épargnants finiraient par laisser toute leur épargne liquide en billets.

Ce serait la fin de l’intermédiation traditionnelle des banques (dépôts à vue, certificats de dépôts bancaires des épargnants transformés en prêts aux entreprises ou aux ménages) ou même des financements dit désintermédiés (livrets, OPCVM monétaires des épargnants transformés en prêts de trésorerie).

 

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