La Chronique Agora

6 666 points sur le S&P 500 : simple hasard ou avertissement ?

satan in hell on his throne

Le S&P 500 a atteint 6 666,66 points ce vendredi, un sommet aussi marquant que l’était son plancher historique à 666 points en mars 2009. Cette coïncidence s’accompagne d’autres événements symboliques : des flux records d’investisseurs particuliers, un déficit américain qui explose et la Banque du Japon qui amorce un désengagement après 20 ans d’achats nets.

C’était aussi inéluctable que symbolique : je vous laisse évaluer ce que le passage d’un plancher historique de 666 points le 6 mars 2009 à un zénith de 6 666,66 points ce 19 septembre à 21h27 doit au hasard concernant le S&P 500.

La multiplication par dix en 16 ans et 6 mois constitue elle aussi un exploit étourdissant, mais qui paraît presque téléguidé depuis le franchissement des 6 100 points le 24 juin dernier, à seulement 48h du coup d’envoi du troisième trimestre.

L’indice aligne dix semaines de hausse sur treize, pour deux de repli et une de consolidation à l’horizontale. Mais il y a plus spectaculaire encore : un total de 27 records en 63 séances (soit un nouveau zénith presque une séance sur deux), et aucun retracement de plus de 2 % dans l’intervalle.

La capitalisation des dix plus grosses pondérations du S&P 500 représente 41 % de l’indice, celle des « Magnificent Seven » a également atteint un nouveau record de 35 %, les quatre à plus de 3 000 Mds$ représentant à elles seules 28 %.

Sur 500 actions, seules dix ont fait progresser l’indice au cours du troisième trimestre. L’une d’entre elles a franchi le cap des 4 000 Mds$ de capitalisation, puis celui des 4 400 Mds$ – soit l’équivalent du Nikkei au Japon.

Autre record totalement hors norme : les investisseurs individuels (retail) ont acheté environ 28 Mds$ d’actions américaines du 8 au 19 septembre, bien au-dessus de la moyenne 2021-2024. En avril, un précédent record avait été battu : 33 Mds$ d’achats nets sur le mois, soit 1,8 Md$/jour – seulement 1 Md$ de plus que ces dix derniers jours.

Alors que le mantra de la baisse des taux a été cité à chaque nouveau record de Wall Street cet été, le 30 ans US ne s’est détendu que de 8 points de base, de 4,84 % vers 4,76 % (en ce 19 septembre), alors que les anticipations de baisses de taux sont passées de 1 à 3 d’ici la fin de l’année, plus +2 à 3 assouplissements en 2026, pour un objectif final de taux « neutre » à 3 %.

Autrement dit, aussi bien d’un point de vue « prime de risque » que « d’expansion des multiples », nous venons d’observer le plus improbable funiculaire haussier qu’ait emprunté Wall Street depuis le rallye survenu du 30 septembre 2019 au 10 février 2020.

Il avait été provoqué par l’amorce d’un cycle d’injection de liquidités par la Fed sur le marché interbancaire (suite à un gros incident de contrepartie chez un spécialiste du clearing). Jerome Powell initia un QE qui ne disait pas son nom, mais qui deviendra une stratégie officielle et assumée de « all-in » monétaire à partir de fin mars 2020.

Jamais dans l’histoire économique il ne fut injecté autant de liquidités dans les marchés qu’entre septembre 2019 (opérations au jour le jour, restées « techniques » et officieuses durant six mois) et décembre 2021 (avec le fameux « quoi qu’il en coûte » + chèques fédéraux).

Et jusqu’en mars 2024, instruit de l’épisode inflationniste d’avril 2021 à décembre 2022, il était de bon ton d’affirmer que l’on ne verrait pas la Fed prendre le risque de participer à un cycle de création monétaire de +2 000 Mds$ comme durant la « covido-folie » de 2020/2021.

Alors que la barre des 37 500 Mds$ de dette fédérale vient d’être franchie – en même temps que celle des 24 600 points par le NASDAQ – le déficit américain pour l’année fiscale 2025 va dépasser la barre symbolique des 2 000 Mds$. Le déficit mensuel des États-Unis a dépassé les 345 Mds$ au mois d’août, soit davantage que le pire score jamais observé durant les confinements COVID.

Les recettes douanières records (350 Mds$/an) dont se félicite Donald Trump – c’est autant de pouvoir d’achat en moins pour les consommateurs – ne contribuent qu’à réduire d’environ 10 % le déficit US. Au rythme actuel (+1 600 Mds$ en six mois), un déficit de 2 700 Mds$ à 3 000 Mds$ se profile pour les États-Unis en 2026… le haut de fourchette étant très proche du PIB de la France.

Voilà qui peut expliquer la remontée du 30 ans US au-delà des 4,75 %. Mais dans ce cas, comment les émissions du secteur privé peuvent-elles continuer de se détendre ?

L’écart entre les obligations d’entreprises américaines de haute qualité et les T-Bonds a chuté à 0,74 point de pourcentage, son plus bas niveau depuis la fin des années 1990. Jamais une vision aussi idyllique de l’avenir des entreprises n’a été intégrée dans les cours des émissions corporate.

Face à cette « complaisance » de Wall Street devant l’Himalaya de dettes publiques et privées – sans oublier un encours record de 1 100 Mds$ d’actions et d’options à crédit – la ruée vers l’or se poursuit.

Jefferies vient d’ailleurs de relever son objectif de prix à 6 700 $/once, tandis que d’autres banques relèvent leur cible entre 4 000 $ et 5 500 $. Morgan Stanley annonce un tournant majeur en modifiant la répartition de son portefeuille pour inclure désormais 20 % d’or, au détriment des instruments obligataires réduits à 20 %… sans réduire la poche de 60 % d’actions, malgré leur surévaluation sans précédent.

Et les plus grands « asset managers » indiquent que leur poche de liquidités (celle qui peut servir à « acheter les creux ») est tombée sous le seuil des 4 %, pour la troisième fois en 50 ans. Les deux fois précédentes (mars 2000 et novembre 2007), cela s’est très mal terminé !

Autre événement tout aussi inédit que surprenant : la Banque du Japon, qui détient actuellement 508 Mds$ d’ETF japonais (250 Mds$ selon leur valeur d’acquisition). La BoJ détient environ 7 % de toutes les actions japonaises, ce qui en fait le principal investisseur individuel sur le marché boursier japonais.

Ce vendredi 19 septembre, la Banque du Japon a annoncé qu’elle commencerait à vendre son stock d’actions à un rythme de 4,2 Mds$ par an.

Rassurez-vous, à ce rythme, il lui faudra plus de 120 ans pour tout écouler… mais cela fait 20 ans que la BoJ était systématiquement acheteuse nette.

Et tout comme les 6 666 points du S&P 500, ou les visas de travail à 100 000 $ de Trump visant à freiner l’afflux d’ingénieurs indiens dans la Silicon Valley, l’annonce de la BoJ revêt un aspect hautement symbolique… Ces trois « headlines » se succédant à quelques heures d’intervalle, le vendredi des Quatre sorcières, c’est sans précédent !

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