Pour que le système « tienne » les élites doivent feindre l’omniscience et promettre toujours plus. Et tant pis si les théories sur lesquelles elles basent leurs décisions sont fausses, désormais…
Les démiurges pensent faux.
Ils pensent faux car dans ce monde post-démocratique, les élites doivent faire croire aux peuples qu’elles sont omniscientes – comme Macron par exemple –, qu’elles ont tous les pouvoirs et qu’elles ont des solutions à tout…
… Y compris aux problèmes qu’elles ont-elles-mêmes créés.
Il faut, pour que le système « tienne » que les élites promettent. Il faut qu’elles promettent afin de faire tenir tranquille. Donc elles doivent jouer les Prométhée, les illusionnistes. Elles doivent sans cesse voler le feu aux dieux. Voler le feu, c’est voler l’infini, voler l’éternité. Mettre du continu sur le discontinu.
Parmi leurs tours de passe-passe, il en est un qui a leur faveur : mettre du continu sur du discontinu, prétendre que le monde est linéaire, dérivable, et que jamais il n’y a de rupture.
Les ruptures, quand il y en a, sont rejetées hors de l’intelligible comme venues de l’extérieur , comme cygnes noirs, comme la faute à pas de chance. La réalité est que tout est endogène et créé par l’homme – comme les crises, comme leurs crises à répétition.
Un monde nouveau
Il est donc faux de dire que les taux d’intérêts nuls puis négatifs sont le simple prolongement des anciennes baisses des taux : c’est un monde nouveau, inconnu, insoupçonné qui s’ouvre quand on franchit la limite du zéro.
Il est faux de dire que les achats de titres à long terme sont la continuité des politiques antérieures et que le contrôle des taux longs n’est guère différent des politiques de taux courts administrés.
Il est faux de dire que promettre des taux durablement nuls, c’est la même chose que pratiquer une politique de transparence et de communication.
Il est faux de dire que les indices boursiers ne sont pas bullaires parce que les taux d’intérêts sont nuls… puisque cela n’a rien à voir. Une action n’est ni une obligation ni un actif strictement monétaire ou financier : c’est l’articulation avec le réel de l’activité économique.
De dérivable en dérivable, le système a changé de nature. Les lois d’avant ne marchent plus : ainsi…
… La courbe de Phillips ne veut plus rien dire…
… Les baisses de taux et les stimulations ne stimulent plus rien et ne font que gonfler les Bourses…
… Les productions/créations de valeurs accrues ne créent plus de nouvelles richesses, elles ne font que gonfler les anciennes fortunes…
… Le monétarisme à la Friedman est mort, nul et non avenu. L’inflation n’est plus un phénomène monétaire.
… Le surendettement à la Minsky ne produit plus de faillites – seulement des besoins de nouvelles liquidités.
Et ainsi de suite…
Un changement fondamental
L’assouplissement quantitatif (QE) a fondamentalement changé la finance. Ce qui a commencé à la Réserve fédérale avec une bulle de financement post-hypothécaire, l’opération d’achat de bons du Trésor US à hauteur de 1 000 Mds$, s’est transformé en achats ouverts de bons du Trésor, de MBS, d’obligations de sociétés et même d’ETF de sociétés détenant des obligations « pourries » à haut rendement.
Les marchés supposent que ce n’est qu’une question de temps avant que la Réserve fédérale ajoute des actions à sa liste d’achat. Cela commencera par des ETF comme au Japon.
La continuité entre la dette et le capital est fausse, voire stupide. La dette ne peut remplacer le capital propre, garant des dettes, que si et seulement si une institution comme la banque centrale ou l’Etat prend en charge les pertes en augmentant les impôts ou en avilissant la monnaie.
Depuis des années, les bons du Trésor et les titres d’agence se négocient à des prix élevés et rendements faibles – en prévision d’une inévitable reprise des opérations de QE.
L’analyse conventionnelle s’est concentrée sur les pressions désinflationnistes persistantes comme principale explication des rendements obligataires historiquement déprimés.
Bien qu’elle ne soit pas déraisonnable, une telle analyse minimise le rôle prédominant joué par les taux d’intérêt exceptionnellement bas de la Réserve fédérale. Ces taux bas sont associés à une fragilité financière latente et croissante.
Parallèlement, des taux à court terme proches de zéro et des rendements historiquement bas des valeurs du Trésor et des agences ont suscité une recherche désespérée de rendement, gonflant considérablement l’offre de crédit aux entreprises et symétriquement leur demande.
Avec la crise du Covid-19, l’entrée de la Fed sur le marché de la dette corporate a eu et aura des effets profonds sur le crédit aux entreprises.
Le système se transforme, il apprend et il devient autre. Il contourne ses limites. Il ne dépasse pas ses contradictions, il les nie et les occulte.
Les limites d’émission sont repoussées, mais celles de la solvabilité restent ! Et elles resteront car jamais 2+2 ne feront 5.
La surabondance des liquidités d’aujourd’hui n’aura aucune incidence sur la solvabilité de demain.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]