La Chronique Agora

Si le yuan baisse, le dollar grimpe… et la déflation s’enracine

▪ Les actions continuent de grimper…

Que sait M. le Marché que nous ignorons ? Beaucoup de choses. Il connaît tout. Des millions de faits. Des millions d’opinions. Des millions de suppositions. Un satané M. Je-sais-tout.

M. le Marché a aussi toujours raison ; il n’y a pas plus haute autorité, sinon Dieu lui-même. Alors si M. le Marché dit que les actions devraient grimper, qui sommes-nous pour le contredire ?

"Ne pas lutter contre la tendance" : une autre expression de vétéran de la finance. Lorsque les actions grimpent, mieux vaut ne pas être positionné à la vente. Lorsqu’elles baissent, mieux vaut ne pas être positionné à la hausse.

Cela semble simple… mais ça n’aide guère. Parce qu’on ne sait jamais où va la tendance. M. le Marché est un personnage rusé, malin et trompeur. Il est parfaitement capable de mener les investisseurs de sommet en sommet… juste pour pouvoir les faire tomber de plus haut. On l’a également déjà vu faire savoir que "tout allait bien" sur les marchés… alors qu’il complotait l’ouragan du siècle. Ou bien on peut l’entendre chanter le blues sur l’horreur de la situation… avant de découvrir qu’il était en train d’acheter depuis le début.

M. le Marché pourrait être en train de préparer l’un de ses mauvais coups

Alors même si le Dow grimpe… nous resterions prudent avant de tirer quelque conclusion que ce soit. M. le Marché pourrait être en train de préparer l’un de ses mauvais coups. La tendance pourrait se retourner du jour au lendemain.

Nous sommes plus ou moins certain que ce sera le cas. L’économiste Richard Duncan souligne que les booms et les krachs des 35 dernières années avaient une cause très particulière. Ils n’étaient pas le produit des caprices de M. le Marché ni des opinions avisées des investisseurs. Au lieu de ça, un système monétaire quasi-magique a fait grimper la consommation, la production et les prix des actifs à des sommets partout dans le monde. Quelle fête ! Les salaires ont été multipliés par 10 en Chine. Les actions ont été multipliées par 16 aux Etats-Unis.

▪ Désormais, c’est terminé…
Voilà comment ça fonctionnait : une fois que la monnaie mondiale a été séparée de l’or, en 1971, les choses sont devenues un peu bizarres. Les Américains ont dépensé de l’argent qu’ils n’avaient ni gagné ni épargné — des dollars créés "à partir de rien". Une bonne partie de ce nouvel argent est parti à l’étranger, où les pays — notamment la Chine — ont dû faire tourner leur propre planche à billets pour suivre le rythme.

Mais vous avez déjà entendu parler de cette histoire… La Chine construit, le reste du monde achète — en particulier les Etats-Unis. Par la même occasion, ils laissent des dollars aux mains des Chinois. L’accumulation de ces réserves de change étrangères est à la fois la cause et la mesure du boom dont le monde profite depuis le début des années 80. Tandis que les Américains achetaient plus de biens en provenance de Chine, ils envoyaient plus de dollars à l’étranger. Ces dollars stimulaient la masse monétaire mondiale… et faisaient tourner les têtes, les rouages et les caisses enregistreuses.

La Chine (et d’autres pays) remplissaient les commandes et encaissaient les revenus. Les commerçants et les fabricants chinois amenaient leurs dollars à la Banque populaire de Chine pour les changer en devise locale. Les dollars s’accumulaient à la BPC. Que pouvait-elle faire avec ? Acheter des obligations US ! Cela a fait baisser les taux d’intérêt aux Etats-Unis et augmenté la quantité d’argent s’écoulant vers les actifs US.

Les réserves de devises étrangères de Chine sont passées de zéro en 1979 à 4 000 milliards de dollars en 2014

C’est ainsi, en gros, que nous en sommes arrivés là où nous sommes aujourd’hui. Les réserves de devises étrangères de Chine sont passées de zéro en 1979 à 4 000 milliards de dollars en 2014. Mondialement, les réserves ont augmenté de 12 000 milliards de dollars. On peut aisément voir la différence entre ce nouveau système de crédit et le système monétaire adossé à l’or qui le précédait : on n’aurait jamais pu ajouter 12 000 milliards de dollars aux réserves d’or mondiales. Tout le métal jaune jamais extrait n’a qu’une valeur de 6 000 milliards de dollars environ, actuellement.

C’est cette immense augmentation de la masse monétaire mondiale qui a déclenché les booms et les bulles des 35 dernières années.

▪ Mais que se passe-t-il ? La machine à bulles serait-elle cassée ?
La banque centrale chinoise n’augmente plus ses réserves en dollars — au contraire, elle les réduit. Elles ont diminué de l’équivalent de 400 milliards de dollars dans l’ensemble — la majeure partie de ce montant étant constitué de billets verts.

Cette chute des réserves signale un changement majeur en Chine… et dans le paysage financier mondial tout entier. Les importations entrant en Chine — des matières premières pour la plupart — chutent à des taux à deux chiffres. Les exportations basculent elles aussi.

Rien de mieux que l’argent facile pour pousser les gens à faire des erreurs. Les Américains ont sur-dépensé. La Chine a sur-produit. A présent, les ménages américains ne peuvent plus augmenter leurs achats (ils doivent déjà trop d’argent)… et la Chine a trop de capacité.

Lorsqu’on produit déjà trop, construire plus d’usines ne fait qu’empirer la situation

La croissance chinoise, au passage, s’est lourdement concentrée sur la construction d’usines et d’infrastructure — sur l’investissement, donc. La Chine a dépensé 4 300 milliards de dollars en investissements en 2013, 10 fois plus qu’en 2000. Mais lorsqu’on produit déjà trop, construire plus d’usines ne fait qu’empirer la situation. Les prix chutent. Les prix à la production en Chine plongent depuis 43 mois consécutifs.

Ces ajouts de capacité de production — souvent faits avec la complicité des autorités locales — ont été largement financés à crédit. Les prêts bancaires ont triplé depuis 2007. Ces prêts doivent être en mauvaise posture, à présent. Les prêts en souffrance devraient grimper en flèche. La récession devrait être en route. Au lieu de faire avancer l’économie mondiale, la Chine devrait devenir un boulet à sa cheville.

Qu’est-ce que tout ça signifie ?

La Chine ne peut pas permettre à son économie industrielle de couler — pas en restant les bras croisés. Elle va devoir dévaluer le yuan pour obtenir plus de parts de marché. 80% de ses travailleurs gagnent encore moins de 10 $ par jour. Un yuan plus faible fera baisser les salaires réels et rendra les exportations chinoises moins chères que jamais.

Et qu’arrivera-t-il au reste du monde ?

A mesure que le yuan chute, le dollar, le yen et l’euro devront grimper. Les matières premières — libellées en dollar — resteront au plancher. Les profits des entreprises chuteront. La tendance boursière passera au rouge. Les augmentations des prix à la consommation resteront limitées… voire passeront négatives.

Déflation, déflation, déflation.

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