Les signes supplémentaires de déclin de l’industrie énergétique européenne se multiplient.
Après avoir superbement ignoré l’impact inflationniste de la crise énergétique de 2022, nos dirigeants se félicitent de la baisse récente des prix de l’énergie censée apporter une bouffée d’air déflationniste à notre économie.
Si l’énergie chère a fait bondir l’inflation au-dessus des 10% par an dans la zone euro, le retour à des prix de marché inférieurs à ceux de février 2022 est censé la renvoyer sous le seuil fatidique des 2%.
Véritable totem des instances monétaires, une inflation annuelle mesurée sous les 2% permettrait à la BCE de sauver la face, en claironnant ne baisser les taux directeurs qu’après avoir terrassé la hausse des prix.
Mais le fait est que, en ce début d’année, la crise énergétique n’est que partiellement résolue.
Malgré la baisse significative du prix du gaz sur le marché européen et le retour des périodes d’électricité gratuite lors des pics de production, certaines industries ne semblent pas prendre le chemin du rebond d’activité.
Cela signifie que la production perdue ne reviendra pas quel que soit le prix de l’énergie, ce qui bat en brèche le discours optimiste d’un retour de l’offre.
Plus problématique encore, les perspectives à long terme en ce qui concerne la souveraineté énergétique de l’Europe s’assombrissent. En Allemagne, la production de panneaux solaires est en train de tirer sa révérence, laissant un boulevard à la Chine.
En France, malgré un discours volontariste du gouvernement qui prétend favoriser l’arrivée de micro-centrales nucléaires pour compléter l’offre d’EDF focalisée sur les EPR, nos habitudes colbertistes ont repris le dessus. En janvier, le gouvernement a accordé un avantage injuste à notre énergéticien national, au détriment des jeunes pousses du secteur qui pourraient pourtant dépoussiérer un secteur plombé par la gestion étatique.
Si l’Europe ne veut pas se retrouver en situation de pénurie permanente d’énergie qui obligera le tissu économique à se contracter inexorablement, il lui faut prendre la mesure de la nécessité de disposer d’une production locale abondante et libérée du poids des contraintes administratives.
L’industrie allemande continue de se recroqueviller
Qu’il semble loin le temps où l’organisation industrielle allemande était présentée comme un idéal pour l’Hexagone !
De l’industrie lourde, de la transformation d’énergie en biens d’exportation et des excédents commerciaux : voilà ce qu’il manquait à notre pays pour retrouver son rôle de locomotive mondiale.
Mais le grain de sable du manque d’énergie est venu gripper la belle mécanique teutonne.
L’an passé, après un an de discours lénifiants des instances européennes quant à la solidité de ce modèle, il a fallu se rendre à l’évidence : en l’absence d’une énergie quasi gratuite, l’économie allemande était vouée à la récession.
La baisse de 90% des prix spot du gaz européen entre l’été 2022 et le début 2024 aurait dû faire rebondir la machine industrielle outre-Rhin. Quel producteur ne se frotterait pas les mains en voyant ses coûts d’approvisionnement diminuer d’un facteur dix en quelques mois ?
Pourtant, le géant de la chimie BASF vient d’annoncer une nouvelle réduction de la voilure de son site de production historique, à Ludwigshafen. L’an passé, le chimiste avait déjà essuyé une baisse de sa production de 20% et mis en place un plan de réduction de 2 600 postes censé rétablir la trajectoire des comptes. Mais le bénéfice s’est effondré de près de 30%, et le président du groupe Martin Brudermüller a annoncé un nouveau plan de réduction des coûts qui viendra à s’ajouter à celui précédemment prévu.
Il se murmure désormais que BASF pourrait fermer l’un de ses deux vapocrackers de Ludwigshafen, qui permettent de décomposer les hydrocarbures en produits pétroliers utiles pour l’industrie. Dans le même temps, le groupe investirait l’équivalent de 50 fois ses bénéfices 2023 dans un méga-site de production dans la province du Guangdong, en Chine, là où l’approvisionnement énergétique des industries est une priorité gouvernementale.
Clap de fin pour le solaire allemand
Signe supplémentaire de déclin de l’industrie énergétique européenne, le Suisse Meyer Burger a annoncé fermer le mois prochain son usine de panneaux solaires de Freiberg. Le site allemand employait encore 500 personnes, et était le dernier site à produire une quantité significative de panneaux solaires sur le Vieux Continent.
Après avoir essuyé des pertes d’exploitation équivalentes à son chiffre d’affaires l’an passé, Meyer Burger jette l’éponge et va désormais concentrer ses efforts sur la production aux USA. D’ici la fin d’année, le Suisse va terminer la construction de deux giga-factories dans le Colorado et l’Arizona, pour une capacité totale de 4 GW. Alors que l’Europe continue de tergiverser sur les aides à la production, l’IRA de Joe Biden permettra à Meyer Burger d’engranger 300 millions de dollars de subventions directes et jusqu’à 250 millions de prêts garantis par l’Etat – de quoi transformer totalement la rentabilité des projets.
Face à l’interventionnisme revendiqué des gouvernements chinois et américains, qui financent sans vergogne leur industrie de l’énergie, la timidité européenne est une impasse.
Pire encore, nos dirigeants conservent leurs habitudes néfastes de conservation du statu quo et de la protection des rentes énergétiques du passé.
Quand EDF torpille le nucléaire propre
Afin d’assurer notre souveraineté énergétique, le gouvernement français a annoncé en 2022 son intention de faire naître une filière des SMR, des mini-réacteurs nucléaires d’une puissance de quelques centaines de MW.
Complémentaires des centrales nucléaires existantes et des EPR qui tardent à arriver, les SMR ont vocation à alimenter des agglomérations éloignées de la grille électrique, des méga-sites industriels comme ceux qui ferment à tour de bras en Allemagne, voire des grands navires de transport.
Mais à peine ce programme volontariste annoncé, la France est revenue à ses mauvaises habitudes en favorisant de manière éhontée EDF. L’électricien fraîchement nationalisé possède en effet son propre programme de développement de mini-réacteurs, nommé Nuward.
Notre mastodonte de l’énergie est ainsi en concurrence directe avec les start-ups de ce secteur encore naissant. S’affranchissant de tout processus d’appel d’offres, EDF s’est vu attribuer le droit d’implanter le premier réacteur Nuward sur le site expérimental de Marcoule.
La pilule est dure à avaler pour les start-ups qui font face à une multiplication de vents contraires, entre l’absence de cadre législatif quant à l’implantation d’installations nucléaires hors de sites dédiés, la frilosité des investisseurs et l’impossibilité d’accéder à la plupart des subventions européennes fléchées vers les énergies renouvelables.
Pire encore, le SMR d’EDF ne peut pas être considéré comme une technologie significativement innovante, mais plutôt comme un EPR à taille réduite. Implanter le premier Nuward sur le site de Marcoule, qui avait vu naître le premier réacteur expérimental à neutrons rapide Phénix, est un camouflet pour les start-ups qui essaient de faire naître des SMR à métal fondu.
C’est pourtant la seule technologie qui permettrait de réduire notre dépendance aux pays producteurs d’uranium et de brûler nos déchets radioactifs – ce qui est, en théorie, l’objectif de la France ! Plutôt que de favoriser notre énergéticien national qui dispose déjà de la garantie financière de l’Etat, de l’oreille attentive du législateur et d’une expérience acquise dans les réacteurs d’ancienne génération avec 18 centrales civiles en activité, le gouvernement aurait mieux fait d’offrir un bol d’air aux start-ups qui tentent de construire les premiers SMR à neutrons rapides.
A défaut, les collectivités et industriels qui pourraient avoir l’usage des SMR se tourneront vers les modèles proposés par la Chine, la Russie et les USA. Alors que nos entreprises en sont encore à se demander si et où elles pourront construire leurs premiers prototypes, la concurrence internationale dispose déjà de réacteurs en fonctionnement.
« Les USA innovent, la Chine copie et l’Europe règlemente. » Pour garantir notre indépendance énergétique, il est crucial que le Vieux Continent change ses habitudes et fasse enfin mentir le dicton. Il en va de la survie de l’ensemble de notre industrie productive, qui consomme des MWh bien réels qu’aucune subvention à l’achat ne fera jamais apparaître par magie.