La Chronique Agora

1918, ou comment une épidémie peut changer la politique d’un pays (2/2)

La grippe espagnole pourrait avoir indirectement favorisé l’ascension d’Adolf Hitler – mais peu importe, car nous en avons retenu toutes les leçons… non ?

Dans son ouvrage The Great Influenza, déjà mentionné hier, l’historien John Barry évoque la parade militaire organisée à Philadelphie pour promouvoir les emprunts nationaux destinés au financement de la guerre.

D’après un observateur, cette parade aurait déclenché au sein de la population civile de Philadelphie une épidémie « semblable à celle observée dans les bases navales et campements de l’armée ». Trois jours après la parade, l’épidémie avait tué 117 personnes en une seule journée. Barry indique que « ce chiffre allait doubler, puis tripler, quadrupler, quintupler, sextupler ».

L’auteur donne ensuite plus de détails sur l’horreur de la situation :

« Rapidement, le nombre de victimes quotidiennes de la grippe allait dépasser le nombre moyen de morts par semaine lié à l’ensemble des autres causes de mortalité — l’ensemble des maladies, des accidents et des actes criminels combinés. »

Philadelphie est devenue le foyer le plus dangereux, avec un taux de mortalité 7,92 fois plus élevé que la normale au mois d’octobre 1918. A l’échelle mondiale, Barry écrit que la grippe de 1918 a « tué plus de gens en une année que la Peste noire en l’espace d’un siècle durant le Moyen-Age ; elle a tué plus de gens en 24 semaines que le sida en 24 ans. »

Le récit que fait Barry de la pandémie met en avant les luttes pour le pouvoir entre William Henry Welch (membre de la fraternité des Skull and Cross Bones), William Osler, William Crawford Gorgas, les frères Flexner (Simon et Abraham), Victor Vaughn, l’Institut Rockefeller et la Fondation Carnegie.

La grippe, Woodrow Wilson et le traité de Versailles

Lors des négociations des accords de paix qui se sont déroulés à Paris après la Première guerre mondiale, contrairement à ses homologues, Woodrow Wilson est venu négocier en personne, sans aide d’aucune sorte.

Tout le monde dans son entourage aux Etats-Unis était souffrant et le président est soudain tombé malade au cours de la conférence. Des spéculations ont donc immédiatement surgi d’après lesquelles il avait été empoisonné.

Avant de tomber malade, Wilson était prêt à se retirer des négociations. Bien qu’il soit resté à Paris, il a été incapable d’y participer pendant plusieurs jours. Au final, il a insisté pour que les négociations se poursuivent dans sa chambre. D’autres personnalités présentes à Paris, notamment Herbert Hoover, le colonel Starling et le chef du personnel de la Maison Blanche Irwin Hoover ont exprimé des inquiétudes concernant le déclin de l’acuité mentale de Wilson.

L’un des événements les plus étranges fut lorsque Wilson eut la conviction que sa maison était remplie d’espions français. L’après-midi, il avait déjà oublié ce qui s’était passé le matin même. Lloyd George avait décrit Wilson comme étant « dans un état d’épuisement mental et spirituel au beau au milieu de la conférence ».

Wilson, qui avait au départ insisté pour qu’un accord de « paix sans vainqueur » soit conclus, a finalement capitulé face aux Français, aux Anglais et aux Italiens. Le traité signé était sans pitié pour les Allemands et Wilson a déclaré par la suite « si j’avais été allemand, je pense que je ne l’aurai jamais signé ».

Pas plus avancés

La plupart des historiens attribuent les problèmes de santé de Wilson à un accident vasculaire cérébral mineur, mais il semble plus probable qu’il ait en fait contracté la grippe.

Barry écrit que cette conséquence de la santé déclinante de Wilson — la sévérité du traité vis-à-vis de l’Allemagne — « a contribué à donner naissance aux difficultés économiques, aux réactions nationalistes et au chaos politique qui ont favorisé l’arrivée au pouvoir d’Adolf Hitler ».

S’il y a une leçon à tirer de l’histoire des grandes pandémies, elle se trouve probablement dans cette prédiction accablante faite en 1920 par Welch :

« Je pense que cette épidémie va probablement disparaître et nous ne serons pas plus avancés en matière de contrôle de cette maladie que nous ne l’étions durant la pandémie de 1889. C’est humiliant, mais c’est la réalité. »

Vaughn s’est fait l’écho de Welch en déclarant :

« Ne me laissez plus jamais affirmer que la médecine est sur le point de vaincre la mort. »

C’était il y a plus d’un siècle, cependant. Depuis tout ce temps, la communauté médicale a bien dû parvenir à comprendre comment maîtriser les pandémies… n’est-ce pas ?

A votre place, je ne parierais pas là-dessus !


Article traduit avec l’autorisation du Mises Institute. Original en anglais ici.


Image d’illustration : des hommes du 39e régiment de l’armée américaine traversent masqués la ville de Seattle, en route pour la France, en décembre 1918.

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile