La Chronique Agora

Le virus qui va vraiment tuer les marchés

Oubliez le coronavirus : c’est une autre sorte de bestiole, créée de la main de l’homme, celle-là, qui va provoquer la chute du système économique et financier…

La volatilité est une bestiole de marché. Elle fait partie de leur univers magique et elle est active – je veux dire par là qu’elle est capable, en elle-même, de provoquer des décisions, des mouvements et, un jour, des paniques.

La volatilité, c’est le virus secret qui va miner les marchés, un jour, dans un mois, dans un an…

C’est un virus créé par l’homme.

Pourquoi ?  Parce que tous les modèles de valorisation des actifs, tous les modèles de mesure du risque et tous les modèles de capacité bilancielle des institutions reposent sur la volatilité – et lui sont soumis. Une abstraction fausse comme le VIX peut provoquer une crise, une crise auto-entretenue.

Mensonge fondateur

Les marchés d’actifs reposent sur un mensonge fondateur : la quasi-monnaie est liquide, aussi bonne que de la monnaie. On passe de l’une à l’autre presque sans perte, presque sans frottement.

C’est le mensonge de base de toute la financiarisation, qui a unifié le champ des actifs monétaires et quasi-monétaires sous la houlette des autorités, c’est-à-dire des banques centrales. Elles émettent de la monnaie, laquelle va dans les marchés financiers, fait un tour, enrichit les gens, entretient l’esprit de jeu, c’est-à-dire le risk-on et donc le crédit.

Pour que cela marche, il faut que dure la croyance selon laquelle le champ des actifs financiers et quasi-financiers est un champ unifié, à l’intérieur duquel on passe d’un actif à l’autre moyennant simplement un peu plus ou un peu moins de rendement et un peu plus ou un peu moins de risque.

Si vous avez compris cela, vous avez compris tous les secrets des apprentis sorciers qui vous gouvernent.

L’escroquerie de la financiarisation repose sur une fausse équivalence :

Monnaie = crédit = actif financier = quasi-monnaie.

L’équivalence étant réversible, elle se lit de gauche à droite ainsi que de droite à gauche. C’est la base du système – et c’est à partir de cette base, par exemple, que l’on considère qu’un actif financier est défini par son rendement, par sa « duration » et le risque, la volatilité qui y sont attachés.

C’est à partir de cela que l’on peut « titriser », mettre le crédit sur les marchés, construire des dérivés, de fausses assurances, etc. C’est à partir de là que l’on peut calculer la valeur pondérée des actifs qui sont aux bilans des banques… et donc leur capacité à augmenter ce bilan… et donc leur capacité à prendre des risques… et donc leur capacité à créer de la monnaie !

Alchimie bancaire

Vous l’avez en effet compris maintenant, toute une filiation relie les marchés et les actifs qui y sont traités à la capacité bancaire à créer de la monnaie, ce que personne n’explique jamais. C’est un des secrets de l’alchimie.

Vous comprenez aussi pourquoi, dans le système de la financiarisation, on ne peut échapper au put des banques centrales. S’il n’y avait pas un tel put explicite, la liquidité finale ne pourrait être présumée et le système s’effondrerait.

Mais retenez bien ceci : cette liquidité finale, ce put, est un bluff… et cela peu de gens le savent. Une banque centrale est une banque comme une autre, mais chut, il ne faut pas que cela se sache !

Tout ceci se résume par un concept dont on ne parle jamais qui est le concept de capacité bilantielle du système bancaire. Etant entendu, vous commencez à le comprendre, que c’est le talon d’Achille du système financier mondial.

Comment en est-on arrivé là ? Tout simplement à partir des années 80 : à l’époque, constatant le ralentissement structurel des économies et l’érosion tendancielle des taux de profits, on a voulu lutter contre et s’y opposer par des artifices, lesquels consistent tous à prendre des risques supplémentaires pour pouvoir émettre plus. Bien sûr !

Le grand secret de la financiarisation et de la dérégulation est très simple. Il consiste à tracer une équivalence entre l’argent, la monnaie qui est à maturité immédiate et sans risque, et les actifs financiers en général, qui sont à maturité différée et à risque d’autant plus élevé qu’ils sont lointains et donc volatils.

Le mythe de la financiarisation

Le mythe de la financiarisation, c’est l’affirmation qu’on peut vendre et transformer la quasi-monnaie, c’est-à-dire tous les actifs financiers, en monnaie, immédiatement et sans perdre grand-chose, sans catastrophe. Le mythe de la financiarisation, c’est que la valeur des actifs financiers est solide parce qu’ils sont aussi bons que de la monnaie.

Vous comprenez dans ces conditions qu’un choc de volatilité, c’est-à-dire une baisse de 7% de la Bourse, comme ce fut le cas la semaine dernière, est une authentique catastrophe. Cela montre en effet que tous les présupposés de la financiarisation sont faux, dans la mesure où cela prouve de façon indéniable que le mythe est bidon.

Ainsi, le marché américain nous a dit : non, la quasi-monnaie et tous ses dérivés ne sont pas de la monnaie… et, si vous en avez, attendez-vous à ce qu’un jour, ils soient non-convertibles.

Une baisse de 7% en un jour détruit le travail de communication mensongère accompli par les élites pendant des mois.

Les bestioles mathématiques comme les corrélations et les volatilités ont remplacé le jugement sur le réel, elles le transfigurent. Ces bestioles, créations humaines ont dépassé leurs créateurs et surtout leurs compétences.

Je n’hésite pas à prédire que la grande crise, la vraie, celle qui mettra en évidence l’impuissance réelle des apprentis sorciers, cette vraie crise aura une origine interne aux marchés, ce sera une crise des bestioles : une crise de la volatilité et des corrélations.

[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]

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